Émois à la rédaction il y a quelques semaines où l’on apprenait que Janice Griffith était de passage à Paris et enthousiaste à l’idée de répondre à nos questions. Moins de 24 heures après, nous retrouvons Janice dans mon penthouse du 16ème. Cette dernière n’est pas venue en France pour parler de porno mais de SpankChain, l’entreprise dont elle est l’ambassadrice et la co-fondatrice. Serious business ? Assurément, même si une partie de cette interview très 420 friendly n’a pas été exploitée, on y parlait de Georges Perec, des fruits de saison et de considérations linguistiques dont la subtilité n’appartenait qu’au moment présent et au taux de THC des intervenants. Pertinence limitée d’autant plus que les préoccupations et les ambitions de Janice dépassent désormais largement la sphère de l’entertainment. Une actrice engagée, militante avec un pied déjà hors du porn. Rencontre menée de main de maître par Lilsdr, notre crypto-sexpert.
Bonjour Janice. Il paraît que c’est la première fois que tu viens à Paris, tu n’as jamais eu l’occasion avant ?
J’aurais aimé venir, mais je travaille beaucoup… Et depuis que j’ai regardé Taken je ne veux pas voyager seule. Je ne parle pas très bien le français et ça me fait un peu peur de voyager dans un pays étranger dont je ne parle pas la langue.
D’ailleurs, tu n’es pas ici directement pour le porn ?
Non, mais c’est lié ! Il y a ce week-end à Paris l’Ethereum Community Conference (interview réalisée le 10 mars dernier – ndlr) et notre PDG Ameen Soleimani a fait un talk sur SpankChain pour nous faire connaître. SpankChain est une plate-forme de crypto-monnaie pour l’industrie adulte et notre objectif est de faciliter le paiement par crypto-devises lors de l’achat de porno. Ou même juste tipper votre modèle préféré. Aujourd’hui lorsque Google Wallet découvre ce que vous faites comme travail, il vous ferme votre compte. Idem pour PayPal, Square Cash, Venmo, App Cash, Gift Rocket, Circle Pay… Donc je ne les utilise pas. J’ai eu un Google Wallet et pris Square Cash pendant un temps, mais les deux m’ont shutdown. Par contre j’ai un compte Paypal perso, avec mon vrai nom, je ne l’utilise jamais pour ce qui s’approche de près ou de loi au porno. Il existe depuis le lycée, je le garde en sécurité et je le protège du monde extérieur !
L’industrie porno est très discriminée par les plateformes de paiement à travers le monde. SpankChain est née de l’idée que la technologie blockchain peut aider à donner plus de pouvoir à ceux qui font l’industrie et donner aux artistes davantage d’influence sur ce qui se passe. La plupart des sites de clips (Clips4Sale, Manyvids… – ndlr) vous prennent entre 30 et 45% de vos gains et ce sont seulement des frais de traitement. Vous imaginez récupérer seulement 70% de votre salaire ?
(On se retient de parler de fiscalité française, par professionnalisme) Comment es-tu arrivée là dedans ? Au début on s’est même demandé si tu codais…
(rires) Ah non pas du tout ! Nous nous sommes rencontrés par des amis en commun. Ils m’ont parlé de leur idée et m’ont tout de suite dit qu’ils voulaient trouver un moyen de donner plus d’argent aux travailleurs du sexe. J’ai évidemment répondu que j’étais intéressée. Ça fait presque un an que je travaille avec eux. Le mois dernier, j’ai justement signé pour travailler plus régulièrement chez SpankChain. Ça tombe bien car je prends une petite pause, le temps de me débarrasser des cicatrices de la teigne liée à la récente épidémie qui a touché le milieu.
