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Petits, gros, blancs, noirs, en pommes ou en poires, fermes ou tombants, les seins des femmes sont objets de fantasmes, mais également de tabous, en témoigne la faible représentation de leur diversité de taille, de forme et de couleur dans le milieu de la pornographie en ligne. Difficile de s’identifier aux performeuses de la pornographie mainstream lorsque l’on ne correspond pas aux critères de celles-ci. Dans ce milieu, les seins revêtent une importance capitale, sans pour autant représenter la réalité du corps des femmes, particulièrement au niveau de leur poitrine.
Dans le porn, la prédominance de l’irréelSi l’on demande à Bertoulle Beaurebec sa définition d’une poitrine normée dans le monde de la pornographie, sa réponse pose déjà le décor : « Une très grosse poitrine refaite, ronde, flottant d’une façon surréaliste par rapport à son poids et sa taille ». Lorsque l’on accède aux sites pornographiques les plus connus, et donc les plus fréquentés, on ne peut que rejoindre l’avis de la performeuse. Ça et là, les poitrines défient les lois de la gravité, jusqu’à pousser au questionnement sur notre propre cas. « La première fois que j’ai regardé du porno, c’est vraiment le truc qui m’a sauté aux yeux », soutient Julie, 37 ans, « j’avais la vingtaine, j’ai baissé les yeux sur ma poitrine et me suis surprise à me demander si sa forme était normale ».
Bertoulle Beaurebec au SNAP Festival
Difficile donc de trouver des vidéos de femmes aux seins non normés et, pour y parvenir, encore faut-il user la barre de recherche en mots-clefs spécifiques. « petits/gros seins, petits/gros tétons, poires, saggy… », énumère Annabelle, sociologue, « pour aller chercher des termes au-delà du gros et du petit, il faudrait déjà en connaître l’existence, et sans représentation – au quotidien comme dans le porn –, c’est aujourd’hui difficile ». Si beaucoup de femmes les connaissent, chez les hommes, la tâche semble plus ardue. « Franchement, quand je cherche une vidéo, je me casse pas la tête à essayer de trouver des seins en particulier. Si on les voit, ça me va ! », lance David, 31 ans. Le réflexe en la matière revient alors aux fétichistes. C’est le cas de Marvin, 27 ans, qui confie « ne pas pouvoir obtenir d’érection sans oeufs au plat ». Les tout petits seins, bonnets A, font exploser sa libido. « Le souci, c’est que ma notion de petitesse n’est visiblement pas la même que celle de la plupart des sites pornos », poursuit-il, « je peux donc chercher facilement une trentaine de minutes avant d’en trouver une qui me convienne ».
Du côté des MILF (Mother I’d like to fuck), l’irréel est poussé à son paroxysme. « J’aime bien regarder du porn quand j’ai la flemme d’imaginer, mais il me faut quelque chose qui se rapproche de mon corps et de mon âge », explique Lara, « le problème c’est que la majeure partie du temps, je tombe dans la catégorie des MILF sur les sites classiques, et je ne m’y reconnais pas au niveau physique en tant que quarantenaire ayant eu deux enfants ». Lara a ce que l’on appelle des saggy boobs, aka des seins qui « pendent », et en a assez de se voir implicitement bodyshamer par l’offre des sites pornographiques. « Le fait de cacher le véritable aspect du corps d’une grande partie des femmes, ayant eu des enfants ou non, c’est sexiste et révèle assez bien la cible de ces sites », soupire-t-elle.
Et en effet, le récent sondage du géant de la pornographie xHamster vient appuyer l’idée selon laquelle les principaux sites de porn tiennent pour cible les hommes.
Une offre modelée par les hommes, pour les hommesSur les 50 000 utilisateur·ice·s interrogé·e·s dans le monde, 25% se disent bisexuel·le·s, et « la grande majorité est constituée d’hommes » souligne le site. Le but du sondage ? Élaborer une intelligence artificielle répondant aux fantasmes des interrogés. Résultat, une jeune femme eurasiatique aux cheveux longs, lisses, noirs, les yeux bleus et… un bonnet D parfait. « Quand j’ai vu le compte Instagram créé pour cette IA, ça m’a énervée », confie Lara, « oui elle est jeune, oui elle est belle, mais c’est une création modelée par l’avis des hommes, et je suis fatiguée par ce principe ». La question de la forme des seins n’a d’ailleurs pas été posée ou il n’a pas été jugé utile d’en dévoiler les réponses, ce qui accentue encore l’invisibilisation de nombre de femmes dans ce milieu.
