Architecte naval de formation, Romuald Giulivo est notamment l’auteur d’une trilogie gothique chez Bayard jeunesse et de plusieurs romans inspirés par l’actualité à L’école des Loisirs.
Extrait
Ça y est, c’est fait, mon père est mort. Hier, ou cette nuit, ou ce matin, je ne sais pas et peu m’importe. Je suis barricadé dans ma chambre, recroquevillé sur mon lit, et je ne veux plus y penser. Les gens s’agitent dans les couloirs et je me bouche les oreilles, j’appuie fort pour ne pas les entendre qui hurlent de joie quand ils devraient pleurer. Ils ne se cachent pas en passant devant ma porte, mais je ne leur en veux pas. Moi aussi j’ai les yeux secs, moi aussi je l’ai presque oublié. J’ai promis et je tiens bon pour l’instant. Parce que je m’y suis préparé, parce que j’ai beaucoup bu. Et puis surtout parce que c’est trop tôt.
Maintenant je me souviens, ça m’a fait pareil avec maman. J’avais sept ans et je n’ai pas versé une larme pendant des mois. A la maison on était intrigué par le calme avec lequel j’avais reçu la nouvelle, on s’étonnait que je ne pose aucune question. J’étais habitué à son absence et il m’a fallu longtemps pour réaliser. Mais même après, quand j’ai fini par comprendre, quand j’ai arrêté durant la nuit de guetter ses soupirs ou les râles de ses amants, je n’ai pas flanché. J’ai continué de vivre, apprendre et grandir comme si de rien n’était. Je sentais mon père très affecté et je voulais le protéger, l’empêcher de sombrer. Ça a marché puisque, dès l’hiver suivant, il était remarié. Maintenant, je ne me souviens par contre ni de la cérémonie ni du banquet, la fête a duré deux jours et il n’en subsiste pas une trace dans ma mémoire. Je me souviens seulement que c’est à ce moment-là que j’ai craqué. Je me suis effondré et j’ai laissé déborder les flots de larmes qui m’étouffaient. C’est pour ça que je n’en ai plus une seule à offrir à mon père. Mes larmes je les ai toutes données à maman.
Je fais pourtant semblant chaque fois qu’on vient frapper à ma porte. Je me mouche dans le drap, renifle, utilise le peu de vie qui subsiste en moi pour gémir et réclamer la paix. D’abord c’est ma sœur qui se présente, elle dit : « S’il te plaît, ouvre-moi », elle dit : « Tu ne dois pas rester seul, enfermé », alors qu’elle pense tout le contraire. Je l’aime beaucoup ma sœur, même si c’est devenu une sacrée conne. Un fossé s’est creusé entre nous, nos routes se sont éloignées pour prendre des directions opposées, mais je ne parviens pas à l’en blâmer. C’est comme ma belle-mère, qui la rejoint peu après. Elle joue l’éplorée, demande à se blottir dans mes bras, à m’embrasser, elle en rajoute des tonnes et je ressens à peine le désir de l’étrangler. C’est impressionnant comment elles se ressemblent ce matin. Je ne dais pas si elles s’en aperçoivent, si elles se rendent compte combien elles sont ridicules ou si, à force de geindre, elles croient à leurs simagrées. Elles refusent de lever le camp et leurs plaintes me vrillent les tympans, amplifient la douleur sous mon crâne. Je pourrais hausser le ton et leur dire d’aller se faire voir toutes les deux, ce n’est pas l’envie qui m’en manque, cependant je devine que ce n’est pas la meilleure chose à dire. Pour m’en débarrasser, je dis ce qu’elles souhaitent entendre. Je dis que je ne veux parler à personne et que je ne sortirai pas de ma chambre. Ni aujourd’hui, ni demain, ni peut-être plus jamais.
Résumé
A la mort de son père, un garçon se retrouve confronté à ses envies et ses désirs et à ceux de son entourage hors du commun. L’Histoire retiendra son surnom, Britannicus, et encore.