On travaille entre autres sur la façon dont les prestataires de service de paiement discriminent les gens en fonction du contenu qu’il autorisent ou non. Aux États-Unis, nos sites ne peuvent par exemple pas montrer le sang des règles, même si ce n’est pas illégal. Avoir des relations sexuelles avec vos règles n’est pas illégal, mais parce que c’est du sang, nous ne pouvons pas le montrer en vidéo. Ces intermédiaires financiers ne sont pas à l’aise avec ce contenu. C’est vraiment marrant cette façon d’être surveillés par des gens qui n’ont rien à voir avec nos affaires. Je ne blesse personne, je ne fais rien d’illégal, ni de moralement répréhensible. Peut-être que beaucoup de gens ne sont pas à l’aise avec leurs règles, ou pensent que c’est sale et mauvais, parce qu’il n’y a pas beaucoup de représentation dans les médias. S’il y en avait, peut-être qu’une partie des stigmates contre la menstruation disparaîtraient. L’existence visuelle d’une telle représentation dans les médias pourrait avoir un impact significatif sur notre culture. Si on pouvait aussi faire disparaître la discrimination opérée par les services de paiement en ligne, même un petit peu, notre culture changerait.
D’une manière générale la pornographie guide beaucoup de choses, amorce des tendances comme pour les poils pubiens féminins. C’est ce type de changement qu’on essaie d’amorcer avec SpankChain, un changement sur la façon dont tous les artistes sont payés. La pornographie a toujours eu le potentiel d’être à la pointe de l’innovation technologique. Internet a créé une demande folle pour la pornographie et cette demande a créé l’Internet que nous connaissons. Et il y a une place énorme pour encore plus d’innovation et de changement dans la pornographie d’aujourd’hui. D’autant que la génération la plus âgée, celle de l’âge d’or du porn, a maintenant lâché l’affaire en ce qui concerne l’innovation. Les plus jeunes adoptent de plus en plus les systèmes de paiements par cryptomonnaie, ce n’est plus qu’une question de temps.
Vous avez trouvé un très bon nom avec Spankchain et Cryptotitties aussi !
Merci ! Cryptotitties est notre première preuve de ce concept, du style : “voici un aperçu de ce que nous construisons, quelque chose qui fonctionne, vous pouvez l’utiliser aujourd’hui”. Nos modèles connaissent les cryptomonnaies, elles ont des portefeuilles électroniques et elles sont vraiment bien payées. J’aime bien quand les gagnent plus d’argent pour ce qu’ils font !
L’un des avantages des cryptomonnaies – et c’est mon opinion personnelle, je ne veux vexer aucun des crypto geeks, je vous aime je vous le promets – mais ces nerds se sont faits un paquet de fric et ne font pas grand chose pour le dépenser, à part des drogues, le dernier CD de Björk ou peut-être une pizza en livraison. C’est un écosystème encore tout nouveau. Aussi la transaction est beaucoup plus rapide, elle n’est pas attachée à votre nom, elle n’apparaît donc pas sur vos relevés bancaires. Pas de honte à avoir, si jamais il doit y en avoir !
Tu parles souvent du contrôle, comme un moyen d’empowerment, est-ce que c’est comme ça que tu vois ta vie, ton travail ?
Je suis une control freak. J’aime pouvoir dicter exactement ce que je veux et ne pas avoir à me contenter de moins que ça. Je suis à un moment de ma vie où je peux me le permettre. Ceci dit, je ne peux que prendre la responsabilité de mes propres décisions. Dans la plupart des sociétés, seulement un petit nombre de personnes contrôlent la grande majorité.
Justement, tu es très prolixe en ligne, sur twitter notamment, en ce qui concerne le gouvernement américain par exemple. Récemment tu t’es élevée contre la nouvelle loi SESTA?
