Imagine une belle ville côtière baignée de soleil avec grosses cylindrées rutilantes. Imagine le rose framboise éclatant des bougainvillées qui, comme de lourdes guirlandes, s’accrochent aux façades hispanisantes du sud de la Californie.
Imagine des visages hâlés, des fesses hautes, des seins rebondis et des pectoraux bombés. Imagine des rues qui serpentent pour se jeter dans le Pacifique. Imagine de grosses villas aux architectures bigarrées : tu veux une villa toscane avec colonnades ? C’est possible. Tu veux une architecture post-moderne façon Frank Gehry ? C’est possible. Tu veux un combo chalet suisse-Le Corbusier ? C’est possible. C’est la Californie, bordel !
Maintenant imagine que tu sortes d’une session de piscine découverte fin octobre, que tu n’en reviennes pas d’être en maillot de bain et tongs aux vacances de la Toussaint et que tu traverses tranquillement l’une de ces rues qui disparaissent au loin sur les falaises du Pacifique. Et puis imagine que tu voies ça devant un parking à ciel ouvert comme seules les villes de l’ouest en conçoivent :

Tu sens le léger frémissement de sourcils, le battement de coeur irrégulier, la serviette de bain qui tout-à-coup s’alourdit sur tes épaules, les cheveux qui gouttent le long de la colonne vertébrale, les yeux rougis par la chlorine qui brûle et enfin le doute qui te submerge.
Perplexe, bouche-bée, soudain monolingue. Pourtant cela fait plus de douze ans que tu vis là ; certes, tu ne vis pas en Californie et tu sais que le fédéralisme a du bon, mais à ce moment précis, tu as besoin d’un autochtone.
Qu’est-ce que c’est que ce bébé bleu avec ces petits poings bleus tendus en l’air en quête d’un contact humain ? Qu’est-ce que c’est que cette légère tension dans ce crâne bleu et ces jambes potelées comme en apesanteur ? Qu’est-ce que c’est que cette main bleue sans corps ? Et n’a-t-on pas l’impression très distincte que ce bébé cherche à nous dire quelque chose ? Qu’il manque le son ? Enfin quelle drôle d’idée que ce sigle : SSS/Safe Surrender Site !
Se figure-t-on un seul instant dire : « Aujourd’hui je suis allée au SSS » sans craindre une triple invasion de la Pologne ? Peut-on vraiment envisager le dialogue suivant : « Aujourd’hui j’ai fait la rencontre du troisième type au SSS, le bébé bleu et la main coupée. – Ah oui ? » sans sombrer dans une capsule temps et soupçonner le retour d’Orson Welles sur les ondes nous contant les nouvelles de George Orwell ? Tout ça n’est pas sérieux.
Alors que dit donc l’autochtone ? L’autochtone attend déjà patiemment qu’on veuille bien en finir avec ces plaisanteries de potache car le sujet est grave. Très grave. Le SSS ce n’est pas la rencontre du bébé bleu dans un polygone bleu. Le SSS, en Californie, indique que le lieu permet d’abandonner son bébé en toute sécurité dans les soixante-douze heures après sa naissance sans être questionné. Question à l’autochtone : « Et le parking à ciel ouvert dans quartier huppé, c’est un SSS donc ? »
Californie, terre de tous les possibles, je te mets au défi. A quand le SSS’Drive-In ? A quand le dépose-bébé ?
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