Alors que les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence fêtent leur quarantième anniversaire, Sœur Lola Rosa du Couvent des Traboules évoque le mouvement né le 15 avril 1979 dans les rues de San Francisco et lève le voile sur les cornettes.
Comment avez-vous rejoint le mouvement des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence ?
Sœur Lola Rosa : Il y a une dizaine d’années, j’ai mis les pieds pour la première fois dans une Gay Pride parce que le mot d’ordre était centré sur les sans-papiers. J’étais déjà militant mais dans d’autres sphères. Pour soutenir cette cause, je suis allé voir ce que ça donnait et c‘est là que j’ai rencontré les Sœurs. Sœur Marie Sulpice m’a béni avec mon partenaire de l’époque et ça a été comme une sorte de révélation. J’ai fait ma lettre pratiquement dans les jours qui ont suivi. J’ai été reçu une semaine après. En septembre, j’étais postulant. Ensuite, j’ai été novice et après j’ai été élevé Sœur assez rapidement.
« Je viens de l’extrême gauche et je me retrouvais bien dans la façon que les Sœurs avaient de formuler leurs revendications et dans leur humour incisif, corrosif. La façon dont elles faisaient passer leur message était quand même plus joyeuse que celle de Besancenot. »
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rejoindre le mouvement ?
Je dirai qu’il y a trois raisons. La première c’est la question du VIH. J’avais découvert ma séropositivité depuis peu de temps et j’étais dans une sorte de rage, une rage intérieure, parce que dans mon métier je n’arrêtais pas de faire de la prévention et que malgré cela j’avais quand même été contaminé. Donc j’étais en rage de me savoir séropositif. Avec tout ce que cela implique : la question de la solitude, de se dire que tu ne vas peut-être pas trouver de partenaire, la question de la maladie, comment cela va évoluer. J’avais donc cette rage là et je voulais en faire quelque chose. Je voulais faire de la prévention mais différemment de celle que j’avais l’habitude de faire.
La deuxième raison, c’est la question du rejet au sein du milieu gay ou pédé, je ne sais pas comment dire. J’avais compris que les Sœurs se battaient sur ce sujet-là et ça rejoignait mon domaine militant. Je viens de l’extrême gauche et je me retrouvais bien dans la façon que les Sœurs avaient de formuler leurs revendications et dans leur humour incisif, corrosif. La façon dont elles faisaient passer leur message était quand même plus joyeuse que celle de Besancenot. Je commençais aussi à comprendre que ces manifestations visibles de l’homosexualité étaient une véritable forme de revendication et un message très politique.
La troisième raison est plus sociétale. À cette époque-là, on était dans tous les débats autour du mariage. Et c’est une bonne chose que, grâce à des cadres réglementaires et législatifs, nous ne soyons plus des citoyen·nes de seconde zone. Mais, dans mon fond intérieur de vieux marxiste, je me disais, mais putain, après trente ans de lutte ce qui intéressent les pédés, c’est de se marier comme des bons hétéros, d’avoir une famille, d’acheter une voiture, de s’endetter jusqu’à 75 ans pour avoir une baraque. Entrer chez les Sœurs, c’était une façon pour moi de bousculer ce qui se passait dans la communauté, de bousculer le nouvel ordre qui était en train de s’établir où l’idée n’était plus d’être dans la marge et de revendiquer d’être dans la marge et de vivre notre vie comme on le souhaitait, mais de se caler sur le modèle hétéro.
Pouvez-vous nous retracer brièvement l’histoire du mouvement des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, qui fêtent cette année leur quarantième anniversaire ?
Le mouvement est apparu en 1979 à San Francisco avec un groupe de pédés habillés en bonnes sœurs et armés de mitraillettes à eau, déboulant comme des furies en disant de s’aimer les uns les autres. Rapidement, plusieurs couvents se sont formés aux États-Unis puis en Australie. Il a fallu attendre une dizaine d’années en Europe, avec la fondation du couvent de Paris en 1990 devant la chapelle de la Sorbonne. Tout de suite après, il y a eu Londres et Berlin. Aux États-Unis, en raison de l’histoire sociale du pays, le mouvement est bien plus qu’une simple association et fonctionne comme une organisation caritative avec des galas et des levées de fonds qui sont redistribués ensuite à d’autres associations.
«
Lors de nos sorties, nous ne sommes pas que des distributrices de capotes, nous parlons de tout, du rapport des gens avec le tabac et l’alcool, du planning familial et des risques de grossesses avec les femmes. »
Pouvez-vous nous parler du Couvent des Traboules [un des deux couvents lyonnais, avec celui des 69 Gaules, NdlR] auquel vous appartenez et de ses activités ?