Shy Yume l’IA de Xhamster
Dans sa revue statistique de l’année 2018, les chiffres de Pornhub confirment que 2 visiteurs sur 3 sont des hommes. C’était ce que disait déjà une vieille étude sur la consommation sur les sites pornographiques datant de 2010 et sortie par OnlineMBA (sans qu’on sache trop leur méthodologie). « On est dans un cercle vicieux ici », explique Annabelle, « la demande, essentiellement masculine aux débuts du porn en ligne, a créé l’offre qui alimente des clichés, ancrant la demande initiale ». Les poitrines de femmes minces aux bonnets D, E et au-delà sont devenues une norme que l’on n’interroge plus vraiment dans le milieu de la pornographie mainstream en ligne. « De temps en temps, quelques sites reviennent prendre la température, avec un sondage comme celui de xHamster », poursuit la sociologue, « mais ils interrogent leurs utilisateurs, soit essentiellement des hommes qui se satisfont déjà de l’offre actuelle, et la valident à nouveau ». Difficile donc de se défaire des normes déjà contraignantes en société à l’égard des seins des femmes, et extrapolées dans le milieu du porn en ligne. « Étant donné que les seins des femmes sont hypersexualisés dans notre société , il aurait été impossible qu’ils n’occupent pas une grande place dans la pornographie », soulève Bertoulle Beaurebec.
Toutefois, la prédominance des fortes poitrines siliconées dans ce milieu vient modeler l’imaginaire masculin concernant le corps des femmes, et créer des complexes chez ces dernières.
« Je ne pouvais plus dormir sans soutien-gorge »Madeline, 29 ans, est sortie pendant deux ans et demi avec un homme qui lui a confié regarder du porn « au moins un jour sur deux, si ce n’est tous les jours ». « Le problème, c’est que cette consommation a créé chez lui des attentes irréalisables pour moi », explique la jeune femme, « lors de notre première nuit ensemble, il a eu l’air surpris en découvrant ma poitrine extirpée de mon soutien-gorge ». Lorsqu’elle lui demande pourquoi, son compagnon lui explique avoir été surpris par la différence entre sa poitrine liftée par un push up et la forme de celle-ci au naturel. « Ça m’a fait sourire, mais les remarques se sont succédé au cours de notre relation, au point de me créer de véritables complexes », déplore-t-elle. En effet, au bout de six mois, elle confie ne « plus pouvoir dormir sans soutien-gorge » lors des moments passés avec son petit ami. « Tous les hommes hétérosexuels ne sont pas comme ça, c’est vrai, mais ils ont, pour beaucoup, des attentes vis-à-vis de notre corps », note Madeline. Entre pornographie hétéronormée et sexisme ambiant, difficile effectivement d’écarter tout biais sexiste dans l’appréhension du corps des femmes par les hommes hétérosexuels.
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« C’est là que l’on note l’importance d’une éducation sexuelle dispensée auprès des adolescents », explique Annabelle, « si certains se confrontent au sexe en ayant reçu l’éducation nécessaire pour dissocier la pornographie du réel, d’autres, non ». Selon la sociologue, l’éducation sexuelle permettrait de remettre à zéro les idées préconçues tant sur le sexe que sur le corps des femmes. « Aujourd’hui, cette éducation est laissée à la société, aux représentations quotidiennes que l’on croise dans la rue, sur les publicités, à la télévision, dans les magazines… et sur internet au moyen des sites et images pornographiques », appuie-t-elle. Une idée partagée par Bertoulle Beaurebec. « On éduque les filles en leur disant que leur apparence est leur plus grande qualité. Qu’une femme accomplie se doit d’être désirée et convoitée par les hommes et jalousée par les autres femmes », explique l’actrice, « Alors quand on est abreuvées d’une représentation normée de ce qui est censé être beau chez une femme et qu’on ne possède pas les caractéristiques de cette représentation, on nourrit des complexes ». Entourées de poitrines défiant les lois de la gravité, les jeunes femmes voient alors leurs seins comme contraires à cette norme imposée.
