Replaçons le contexte: Nous sommes en 1990, et la mode en est encore aux discothèques; ces salles embrumées où l’on est assis sur des banquettes de velours, où la musique est un florilège des tubes qu’on entend à la radio, d’un disc jockey qui parle entre les morceaux, et bien sûr, des slows. Des boums pour adultes, en somme. Dans ce contexte suranné, Alexandre Herkommer désespère. Il s’échappe alors avec son pote Stéphane à Paris et découvre le Boy, le Palace, la Luna… ces établissements mythiques qui proposaient en avant garde les premiers sons de house music, et aussi le Heaven à Londres, le Paradise Garage à New York ou encore le Warehouse de Chicago.
Remplis de groove et d’idéaux, Alexandre et Stéphane s’associent à Mandrax et d’autres agitateurs nocturnes et trouve un lieu pour proposer cette première soirée Jungle, le Casino de Montbenon. Le dimanche, le restaurant est fermé et il n’y a rien à faire, ce sera donc ce soir-là. Commence alors l’ère des veilles de fériés, ces dimanches où l’on peut faire la fête en toute impunité puisqu’il n’y a pas école le lendemain. La soirée est complète; avec dîner, spectacle, puis soirée dansante, elle a pour vocation d’être un lieu de rencontre, autant que de découvertes artistiques.
Le succès sera retentissant. Des Djs devenus depuis célèbres s’y sont succédés; Laurent Garnier, Frankie Knuckles, David Morales, Suzanne Bartsch… la liste est longue! Forts de leurs succès, suivront alors les soirées Salvation, Crash, Ayor, et bien sûr, le rendez-vous hebdomadaire des aficionados de la nuit, des coiffeurs qui ont congé le lendemain, des pères de famille honteux, la Trixx, cette soirée du dimanche, dans la petite salle du Parloir au sous-sol du MAD, qui a pourtant vu passer les plus grands Djs.
Coup de grâce
On aurait pensé que ce conte de fées ne s’arrêterait jamais, et pourtant, lorsque Pascal et Monique Duffard, les créateurs du MAD, quittent le navire, le vent commence à tourner. Fin des spectacles et des concerts, la programmation devient plus commerciale. Pour Alexandre, le coup de grâce, c’est la fin des soirées du 1er décembre, cet essentiel événement de soutien pour la lutte contre le sida, qui permettait à tant d’associations de vivre. L’ère est au profit. Alexandre le regrette, et petit à petit l’écart se creuse, jusqu’à la rupture du contrat par l’établissement, en fin d’année dernière. Pour l’organisateur, le coup est rude, et il quitte avec amertume cette baraque où il a passé 25 ans. Mais il ne s’avoue pas vaincu, son envie de proposer de la bonne musique et un espace de rencontre pour notre communauté a raison de sa déception, et c’est désormais à l’ABC, le club dans le club du D! qu’il installe ses soirées Trixx du dimanche. Banco.
Vous souvenez-vous de votre première Jungle? Lorsque toute la semaine la précédent vous choisissiez votre tenue, votre timidité avant d’entrer, l’impact de cette foule gay tout autour de vous, cette phrase dans votre tête, ils sont si nombreux, je ne suis pas seul-e… C’est à ça qu’Alexandre pense lorsqu’il prépare ses soirées. A permettre la rencontre, l’amusement, le plaisir. Que vogue encore longtemps ce grand bateau qui a créé tant de rencontres nocturnes et de danses effrénées…
» gay-party.com
» Prochaine Jungle: le 5 juillet au D!Club, et d’ici là, des Trixx tous les dimanches à l’abc.
» A noter également au MAD, des soirées Game Boys qui se tiennent tous les dimanches. Des éditions spéciales de ce nouveau rendez-vous sont également programmées les dimanches veille de jours fériés.
3 questions à Alexandre Herkommer
– Quelle était l’ambiance des premières Jungles?
– Au début, c’était très neuf comme événement, les gens étaient intimidés. Ils arrivaient sur la pointe des pieds, tout excités. Et une fois l’assurance d’un verre ou deux, c’était l’explosion, tout ce qu’ils retenaient en dehors, ils le laissaient sortir ici, c’était fou, l’ambiance était survoltée.
– Que te reste-il de ces 25 ans de soirées?
– D’abord, c’est les amitiés que j’ai tissées avec les artistes, certains sont vraiment devenus de très bons amis. Et bien sûr, il y a le public. Ces gens que tu recroises des années plus tard, certains en couple, et qui te racontent qu’ils se sont rencontrés la première fois à l’une de tes soirées. Ça, je trouve très beau, je fais aussi ça pour ça, créer des liens, rendre les rencontres possibles.
– Qu’est-il arrivé au fameux Cinéma XXX, la back-room des Jungles?
– Il y avait ce cinéma dans le MAD, on s’est dit qu’y passer des films X et en faire une back-room serait fun. A l’époque, les rencontres de ce type ce n’était pas facile, c’était l’époque des rencontres dans le noir! Et puis tout à changé, avec internet, la facilité des rencontres, le pacs… tout d’un coup, ça n’avait plus de sens de maintenir ça dans une discothèque, ça appartenait au passé.