Le gouvernement est censé être là pour que le peuple ait le contrôle. Il est censé nous représenter, représenter nos valeurs, faire voter des lois qui sont bonnes pour nous… La loi SESTA (Stop Enabling Sex Traffickers Act et Fight Online Sex Trafficking Act) porterait atteinte à l’article 230 du Communications Decency Act qui protège les sites web contre la responsabilité du contenu individuel qu’ils hébergent. Cette loi rend les sites web responsables et donc sujets à des procédures dans le cas où ils hébergeraient des contenus en rapport avec le trafic sexuel. Les nombreux sites concernés par une loi aussi floue ne sont pas tous utilisés pour des prestations, mais souvent comme forum pour les travailleurs du sexe, des endroits où ils peuvent s’enformer mutuellement de clients dangereux par exemple. Avec cette loi, nous pouvons nous attendre à ce que tous les sites mainstream et les réseaux sociaux suppriment les comptes des travailleurs du sexe inscrits sur leur plates-forme. Le temps et l’énergie requis pour ces enquêtes sont très lourds, les réseaux jugeront rapidement qu’il est plus simple de ne pas laisser s’inscrire les travailleurs du sexe. On peut se faire supprimer son compte – cela s’est déjà produit de nombreuses fois – quand par exemple un groupe de chrétiens en colère vous dénonce pour trafic sexuel. Cette loi va faire que cela se produira à une toute autre échelle, beaucoup plus grande, tout en entraînant des poursuites criminelles.
Pour en revenir à cette histoire de contrôle, j’ai appelé mon sénateur, mais il a quand même voté pour le projet de loi. Alors je l’ai rappelé et je lui ai dit que je ne voterai plus pour lui. Grâce à Internet, nous pouvons partager l’information, dénoncer les injustices, lancer des actions et c’est incroyable de voir la vitesse à laquelle ces manifestations se propagent aujourd’hui. J’ai pu partager des liens qui expliquaient à quel numéro vous pouviez joindre votre sénateur, ou des exemples-types de ce que vous pourriez lui dire pour vous opposer au projet de loi, avec des centaines de milliers de personnes. Ce n’était pas possible avant. Nous avons du pouvoir si nous travaillons ensemble, comme pour le contrôle des armes à feu, à la suite des fusillades dans les écoles. Beaucoup d’adolescents seront en âge de voter cette année et ils sont en colère.
Le porno n’est pas directement relié au « trafic sexuel », donc vous êtes plutôt concernés « par extension » ?
Nous sommes la partie la plus visible de ce qu’ils appellent le « trafic sexuel ». A travers le monde, beaucoup de gens vont appeler « pornographie » du contenu qui se rapproche plus de l’esclavage et qui a clairement été produit de manière illégale. Ce projet de loi est très vague, il attaque avant tout des communautés marginalisées. Les mauvaises lois commencent toujours par opprimer les gens dont personne ne se soucie. Ceux qui seront effacés avant tout le monde. Et SESTA est une attaque contre la liberté d’expression, qui contredit directement l’article 230 de la Communications Decency Act, qui est décrit comme la pierre angulaire du droit de l’Internet depuis 1996.
Ton compte Twitter est une plateforme privilégiée pour faire passer ton message…
Je ne comprends pas pourquoi les gens s’énervent que je ne sois pas à poil tout le temps sur Twitter, alors qu’ils peuvent me trouver nue et clairement « sans opinion » partout ailleurs sur Internet. Si vous me suivez sur Twitter, il faut savoir que je partage pratiquement uniquement mes opinions. Et des blagues stupides. C’est un média de la vie réelle et c’est par là que je me connecte à ma fanbase qui a plus ou moins mon âge – parce que nous ne sommes pas si différents. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi il y a autant de gens qui me suivent et qui écrivent des commentaires terribles sur tous mes trucs, généralement je les repère au drapeau confédéré qu’ils ont en photo de profil (rires). Je les bloque immédiatement maintenant.
Ce qu’on remarque tout de suite sur Internet, c’est ton amour pour la weed. Tu fumes aussi au taf ?