Le féminisme et les réseaux à la rescousse« Je suis une femme, je consomme du porno sur internet, et en plus de ça, je suis lesbienne », souligne Elsa, 21 ans, « je ne corresponds absolument pas à la cible des sites de porn ‘classiques’ ». Par cela, l’étudiante souhaite dénoncer tant l’absence de représentation de son orientation sexuelle dans le porno mainstream, que le male gaze dominant dans celui-ci. « Il y a des vidéos de femmes ayant des rapports entre elles, mais on ressent clairement le male gaze (regard masculin) des réalisateurs, cadreurs, monteurs… Ces vidéos sont faites pour des hommes hétéros, pas pour moi », soupire-t-elle. Heureusement, Elsa a, depuis, découvert l’univers du porn féministe, plus proche de la réalité en termes de représentation des corps de femmes dans toutes leurs différences. « L’air de rien, ça fait du bien de voir une femme penchée avec des seins qui tombent comme les miens dans la même position », sourit Elsa.
Au-delà du milieu professionnel de la pornographie en ligne, les femmes ont également choisi d’investir les réseaux sociaux afin de reprendre la main sur la représentation de leurs seins. De la simple suggestion au soft porn, différentes techniques sont mises en œuvre en fonction des restrictions propres à chaque plateforme. Sur Instagram par exemple, la chasse aux tétons de femmes étant toujours d’actualité, les décolletés plongeants et autres t-shirts moulants prennent le relai. Chidera Eggerue, autrice à l’origine du #SaggyBoobsMatter (« les seins tombants comptent ») en a fait sa marque de fabrique. Surnommée « The Slumflower » sur les réseaux, la jeune femme de 24 ans arbore toutes sortes de décolletés, dévoilant une sublime poitrine tombante sortant des carcans imposés par les magazines, publicités, et l’offre pornographique classique. Alors qu’elle envisageait la chirurgie esthétique avant sa majorité, Chidera Eggerue a fini par rejeter les injonctions envers sa poitrine, pour embrasser pleinement la beauté de son corps au naturel. Ce self love, c’est d’ailleurs l’objet de son livre intitulé What a Time to be Alone, qui se veut manuel de réappropriation de soi en tant que femme dans un monde patriarcal.
View this post on InstagramOur gummy smile queen! #SAGGYBOOBSMATTER
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Sur Twitter, moins contraignant niveau censure sexiste visuelle, les femmes offrent aux utilisateurs et utilisatrices du réseau une représentation adéquate de leur corps au moyen de « nudes » (photo de nu) postés sur leur compte. Des petits seins, des gros seins, des seins qui pendent, des seins en transparence sous un t-shirt ou en gros plan, pris au reflex ou au smartphone… Il y en a pour tous les goûts, mais avant tout pour le self-love de l’autrice.
S’aimer soi avant toute autre personne, c’est aussi le crédo de Bertoulle Beaurebec. « Regardez les pornos, les magazines, le cinéma, la télévision, la publicité comme de la fiction. Car c’est bien de cela qu’il s’agit », conseille-t-elle, « Dans la vie réelle, personne ne se ressemble, il n’y a pas de modèle unique de beauté, et c’est tant mieux, on se ferait chier sinon ». Et l’actrice de conclure : « Pour plaire aux autres, il faut d’abord se plaire à soi. Plus que des seins, il n’y a rien de plus sexy que la confiance en soi ».
Image en une : Angela White
Cet article a été rendu possible par la contribution de leoluluftw à notre cagnotte de relancement sur Ulule.
Facebook supprime également les publications présentant de la nudité. On avait pris l’habitude depuis le temps qu’on scrolle les timelines des familles et des amis. Mais il est bon de rappeler que cette plateforme est également interdite au corps féminin dévoilé. Serguei Doublov en a fait les frais. Ce cliché, sans doute inspiré du photographe Lucien Clergue (ou de 9 semaines 1/2), trouve ici un asile paisible.
Modèle : Céline
Photographe : Serguei Doublov
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