En 2012, deux films français ont abordé les choses du sexe avec des scènes explicites non simulées : Q de Laurent Bouhnik et Chroniques sexuelles d’une famille d’aujourd’hui, de Jean-Marc Barr et Pascal Arnold. Si l’utilisation de la pornographie — hors film X — n’est pas une nouveauté, elle reste rare. Elle a servi à décrire la passion brûlante de l’Empire des sens et elle a permis à Michael Winterbottom d’évoquer en toute liberté la sexualité pleine de fantaisie d’un jeune couple moderne et rock’n’roll dans Nine songs.
Q raconte l’histoire de Cécile, jeune fille qui vient de perdre son père. Sans repères, elle brûle la vie par les deux bouts et manipule les hommes pour satisfaire un insatiable appétit sexuel. Côté Q, elle a tout pour elle mais il lui manque l’Amour. Alice quant à elle, est profondément amoureuse de Matt, garagiste androgyne qui ne sait pas très bien ce qu’il veut. Mais le sexe fait peur à Alice (elle a des lunettes et fait des études de sciences politiques, tout s’explique). Elle a donc besoin de se libérer. D’autres personnages secondaires gravitent autour des deux filles, avec leurs petits problèmes de coeur et de Q. Il manque au film une trame sérieuse et un propos. Nous suivons les personnages qui tentent de régler leurs flirts et leurs ruptures, à la manière d’un épisode de Plus belle la vie.
Restent les scènes de sexe, souvent excitantes car l’on peut difficilement tricher dans des moments pareils. Branlette, début de fellation, ébats saphiques et coït sont au programme, rien de très original mais les acteurs et les actrices sont tous très à l’aise avec leurs corps, ce qui donne aux images une sincérité touchante. La mise en scène assume presque la nudité, sauf dans quelques cas où la scène est éclairée de sorte que l’on ne voit pas clairement ce qui se passe, grâce à divers artifices d’éclairage : une enseigne qui clignote, un néon défectueux et un orage. Dommage. Et pourquoi ?
Laurent Bouhnik parvient à montrer la sexualité de manière suave mais a plus de difficultés pour parler de sexe. Quoiqu’on en dise, il s’agit encore d’un sujet tabou et le choix des mots est important. On regrettera ici que les termes employés (salope, baiser, chatte) soient plus du niveau lycée que de l’âge des protagonistes (la petite vingtaine). Un vocabulaire adéquat reste donc à définir, et cet objectif n’est pas atteint ici. Ce qui donne régulièrement des dialogues ridicules involontairement drôles.
— j’adore me faire baiser en pleine mer
— On va dans les toilettes ?
Q ne parvient pas à remplir son contrat, à savoir parler de sexe et d’amour. On en parle par petites touches, par-ci par-là, mais de manière trop superficielle, sans jamais rentrer dans le vif du sujet et ce, malgré le sexe explicite à l’écran. De plus, la vision du sexe est souvent pathologique et source de frustration. Le comportement d’allumeuse de Cécile est expliqué à la fin par la mort de son père, un prétexte psychologique un peu facile. Plusieurs scènes hot se concluent par des sanglots ou des pleurs, façon psychanalyse obscure. Le film se termine sur une scène de lâcher de cendres en voiture, qui fera immanquablement penser à celle de The big Lebowski.
Tous les hommes et toutes les femmes du film sont physiquement parfaits. Tous sont très sexy à leur manière. Forcément les scènes de Q n’en sont plus qu’agréables mais ce qui ne paraît pas une représentation très réaliste. Or le côté “on va parler du sexe chez les jeunes” était visiblement un objectif du film.
Jean-Marc Barr et Pascal Arnold visent plus juste quant à eux, en choisissant de couvrir la sexualité d’une famille, c’est-à-dire de 18 à 70 ans. L’initiative est courageuse puisque, contrairement à Q, on se limite pas à des jeunes gens au bien dotés par la nature. La vision des deux réalisateurs est positive, axée sur la tendresse et l’humanité des relations. C’est du sexe qui déculpabilise et tente de faire sauter le verrou judéo-chrétien.
Chronique sexuelles d’une famille d’aujourd’hui a été pensée comme une comédie dramatique, sans doute une approche pertinente, tant la sexualité peut être aussi fun que tragique. Le point de vue principal est celui de Romain, 18 ans, qui se masturbe en plein cours de biologie et qui est découvert par son professeur. Pire encore, il se trouve qu’il se filmait avec son téléphone portable ! La mère est appelée en urgence. Pour elle, même si ce n’est pas si grave, cela fait un déclic et elle commence à se demander de quoi est fait la vie sexuelle de ses proches, ainsi que la sienne. Ce manque de communication sur le sujet pèse également sur Romain qui évoque ce qui se passe sans doute dans bien des familles : “on discute du PSG, de l’écologie et des études, mais jamais de sexe”.
Le film propose donc d’y remédier. Il balaie différents comportements sexuels : on y voit la branlette solitaire sur le porno d’Internet, les plans à trois, la bisexualité, la difficulté du couple quarantenaire à renouveler ses jeux érotiques, et encore plus tabou : la sexualité des vieux. Suite à la demande de sa bru, le grand-père avoue en effet avoir recours régulièrement aux services d’une prostituée. A travers le personnage de la mère, qui commence une enquête, les auteurs du film ont voulu montrer qu’il n’y a pas de honte à parler de sexe. Que si chacun ou presque pratique, il n’y a pas de norme en la matière. Un discours libérateur qu’on n’a pas eu l’habitude de voir souvent.
Contrairement à Bouhnik, les deux réalisateurs ont su éviter l’écueil des mots inappropriés. La difficulté de la représentation du sexe, que ce soit pas les mots ou les images, est d’ailleurs évoquée par un personnage. Vers la fin, lors d’un jeu érotique, le jeune homme décrit à sa copine un fantasme, puis il dit ne plus pouvoir continuer de peur d’être vulgaire alors que dans sa tête, rien n’est vulgaire. A un moment donné, il faut peut-être se passer des mots.
Les scène de sexe se rapprochent du style de Larry Clark. On voit que les réalisateurs ont laissé le temps et sans doute le déroulement libres aux acteurs. Le tout est emprunt d’une douceur qui ne fait que renforcer l’érotisme. Si les sexes sont souvent montrés, les visages le sont aussi et l’on peut y lire le plaisir de l’instant. Le film se situe donc quelque part entre un érotique soft et un porno, sans doute une vision plus réaliste que les deux genres pris indépendamment.
Cette fraîcheur et cette spontanéité font du bien au coeur, au cinéma, et au slip. Bizarrement, la sexualité reste un thème sous-exploité, alors que le sujet est clairement cinégénique. La complexité et la diversité de la sexualité humaine constituent un vaste territoire qui mériterait d’être exploré par des réalisateurs et des acteurs courageux. Q et Chroniques sexuelles sont peut-être le début de cette conquête du sexe du XXIème siècle.