Weed ! Weed ! Weed ! En réalité je fume tout le temps. Je souffre d’anxiété et ça m’aide. J’ai une ordonnance pour du cannabis en Californie. Je devrais prendre du Xanax ou quelque chose dans le genre mais je ne veux pas être une personne qui prend des médicaments tous les jours – sans vouloir vexer les gens qui en ont besoin, les médicaments existent pour une bonne raison. Je ne serais tout simplement pas moi-même, alors je suis très reconnaissante à l’herbe. Ça ne me rend pas incapable en société, je peux prendre des décisions très claires, puisque je ne deviens pas crazy avec ça. On me laisse fumer de l’herbe au travail ; c’est cool la Californie pour ça. J’ai mon vapo sur moi, donc je n’ai pas besoin d’interrompre quoi que ce soit pour aller fumer. La plupart des gens sont OK avec ça et je suis à un point de ma carrière où je peux fumer sans pour autant être trop défoncée. Quand j’ai commencé à tourner, j’ai fumé sur le plateau avec quelqu’un et elle en a trop pris. Je me suis promis de ne plus jamais faire fumer quelqu’un que je ne connaissais pas. Je me sentais responsable même si c’était une adulte supposée prendre des décisions par elle-même. Je ne veux pas être celle qui engrène.
Tu n’as jamais pensé à avoir ton propre site web ?
J’héberge mon contenu sur Pornhub, je préfère que ce soit gratuit pour les gens. Vous pouvez me donner de l’argent pour d’autre choses. J’ai commencé le porno à 18 ans, donc je n’ai jamais eu d’autre travail et j’ai vécu toute ma vie d’adulte dans ce milieu. Je n’ai jamais eu à être un adulte «non-pornographe», ce qui est juste trop bien non ? Mais mon opinion a beaucoup changé durant ces cinq belles années de formation. De toute façon, peu importe ce que vous faites en tant que femme sur Internet, les gens voudront vous envoyer de l’argent. Votre image de marque est importante. Une grande partie de la mienne se fait sans effort, ou presque, et je me sens en paix avec qui je suis aujourd’hui. Je fais aussi de mon mieux pour être prudente avec mon argent et le porno n’est pas ma seule activité : il y a SpankChain, et j’écris aussi des articles, sur le racisme dans la pornographie ou l’obsession pour les teens par exemple.
Quels sont tes plans maintenant, dans le porno ?
En ce moment j’ai 2-3 projets sur lesquels je travaille mais je ne peux pas trop en parler, je vous tiendrais au courant. Je veux surtout continuer à faire ce que j’aime, produire plus mon propre contenu et le mettre sur Pornhub. Je m’intéresse aussi vraiment à la préservation et à l’amélioration des conditions des travail dans l’industrie, c’est mon objectif principal. Essayer de faire dégager les mauvaises personnes de notre monde, ce genre de truc. Nous sommes dans une sorte de période charnière. La génération de «l’âge d’or de la pornographie» vieillit. Ils prennent leur retraite, quittent l’industrie et parfois décèdent tout simplement. La nouvelle génération de pornographes a une chance à saisir et peut faire changer les choses. Si nous agissons ensemble, si on se syndique, si nous veillons les uns sur les autres… Je ne sais pas comment fonctionnerait un syndicat du porn. Les gens nous décrivent comme des employés alors que nous sommes en réalité tous en freelance. Il y a une vraie opportunité de faire changer les choses et je veux y prendre part. Il est temps. Et aussi juste faire du porno que j’aime, m’amuser. Mon but ultime est de ne jamais détester le monde du porno.
C’est très rare qu’on ait une réponse aussi ambitieuse à une question aussi classique.
Vous pensiez que j’allais répondre « Deux scènes anal la semaine prochaine » ?
Pas nécessairement non plus…
L’industrie est relativement petite, concentrée dans certaines régions, et nous avons beaucoup de liens les uns avec les autres. Ce serait stupide de ne pas travailler plus ensemble. Et j’ai vu le changement que nous pouvons faire avec la Prop 60 (loi sur le préservatif obligatoire dans les films – ndlr), nous avons fait front et nous avons gagné, la Californie a voté non. Nous avons fait la différence !