Une poupée gonflable masculine avec un sexe pointé vers vous, des godes fluorescents sur les étagères, et même une balançoire en cuir pour des jeux entre adultes. Vous n’êtes pas dans un donjon encavé mais au Nirvana, l’exposition lausannoise qui tient ses quartiers au Musée de design et d’arts appliqués contemporains. Mudac pour les intimes. En parlant d’intimité, justement, ce thème qui réunit tous ces objets fétichistes, SM ou encore bondage au mudac, s’intitule «les étranges formes du plaisir». Une dénomination qui en dit long sur ce qu’il est donné à regarder d’un œil intrigué ou curieux. Mais attention, déployée sur trois étages, l’exhibition se veut surtout une enquête à la limite de la sociologie. Une occasion à saisir pour interroger la sexualité et la «normalité».
«Les gens viennent non pas pour exclure mais se sentir inclus» Maïa Mazaurette
Pas plus tard que mi-octobre, The Tree de Paul McCarthy avait été vandalisé. Un énorme plug anal vert installé sur la chic place Vendôme. Estimé déplacé, il s’est fait abattre. Mais l’art n’est pas là que pour être vu: «A mon sens, s’il a si mal été accueilli, c’est parce qu’il manquait des clés pour la compréhension», déplore Marco Costantini, l’un des commissaire de l’exposition lausannoise. Pour Nirvana, l’expérience est autre, les clés sont données pour une lecture transversale. Certaines pièces parfois s’approchent de l’œuvre de McCarthy ou parfois s’éloignent pour devenir des objets designs. Maïa Mazaurette, «sexperte» pour le magazine «GQ», analyse l’intérêt d’un tel étalage d’intimité: «En 2014, on ne sait pas ce que font nos voisins ou nos collègues. Mais cette ignorance ne nous permet pas de nous comparer à la norme.»
Montagne russe et traces d’usure
Le «Karimsutra», objet design de Karim Rashid (cliquer pour agrandir).
Voir ce que les autres font, les pratiques jugées comme déviantes ou hors normes, permettrait donc de saisir que nous ne sommes pas seuls dans l’univers à avoir des penchants pour l’uniforme en cuir. Ou que certains tentent le Kamasutra pour varier les plaisirs. Ici, un lit prêté par un privé. A ses formes dignes d’une montagne russe et ses traces d’usure, on devine qu’il n’a pas été conçu pour rester allongé en étoile de mer. Ce prêt reste un mystère: «On ne sait pas pourquoi le propriétaire a accepté», indique le commissaire, encore perplexe.
Tous n’assument pas l’utilisation sexuelle qui est faite de leur création. Certains aiment se faire marcher dessus avec des chaussures à talons, objets usuels mais dont la fonction originale a été détournée. Marco Costantini raconte: «Nous avons demandé à des maisons de mode des exemplaires. Elles ont refusé. Elles savent très bien ce que font parfois les gens avec, mais elles n’assument pas du tout cette image.» Preuve en est que le sujet reste sensible, caché, tu.
«Il y a un refuge vers la liberté individuelle et le plaisir dont on peut jouir gratuitement» Marco Costantini
«Le sexe est un sujet fascinant pour la quasi totalité des gens, mais il reste encore plein de tabous», estime Mark Woods, l’un des artistes exposés, qui crée de véritables objets d’art à partir de sextoys. Et pour briser la glace, échauffer les esprits, le créateur, en utilisant les références sexuelles, désire provoquer pour créer le débat autour «du genre, de la différence, de l’autre».
A rentrer dans l’intimité sexuelle, n’y a-t-il pas un penchant voyeuriste qui s’exprime? Pas selon Maïa Mazaurette: «On joue dans la sexualité une partie importante de notre identité. Alors oui, forcément, les gens vont venir. Pas tant par voyeurisme que pour se rassurer, pour non pas exclure, mais se sentir inclus. On est tous un peu bizarres.» Et le lieu pour entrer dans l’étrange est propice pour oser la découverte. C’est ce que pense Marco Costantini: «Le musée sert d’alibi, le regard est libéré, le visiteur est déculpabilisé.» La sexualité débridée et ouverte est dans l’air du temps depuis quelques années déjà. Le commissaire de l’exposition qui a d’ailleurs observé une abondante création d’œuvres inspirés des tabous, a son hypothèse: «Depuis les années 2000 et la crise économique, les gens veulent retrouver des valeurs plus humaines. Il y a un refuge vers la liberté individuelle et le plaisir dont on peut jouir gratuitement.»
éveiller des idées
De là à dire que tout est étalé sur la place publique façon hippie, non: «Il faut en discuter, car ce sont des choses que certains pratiquent, mais personne n’en parle. Les gens se protègent, parce que la société n’est pas encore totalement ouverte.» Donc pour Marco Costantini, il faut dédramatiser le fétichisme, car c’est une forme de préliminaires. Cette exposition pourrait-elle pimenter nos pratiques ? Pour la «sexperte» Maïa Mazaurette, «il y a une curiosité. Mais passés les premiers tests, la plupart d’entre nous reviennent au sexe vanille, normé. On n’a pas forcément besoin de se mettre la pression ou d’être dans la subversion à tout bout de champ.» Mais Nirvana c’est aussi, souligne Marco Costantini, l’opportunité retourner à des fondamentaux, au lieu de s’adonner à la pornographie du tout voir tout montrer.
Nirvana, les étranges formes du plaisir, jusqu’au 26 avril 2015 au mudac à Lausanne.
» www.mudac.ch