« Doloris Causa » de Carolyn Cardway, nous plonge dans la relation d’un couple paradoxal mais où chacun trouve son compte : elle dans sa quête masochiste de souffrances. Entreprise radicale et raisonnée, presque mathématique, qui la conduira parfois au bord de la folie. Lui, dans sa revanche perverse et cruelle sur une bourgeoisie qui l’a autant utilisé que méprisé. L’histoire finira. Mal pour lui, bien pour elle! Ce sont toujours les pauvres qui paient pour les riches!
Un livre décapant, malsain, percutant comme un round de boxe. Un voyage en harmonie avec l’esprit de la collection contre-culture Vertiges.
Extrait
Il a dégagé sa ceinture des passants de son pantalon et il l’a battue. Ensuite, couverte de longues boursouflures écarlates, elle a dû se tourner, saisir ses fesses à pleines mains pour les maintenir ouvertes. Elle devinait l’aspect de son orifice exposé : rougi, gonflé, encore entrouvert. Elle n’y a pas pris le même plaisir avilissant que d’ordinaire. Il est allé chercher une boîte de bière au réfrigérateur. Elle a hurlé sous l’effraction. Un plaisir dont, sans comprendre encore pourquoi, elle ne voulait plus, l’a néanmoins envahie. Ses reins se sont creusés contre sa volonté. Ses fesses projetées à la rencontre de l’objet introduit par saccades brutales.
Elle a joui avec des cris. Il a ricané.
Le désenchantement l’envahit, s’affirme, s’installe: Sébastienne ose enfin s’avouer qu’elle n’éprouve plus aucun sentiment pour Raphaël.
Elle en oublie son inconfort, le froid qui la pénètre tout entière. Le crachin rabattu par les rafales se tord en écharpes rageuses dans la lumière orangée des lampadaires à vapeur de sodium. Elle continue toutefois d’attendre l’homme. Elle apprécie la situation misérable où elle se trouve, et non plus celui qui l’y a mise. Pourquoi ne l’aimé-je plus ? Quelles seront mes possibilités de jouir sans lui ?
Retrouverai-je un être assez corrompu pour m’avilir de sa seule présence ? Autant de questions qu’elle se pose sans leur trouver de réponses.
De rares passants qui lui jettent des regards furtifs, se pressent, intrigués. Le manteau détrempé colle à sa peau comme une gangue gluante et glacée. Elle l’a retroussé pour s’asseoir.
Sa croupe nue est en contact direct avec le banc. Une envie d’uriner lui taraude la vessie depuis le début. La pisse finit par lui échapper, douloureuse dans son urètre comprimé par l’objet proche. Un instant bienfaisant. Le liquide dégoutte du siège puis forme une mare chaude sous elle avant d’être dilué par la pluie. Elle entrouvre les cuisses. Léger changement de position qui réveille la souffrance entre ses fesses. Un coup de poignard de l’intérieur qui re monte vers le nombril. Une éventration à l’envers! Elle se mord la lèvre pour étouffer un gémissement. Raphaël aurait dû me fouiller le cul avec son couteau à cran d’arrêt avant de placer la boîte!… C’est trop tard pour le lui demander à présent que je ne l’aime plus… Ça aurait été dangereux… J’aurais saigné. Peut-être même hospitalisée! Le rire des internes, des infirmières…
Les regards méprisants et moqueurs. J’ai envie de me toucher!
Elle glisse sa main dans l’échancrure entre deux boutons, cherche sa vulve trempée d’urine. Un faible gémissement quand elle trouve le clitoris long et dur dans sa gaine de chair. Moins d’une minute pour un orgasme attendu qui l’ébranle de la tête aux pieds.
Elle a dix-neuf ans. C’est la première liaison amoureuse de son existence. Elle ne regrette rien. Ces quelques mois d’enfer l’ont comblée. Elle a lu assez d’ouvrages sur le sujet pour se reconnaître masochiste. Raphaël est beaucoup plus âgé qu’elle. C’est le chauffeur que sa mère a engagé pour remplacer la tribade hommasse qui n’avait pas su la défendre au cours d’une agression.
Sébastienne avait pris l’habitude de venir bavarder avec lui à l’office où il buvait du café, fumait des cigarettes et lisait l’Équipe. Elle le trouvait si beau avec ses cheveux bouclés poivre et sel, ses grands yeux noirs et sa bouche de fille. Il émanait de lui une impression de cruauté vicieuse qui l’attirait. Elle aimait aussi son imperceptible claudication. Suite d’une blessure qu’il avait récoltée au combat. De plus, il était petit.
