Disons-le d’emblée : on aime bien Ellen Page. Parce que c’est une bonne actrice, bien sûr, mais aussi pour son engagement en faveur des droits des femmes et des personnes LGBT. On était donc plutôt enthousiasmé d’apprendre, le mois dernier, que la jeune Canadienne se lançait dans une série documentaire, Gaycation, réalisée pour la nouvelle chaine Viceland et qui se présente comme «un voyage pour explorer ce que signifie être lesbienne, gay, bi ou trans à travers le monde».
Quelles ne furent donc pas notre déception et notre inquiétude en découvrant que, sitôt diffusés, les premiers épisodes se voyaient accusés de verser dans l’«impérialisme gay» : dans sa quête pleine de bonnes intentions, Ellen Page aurait inconsciemment plaqué sur des cultures non-occidentales des grilles d’analyse et des concepts (comme le coming out) qui leur sont étrangères, au lieu de chercher à comprendre comment des individus issus d’autres sociétés que la sienne définissent eux-mêmes leur rapport au genre et à la sexualité.
Faute d’avoir vu les épisodes de Gaycation par nous-mêmes, on ne se prononcera pas sur la pertinence de ces accusations, dont on voudrait croire, par sympathie pour Ellen Page, qu’elles sont infondées ou de mauvaise foi. Elles ont, quoiqu’il en soit, le mérite de nous mettre en garde contre un risque toujours latent, sinon chez Ellen Page, au moins chez beaucoup de militant-e-s LGBT en Occident : celui de percevoir l’infinie variété des pratiques sexuelles qui ont cours de par le vaste monde à travers le prisme de catégories médicales inventées en Europe au XIXème siècle (homosexualité, hétérosexualité, bisexualité…).
Il y a trois ans, deux jeunes essayistes, Stella Magliani-Belkacem et Félix Boggio Ewanjé-Epée, avaient été cloués au pilori médiatique et taxés d’homophobie (alors même qu’ils soutenaient le mariage pour tous…) pour avoir souligné les impasses, les impensés et les angles morts de «l’action de solidarité internationale menée par les groupes LGBT hégémoniques» (dans Les Féministes blanches et l’empire, publié en 2013 aux éditions La Fabrique). Et pour avoir rappelé cette évidence : si les pratiques sexuelles entre individus de même sexe existent dans toutes les cultures et à toutes les époques, l’identité gay, en tant qu’identité politique, est historiquement et socialement construite – elle n’a donc rien d’«évident» ni d’«universel».
Cette multiplicité des formes d’expression de la sexualité et du genre (qui ne peut se réduire au sigle «LGBT»), on en trouvera un aperçu tout au long de la programmation de la seizième édition de Vues d’en face, le festival international du film gay et lesbien de Grenoble. Pour l’occasion, ce numéro 110 d’Hétéroclite accorde une large place à la vie culturelle et LGBT (mais pas que, donc…) de la préfecture iséroise. Bon festival à toutes et tous !
Photo : Gaycation, avec Ellen Page et Ian Daniel © Viceland
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