Catherine Deneuve en Belle de jour, de Luis Bunuel (1967).
J’allais écrire un truc sur les brattes, vous savez, cette espèce en voie de multiplication, à mi-chemin entre le bébé phoque et la girafe au triple-galop…
Le hasard étant ce qu’il est, je suis tombé sur une conversation plutôt substantielle tenue, il y a quelque temps, dans le groupe cercle O dans Fetlife. La question posée par une soumise m’a amené à écrire une réponse qui s’est transformée en conversation. J’ai eu envie d’en extraire quelques mordées, avec quelques passages venant de membres du groupe.
On parle ici d’un élément central, si j’ose dire, de la soumission érotique.
L’espèce-qui-se-multiplie peut attendre. Anyway, je crois que ça se rapporte au même sujet.
Voici le texte de départ, donc.
Si la soumise ne s’oppose pas?
Je vois passer cette question d’une femme qui s’est soumise à moi pendant un bon moment. Ce qui m’a donné envie de répondre.
Elle demande :
N’est-ce pas le propre de la domination de sentir cette forme de pouvoir, de contrainte…. Si on (la soumise) ne s’oppose pas un tant soit peu, est-ce qu’on annihile le rôle de dominant?
Je réponds :
Je ne vois pas pourquoi le manque d’opposition de la soumise annihilerait le pouvoir du maître. Il y a quelque chose d’un peu absurde là-dedans, puisque c’est ce qui est souhaité (en principe) de part et d’autre.
C’est pas un combat la relation de pouvoir… même si je sais qu’il y en a qui aiment ça.
Après tout, ce qu’il veut le maître, en principe, c’est de prioriser ses besoins et ses désirs. C’est plus simple et agréable de le faire, de mon point de vue, quand la soumise ne passe pas son temps à remettre en question le pouvoir qu’elle souhaite déléguer. Il y a un temps pour ça.
Faque non, c’est pas plate une soumise qui obéit bien et se comporte bien.
Désobéir par masochisme ou… quête d’attention
Les réactions au texte de départ méritent la réflexion, pour qui cherche à démonter le mécanisme de l’obéissance.
« Je dois obéir donc si j’obéis tout le temps je ne permets pas à mon dominant de me châtier? »
Jean-Léon Gérôme, « Phryné devant l’aréopage » (1861).
Commettre une faute, réelle ou fictive, se révèle en effet un excellent moyen d’obtenir de l’attention de la personne dominante. Or, quand celle-ci cède constamment à l’attention exigée par la personne soumise, on peut se demander qui domine qui…
Dans ces situations, c’est comme si la personne soumise trouvait son plaisir dans l’attention qu’elle obtient du Maître, et non dans ce qu’elle peut offrir au Maître.
Ma Reine n’a pas besoin de raison pour me châtier. Il y a bien longtemps que nous avons dépassé ce stade de récompense/punition.
Châtier son soumis ou sa soumise, c’est admettre qu’il-elle ne s’est pas bien comporté. Et un-e soumis-e qui passe son temps à mal se comporter, c’est pas avec ça qu’on bâtit une relation saine et enrichissante dans la durée.
Cette part qui aspire à se donner
« … qu’elles soient désespérées ou qu’elles soient ludiques, leur rébellion, leur résistance ne sont pas seulement un jeu dirigé contre le dominant, elles s’adressent aussi et sans doute avant tout à cette part de soi-même qui aspire à se donner, qui ne peut prendre le dessus que si elle trouve dans la fermeté du dominant l’allié qui lui est nécessaire dans ce combat intérieur. À nous d’être là.«
C’est tout à fait vrai. Je peux très bien le concevoir.
Cette fermeté est même vitale, même s’il y a une ligne à ne pas franchir, n’est-ce pas?
Il faut néanmoins souligner que chez plusieurs femmes aspirant à être dominées (et non à se soumettre, pour reprendre cette distinction faite que j’estime valable), il semble que la fermeté ne suffit pas.
Je veux dire : quand bien même ces « combattantes » trouvaient la fermeté nécessaire afin de les mater, c’est comme si ça ne suffisait jamais.