Aujourd’hui, le Couvent des Traboules compte trois Sœurs, une novice et quatre postulantes. Et nous avons trois formes d’actions en règle générale. Nous sommes présentes au Centre LGBTI de Lyon auprès des autres associations. De temps en temps on nous invite, ou alors on déboule comme ça dans diverses actions organisées par les associations du Centre. On engage la conversation, souvent avec des personnes que nous n’aurions pas l’occasion de rencontrer ailleurs.
Parfois, les associations nous contactent en amont et on se met d’accord sur un protocole d’intervention. Ce sont des moments de convivialité, d’échange, on voit un film, on boit un verre ensemble, en petit comité.
Enfin, notre dernier mode d’action, c’est ce qu’on appelle les maraudes. On se prépare et on part à la rencontre du grand public pour faire passer notre message de luttes contre toutes les discriminations, de prévention pour une santé sexuelle joyeuse et responsable. Personnellement, je n’utilise pas tellement le terme de prévention car je pense que les IST font partie de la vie sexuelle. J’essaye plutôt de savoir comment les gens envisagent des stratégies pour eux-mêmes afin de réduire leurs risques. Lors de nos sorties, nous ne sommes pas que des distributrices de capotes, nous parlons de tout, du rapport des gens avec le tabac et l’alcool, du planning familial et des risques de grossesses avec les femmes. Des pratiques de gens : ça peut être la douche anale, la sodomie, la fellation mais aussi de la manière dont les gens sont sexuellement dans leur couple. Nous sommes très libres dans nos discussions.
« Il y a une vraie capacité poétique des Sœurs. Certaines sont capables de faire des discours, des bénédictions qui sont vraiment très belles et très justes, alliant poésie et humour. On essaie de préserver cette tradition, qui est un peu notre marque de fabrique. »
Comment est-ce que vous vous formez vous-mêmes pour aborder ces thèmes autour de la sexualité avec le public ?
Nous avons la chance à Lyon d’avoir l’association FRISSE auprès de qui j’ai eu l’occasion de suivre plusieurs formations sur les mécanismes de réduction des risques ou sur l’animation de groupe qui ont vraiment facilité mon travail de Sœur. J’ai acquis des connaissances techniques à leur contact qui m’ont permis d’être plus à l’aise pour aborder certains sujets. J’ai également pu assister à des soirées dépistage de AIDES à mes débuts en tant que Sœur. Ces trois dernières années, je me suis également rapproché d’ACTIS à Saint-Étienne. Nous nous formons auprès des associations de santé sexuelle et nous organisons des conciles ou des synodes entre Sœurs. L’année dernière à Montpellier, nous étions une dizaine pour aborder la question du chemsex, notamment.
Ce qui frappe, lorsqu’on assiste à une intervention des Sœurs, c’est le travail du texte, des mots. C’est une tradition que vous faites perdurer ?
Oui, il y a une vraie capacité poétique des Sœurs. Certaines sont capables de faire des discours, des bénédictions qui sont vraiment très belles et très justes, alliant poésie et humour. On essaie de préserver cette tradition, qui est un peu notre marque de fabrique.
Enfin, à l’heure où les revendications politiques semblent se faire plus rares au sein de la communauté LGBT, ne pensez-vous pas que le rôle des Sœurs soit de réinjecter cette dimension politique ?
Oui, ne serait-ce que sur la question des discriminations au sein même de la communauté, à l’instar des Sœurs de San Francisco en 1979, nous continuons de lutter contre les stigmatisations et de rejeter la honte.
À voir
Exposition Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, 40 ans de trottoir et de lutte dans la joie, du 15 au 18 mai à la Mairie du 1er arrondissement, 2 place Sathonay-Lyon 1. Vernissage le 17 mai à 19h.
Exposition de Jean-Baptiste Carhaix dans le cadre du Grenoble Pride Festival, du 3 au 22 juin à la Maison de l’International, 1 rue Hector Berlioz-Grenoble
Conférence-débat en présence de Rita du Calvaire, Mère Fondeuse, ArchiMère Générale des Couvents de France, le 8 juin de 15h à 17h30 à la Bibliothèque de la Part-Dieu, 30 boulevard Vivier Merle-Lyon 3
Contacts
Le Couvent des Traboules : couventdestraboules.org
Le Couvent des 69 Gaules : couventdes69gaules.fr
© Sarah Fouassier
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