Elle aurait tant voulu être petite !
Cette fascination n’avait pas échappé au domestique. Il en était vite venu à lui parler de son passé de mercenaire. Encouragé par l’écoute complaisante de Sébastienne, il devenait de plus en plus précis, de plus en plus cru.
Il en vint à raconter la mise à sac des villages, les destructions, le pillage, les viols collectifs :
— …on rassemblait les femmes. Elles y avaient toutes droit. On les maintenait à trois ou quatre pour les enculer. D’un seul coup. Jusqu’aux couilles. On faisait des concours. Celui qui s’y reprenait à deux fois payait sa caisse. Il y en avait qui se pétaient le frein à ce petit jeu. Ensuite, ils saignaient de la queue pendant un bon moment. On avait trouvé un truc marrant aussi. Au moment de cracher notre jus, on faisait signe à un copain pour qu’il égorge la gonzesse. Raphaël émettait un petit rire, faisait le geste de trancher une gorge imaginaire, poursuivait :
— …ça augmentait le plaisir… Leur trou de balle se resserrait quand elles clamsaient ! Comme les canards !…
Sébastienne avait ouvert de grands yeux.
— On encule les canards ?
— Tout s’encule !… Pour les canards, le fin du fin c’est de leur couper le cou pendant qu’on crache. Ça leur fait crisper le fion. Ben, les bonnes femmes c’est pareil !
— Je ne savais pas !
Il ajoutait comme une manière d’excuse :
— Comme ça ou flinguées, de toute façon,elles étaient condamnées d’avance ! Il n’y avait pas de mal à rigoler un peu avec elles avant de les zigouiller… En fait, si tu veux mon avis, c’est moins con de crever égorgée avec une bite dans le cul que de prendre le plafond de ta baraque sur la tronche suite à un dommage collatéral, comme ils disent maintenant. Frappe chirurgicale, mon cul ! Un piaf dans la fenêtre de tir suffit pour dérégler leurs conneries de missiles !
Il hochait la tête.
— Qu’est-ce que tu en penses ?
— Je ne sais pas. C’est très nouveau. Je n’avais jamais envisagé la guerre sous cet angle.
Il hochait la tête avec une expression écoeurée, puis retournait dans ses souvenirs.
— On avait quand même de la morale. Par exemple, les enfants, pour nous c’était sacré : on ne les enculait pas. On les égorgeait, ouais, mais on ne les enculait pas. On ne se serait jamais permis.
À ces récits, Sébastienne était gagnée par une excitation qui anesthésiait l’espace d’un instant sa sensibilité de jeune intello de gauche. Elle devait croiser les bras pour masquer le tremblement de ses mains. Elle ne le jugeait pas : son trouble était trop violent.
Ensuite, après être allée se masturber dans sa chambre, elle se persuadait que Raphaël bluffait, qu’il inventait ces horreurs pour l’impressionner.
Elle s’abstenait, néanmoins, de rapporter ces propos à sa mère.
Le chauffeur avait très vite deviné les tendances masochistes de la jeune fille. Un jour qu’elle était venue le retrouver, il s’était levé et, sans prévenir, l’avait giflée. Un aller-retour dur qui pendant une seconde avait obscurci sa vue d’un voile rouge. Il s’était rassis aussitôt, avait sorti sa verge. Elle était énorme! Monstrueuse.
Comme une compensation que lui aurait accordée la nature en revanche de sa petite taille.
— Suce !
Suffoquée, la tête encore bourdonnante de la paire de claques, elle s’était laissée tomber à genoux et avait obéi. C’était la première fois, mais d’instinct elle avait trouvé la manière de se rendre onctueuse. Elle se souvient de son émotion quand le sperme s’était accumulé dans sa bouche en giclées épaisses. Elle savait ce qu’il fallait faire : avaler.
L’auteur
Unique enfant d’une famille fortunée, Carolyn Cardway est née en 1962, à Aberdeen (Ecosse). Elle passe son enfance et son adolescence dans les meilleures pensions d’Angleterre. Elle a dix-sept ans et demi quand une relation amoureuse avec son professeur de Lettres aura une influence déterminante sur sa vie érotique. A dix-huit ans, elle la suit au Canada où elle deviendra parfaitement bilingue. Quelques mois plus tard, Carolyn publie son premier roman. Avec Doloris Causa, elle montre comment, du-delà des contradictions sentimentales, une ascèse masochiste sans concessions peut mener au bonheur…
Prix : 9,10 €
« Doloris Causa » de Carolyn Cardway est publié aux éditions Tabou (148 pages).
Il est disponible ici.