Un fuite en avant?
C’est comme si nous assistions à une forme de fuite en avant.
Le dominant se retrouve à ne jamais être assez, à ne jamais suffire, comme si la combattante cherchait constamment LA faille, avec l’espoir de pouvoir enfin se dire « Aaaaah ah! Je l’savais que…! » afin de pouvoir se donner raison en bout de ligne de ne pas céder le contrôle.
Alors ce combat, c’est pour justifier leur incapacité à réellement déposer les armes et à lâcher prise? leur incapacité à laisser le contrôle à l’autre? Est-ce pour ne pas montrer la peur chienne qui les tenaille? Qu’elles, elles ne sont pas des femmes « faciles »? Est-ce que c’est pour ne pas briser leur fantasme du dominant parfait (l’équivalent du Prince charmant, version cuir)? Pour ne pas être se retrouver en désaccord avec leur « liste d’épicerie »? Ou est-ce pour ne pas être se retrouver en désaccord avec leurs valeurs?
Une lutte contre soi-même
« Je trouve que c’est plutôt émouvant, cette lutte contre soi-même : ce que dit alors la personne au Dom, c’est ‘aide-moi à baisser les armes, à venir à bout de mes barrières intérieures’. »
Cette lutte contre soi-même, observable chez une femme attirée par l’échange de pouvoir érotique et effrayée par cette attirance, met en évidence le caractère paradoxal de la soumission érotique.
Je pencherais pour la dernière solution : un conflit (apparent) entre désirs et valeurs. Mais dans ce cas, est-ce un appel à la fermeté, ou plutôt un appel au dialogue que lance la personne, lié au besoin de mettre des mots sur des craintes et des désirs, d’être rassurée sur la confiance qu’elle peut accorder à l’autre, une fois qu’il aura levé ses derniers doutes ? »
Je doute de la notion de « lever les derniers doutes ». Même réduit à sa plus simple expression (soyons optimiste), le doute est toujours présent (mécanisme de survie?). Au mieux, il subsiste à l’état de veille, au pire, tapi dans l’ombre attendant le moment idoine pour exploser.
Combien de femmes se chamaillent avec leur soumission? Combien de femmes doutent d’elles, de leurs fantasmes, de leurs capacités à se soumettre, de leur équilibre, de leurs qualités, de leurs partenaires, etc.?
Le mieux que l’on puisse faire dans les circonstances (on n’est pas des psy), c’est de les faire entendre ces paradoxes et trouver une manière de les identifier, les nommer.
Peut-être même en arriver à les accepter?
Un duel de volontés
La fermeté ne m’a jamais semblé la chose à faire dans ce combat de la soumise face à elle-même. Pour faire court, on va dire que les valeurs dites libérales d’égalité prennent le dessus, ou est-ce la honte et la culpabilité combinées…
Le combat devient alors entre la personne dominante et la personne soumise, un duel de volontés. Avec tous les à-côtés qui viennent complexifier le portrait et la démarche.
La vidéo ci-dessus illustre bien le capharnaüm qui parfois s’installe dans une relation de pouvoir…
Par ailleurs, il n’est pas rare également de retrouver dans les écrits de ces combattantes des termes comme « mâle alpha », « vrai dominant », « dominant naturel »… Pour avoir en croisé régulièrement de ces femmes, j’ai fini par me dire (sans néanmoins en faire un mantra) que ces combattantes se font, je trouve, une idée très haute de leur valeur, de leur soumission.
Au fil du temps, dans ce type de situation, cela m’a donné parfois l’envie de paraphraser le grand Molière :
– « Vous aurez beau faire Monsieur, dit la jolie marquise, vous n’aurez jamais mon coeur. »
– « Je ne visais pas si haut, Madame. »
Ladite conversation dans le groupe cercle O dans Fetlife : la relation de pouvoir érotique n’est pas un combat… ou l’est-ce?
L’article La relation de pouvoir érotique n’est pas un combat… ou l’est-ce? est publié dans le site cercle O - L'échange de pouvoir érotique.