Avis
Qui, aujourd’hui, est capable de dire, sans mentir : « Je sais qui est Britannicus ! » ? Moi-même, j’avoue sans honte que Britannicus me renvoie à Racine, sans plus. Mon professeur de français n’avait pas souhaité que nous étudiions cette pièce ni aucune autre de cet auteur, il préférait les œuvres de Molière.
Mais revenons à ce garçon mort à l’âge de quatorze ans et dont personne ne sait s’il a été assassiné et, si ce crime a bien eu lieu, qui est ou qui sont le ou les assassins.
Ce dont les historiens sont sûrs, c’est que les parents de Britannicus étaient Claude - le petit-fils de Marc Antoine, l’amoureux transi de Cléopâtre - et Messaline. Et encore.
Issue de la haute noblesse romaine - c’est l’arrière-petite-fille de Marc Antoine, l’amoureux transi de Cléopâtre et la nièce du père de Néron -, Valeria Messalina fut assassinée en partie à cause de sa nymphomanie, à l’âge de 24 ans.
Cette mort suspecte, car à l’époque il était courant de participer à des orgies, voire de se prostituer, cette mort donc arrangea beaucoup Agrippine et son ambition.
Agrippine peut devenir la nouvelle épouse de Claude qui adoptera bientôt son fils Néron. A noter qu’elle sera aussi sa dernière épouse.
Je ne vous détaille pas plus la filiation des uns et des autres : frères, sœurs, cousins, cousines, oncles, tantes, on passerait des heures à démêler l’arbre généalogique de la dynastie julio-claudienne ! OR, si vous ne le savez pas encore, je ne suis pas professeur et, SURTOUT, il est inutile d’en apprendre davantage pour lire Où es-tu Britannicus ?
L’histoire que nous conte Romuald Giulivo est celle d’un adolescent de la Rome antique victime de crises d’épilepsie de plus en plus violentes qui, peu à peu, lui font oublier des pans entiers de sa vie.
Si je ramène ce roman à un aussi court résumé beaucoup trop succinct, c’est voulu, vous vous en doutez.
Que pourrait-il arriver de plus désastreux à un jeune homme qui n’a plus ni père ni mère, aucun véritable ami, dont le frère adoptif vient de devenir Empereur et qui est très conscient de sa mort prochaine ?
Qu’a bien pu inventer cet écrivain de si captivant pour que le lecteur n’éprouve pas l’envie de refermer le livre avant de l’avoir terminé ? Car, je vous l’assure, vous ne lâcherez pas cet ouvrage avant son point final. MAIS NE COMPTEZ PAS SUR MOI POUR VOUS EN DEVOILER PLUS SUR SON CONTENU !
Romuald Giulivo a eu l’audace et la grande intelligence d’écrire Où es-tu Britannicus ? en employant un langage et un vocabulaire très actuels qui rendent encore plus vivant ce garçon qui s’appelait Tiberius Claudius Caesar Germanicus.
S’il vous faut une comparaison, je pencherais pour L’éternel retour (réalisateur Delannoy, « adaptation de Tristan et Iseult de Cocteau) en plus noir et plus aveuglant, genre ados romantiques exacerbés et fous de la Vie et de TOUT ce qu’elle peut leur offrir.
Quoique cette citation de Nietzsche « Si le devenir est un vaste cycle, tout est également précieux, éternel et nécessaire » et cette autre de Sénèque « L’amitié est toujours profitable, l’amour est parfois nuisible » représentent elles aussi le Britannicus de Romuald Giulivo, tel que je l’ai perçu.
Vous l’aurez compris : j’ai aimé. Beaucoup. Et je pèse mes mots.
Où es-tu Britannicus ? est vraiment un très beau roman.
Et n’en déplaise à l’éditeur, ce n’est pas un roman exclusivement pour adolescents, encore moins pour adolescents décérébrés, nourris à la téléréalité. Quelle ineptie !
Libraires, s’il vous plaît, changez ce livre de rayon !
Où es-tu Britannicus, Romuald Giulivo, éditions L’école des Loisirs 9 €