Nicolas Marty, ayant trouvé que j'avais caricaturé son propos dans mon blog m'a adressé ses réponses par écrit, je les publie dans leur intégralité. Elles sont la reprise d'un article publié par son association. Chaque point mérite d'être débattu. C'est pourquoi, je vous invite à laisser vos commentaires sur mon blog.
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Pourquoi êtes-vous contre la pratique de l’équitation ?Il est d’abord important de rappeler que dans les milieux animalistes, le débat est constant, sur de nombreux sujets – on est loin de l’image stéréotypique des grands méchants véganes qui veulent faire disparaitre les animaux de compagnie et instaurer un régime fasciste. L’équitation est l’un des sujets sur lesquels le débat est le plus difficile, notamment parce qu’un certain nombre de militant·e·s pratiquent l’équitation. Cela explique peut-être d’ailleurs que les associations en parlent peu, une des raisons pour lesquelles nous avons créé sur notre site web une page spécifique parlant des diverses formes d’exploitation des chevaux qui existent aujourd’hui (
ACTA 2019) – ça ne veut pas dire que l’équitation nous gêne autant que la corrida ou les fermes à sang, mais que l’ensemble de ces pratiques méritent d’être débattues.
L’antispécisme cherche à prendre les questions à la racine en mettant de côté l’appel aux traditions pour réexaminer les choses de manière plus objective. Les contrôles dans les centres équestres ont montré que la très grande majorité des chevaux y sont « sérieusement atteints » par des problèmes de dos (
Lesimple et al. 2011,
Pawluski et al. 2018). Cela s’explique par le fait que même les personnes les plus aguerries aujourd’hui en équitation ont dû passer par une phase d’apprentissage, tirant trop sur les rênes, répartissant mal leur poids, etc. A minima,
l’apprentissagede l’équitation ne semble donc pas pouvoir se faire sans créer des problèmes de dos aux chevaux. Des professionnels du milieu m’ont suggéré que réduire la durée des séances quotidiennes pour un cheval suffirait à éviter ces problèmes de dos, mais à ma connaissance (et à la leur), aucune étude n’existe qui démontrerait cela.
D’autres m’ont suggéré de me renseigner sur l’équitation éthologique et sur ses praticiens très qualifiés, mais partout où l’on me dirigeait, l’éthologie (au sens de la discipline scientifique qui étudie les comportements des animaux) était inexistante, remplacée par de belles paroles sur des personnes très connectées aux chevaux (et à l’occasion, par une liste de chargés de marketing). Comme l’a remarqué Jean-Pierre Digard (
2004), les pratiques d’équitation éthologique relèvent souvent plus de la prestidigitation et de l’appel à l’exotisme que de l’éthique animale.
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Je connais des chevaux qui ne paraissent pas souffrir de leur vie, au contraire. Ils montrent tous les signes de bien-être. Je vous invite à venir les voir.Les pratiques les plus courantes d’hébergement (box individuels, sorties ponctuelles, repas à heures fixes…) s’adaptent plus aux contraintes financières des centres et aux envies des propriétaires qu’aux besoins fondamentaux des chevaux. À cela vous me répondez forcément qu’il existe des endroits où les chevaux se sentent bien, et je ne vous contredirai pas – mais je remettrai en cause votre capacité à évaluer « tous les signes de bien-être » chez les chevaux, alors que les éthologues (scientifiques) spécialisés sur ce sujet prennent beaucoup plus de précautions pour évaluer ce type de manifestations. Il serait notamment important de distinguer les manifestations de joie liées à une relation, à un mode de vie, etc., et celles qui sont plutôt liées au renforcement positif et à l’attente d’une récompense : conditionner le cheval à faire quelque chose en lui promettant une récompense ne garantit pas qu’il apprécie l’activité, même s’il s’y montre très motivé.
L’idée des «
écuries actives » est intéressante du point de vue de l’hébergement, en semi-liberté 24 heures sur 24, motivant les chevaux à se déplacer toute la journée pour se nourrir, avec la possibilité d’aller vers le groupe ou de s’en isoler, d’aller au plein air ou de rester au chaud. En fait, il s’agit de leur permettre de faire leurs propres choix quant à leur vie au quotidien – bien que les écuries équipées de cette manière gardent des chevaux destinés aux sports hippiques, ce à quoi je serais plutôt opposé… Mais puisque ce type d’installation existe, pourquoi n’est-il pas la norme ? Pourquoi n’est-il pas imposé partout ? Qui est-ce qui travaille à en faire une obligation réglementaire ?
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Si on ne peut plus monter les chevaux, les utiliser pour tracter ou les montrer en spectacle, que vont-ils devenir ? Qui va les entretenir ?Si on arrête l’élevage, cela fera déjà réduire leur nombre petit à petit, ce qui facilitera l’aide qu’on pourra leur apporter, soit pour se réadapter à la nature dans le cas des races pour lesquelles cela est faisable, soit pour laisser les espèces inadaptables disparaitre progressivement. Mais les chevaux ne disparaitront pas complètement : déjà aujourd’hui, il existe plusieurs races de chevaux sauvages, en Europe, en Afrique, en Amérique… qui n’ont pas besoin de nous, apparemment.
Il est cependant tout à fait possible que les chevaux domestiques aient besoin de nous, au moins pendant un temps, ou que leur liberté dans la nature ne soit pas adaptée. C’est là qu’il faut comprendre que ne pas monter un cheval, ne pas l’utiliser pour tracter des machines, etc. ne veut pas dire supprimer toute relation avec les chevaux. Récemment, une pratiquante nous a dit avoir arrêté de monter son cheval, préférant se promener avec lui en marchant – d’après elle, le cheval avait l’air d’apprécier la balade lui aussi. Quant aux spectacles, la situation est plus compliquée, mais il existe au moins une initiative qui m’a l’air de correspondre à des prérequis minimaux (
Vegactu 2018), dans laquelle le cheval n’est notamment pas monté et pas obligé de se produire s’il choisit de ne pas monter sur scène le soir du spectacle.
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Ce serait la fin des chevaux, la mort de toute une filière, le chômage pour des milliers de gens !Comme je disais, ce ne sera pas la fin des chevaux – tout au plus, peut-être, à long terme, la fin des chevaux
domestiques (et même de cela, je doute).
La mort de toute une filière, en revanche, oui. J’ose imaginer qu’un grand nombre de pratiquant·e·s d’équitation ne sont pas particulièrement adeptes de tauromachie et aimeraient bien voir levée l’exception légale faite pour certaines régions en France. Si cette interdiction nationale était appliquée, ce serait également la mort de toute une filière, des éleveurs jusqu’aux toréadors – mais peut-être jugerait-on ça moins durement que vous jugez la perspective de la fin de la filière équine.
Quant au chômage, des filières et des emplois apparaissent et disparaissent au fil du temps. Il ne s’agit pas de dire « demain on interdit tout et tant pis pour tous ceux qui en dépendent », mais plutôt de réfléchir à un plan de sortie, à une transition vers d’autres professions, à des manières pragmatiques d’aller dans ce sens, aussi bien pour les chevaux que pour nous.
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