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Réalisée pour Pornhub par le pôle “Genre, sexualités et santé sexuelle” de l’Ifop, l’étude menée auprès d’un échantillon représentatif de 3 000 Français permet de mesurer l’ampleur du déconfinement sexuel en France et la persistance des freins liés au virus en matière de rencontres et de sexualité.
Cette enquête révèle qu’en dépit des frustrations vécues durant le confinement, les célibataires tendent plutôt à la prudence et à un désir de sécurité affective et sexuelle (« safe sex »). 90% d’entre eux rechercheraient ainsi un seul partenaire dans l’optique d’une relation plus sûre et affective…
Moins de rencontres et moins de rapports sexuelsAprès le confinement, les célibataires semblent avoir moins eu l’occasion de faire l’amour. Un tiers (33 %) d’entre eux déclarent avoir eu un rapport sexueldurant le mois ayant suivi le confinement tandis qu’avant cet isolement, le pourcentage montait à 44%.
Les rencontres entre célibataires ont aussi souffert : 25 % ont eu un rapport sexuel avec une personne avec laquelle ils avaient déjà couché (ex : “ex”, partenaire sexuel régulier ou occasionnel…), contre seulement 5 à 6 % avec quelqu’un rencontré après le 11 mai.
Méfiance et restrictions sanitairesCette baisse des rencontres s’explique par la peur de rencontrer un inconnu en temps de crise sanitaire. La crainte d’être infecté par le virus a déjà empêché près d’une célibataire sur deux de fréquenter un lieu où elle aurait pu rencontrer de potentiels partenaires (43 %). 59 % des célibataires refuseraient d’avoir un rapport avec une personne...Lire la suite sur Union
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Vers 1890, la société européenne souffre déjà des maux que nous connaissons : consumérisme, quête du profit, destruction de la nature. Des prophètes apparaissent, parmi lesquels Fidus, un allemand végétarien qui veut construire des temples à Lucifer.
Alors que l’emprise de l’Eglise vacille, des artistes affirment qu’il serait temps de remplacer le culte de dieu par celui de valeurs jugées plus sûres : le culte de la lumière, par exemple. Fidus est un des plus représentatifs de ces nouveaux gourous. Son vrai nom est Hugo Höppener (1868-1948). Il est né en Allemagne dans une famille de pâtissiers libres-penseurs. Il est beau comme un ange (c’est lui, jeune homme, à droite sur la photo). Il a été l’élève d’un peintre nudiste adepte du soleil, Diefenbach (à gauche sur cette photo). Il se présente comme un «artiste toute lumière» et fait de Lucifer –dont le nom signifie «porteur de lumière»– le nouveau guide spirituel de l’humanité. En 1946, il écrit (1) : «Mon Lucifer n’est ni adversaire ou querelleur, ni rebelle, il est le Fils ainé de Dieu qui a la tâche de susciter la conscience de soi. Il n’a rien du démon puant des pasteurs !».
Des projets hierarchitecturaux
Animé par sa foi, Fidus veut devenir architecte de temples. Il consacre sa vie à des projets démesurés qui ne verront jamais le jour. La seule trace qui reste de ces fantasmes pharaoniques se trouve dans le musée de Monte Verità, au-dessus d’Ascona, en Suisse. Le musée possède la maquette d’un temple qui aurait dû voir le jour non loin de là, sur la montagne. Hélas, Fidus ne parviendra jamais à réunir la somme qui permettrait de le faire bâtir (2). Si ce temple avait vu le jour, il aurait fait la taille d’une Zigourat babylonienne. Il se serait dressé en pleine nature, surgi de nulle part, comme un de ces vaisseaux de pierre dans les BD de Bilal. Et il aurait certainement provoqué des appels à boycott ou des pétitions pour sa fermeture.
L’humanitaire au service des peuples
C’est toujours le même problème avec les avant-gardes : elles prétendent sauver le monde en montrant la voie du progrès. Elles se croient toujours plus «éclairées» que les «peuples» dont elles veulent faire le bien. Le concept même d’avant-garde est programmatique : il suppose que des génies sont aux avant-postes de «l’histoire en marche». Ces héros prométhéens apportent le savoir –les idées ou les innovations, à commencer par l’invention du feu–, afin que les individus puissent s’émanciper de leurs superstitions et de leurs préjugés. Avec quel résultat ?
La morale, c’est pour les ?
Depuis le XVIIIe siècle, en France, on connait la musique. Les premiers temples dédiés à des cultes non-chrétiens sont ceux des «libertins» : Palais de Cupidon, temple de volupté, sanctuaire d’Aphrodite. Au XVIIIe siècle, les aristocrates et les financiers baptisent leurs garçonnières de noms empruntés aux cultes païens, afin d’en préciser la destination. Ce sont des temples dédiés aux plaisirs. Ces plaisirs sont censés être pris sans tabous, ni entraves, par des femmes et des hommes soi-disant «affranchis» de la morale commune. Mais qui est dupe de cette vision naïve du libertinage ? Même à l’époque, des voix s’élèvent contre cette imposture.
Des temples libertins aux temples républicains
Lorsqu’ils attirent des femmes dans leurs «îles de Cythère», les libertins en réalité ne se conduisent ni en apôtres de l’amour libre ni en prosélytes d’une société égalitaire ou plus juste. Ainsi que le chercheur Michel Brix le démontre dans Libertinage des Lumières et Guerre des sexes, il serait faux d’«assimiler tous les auteurs de récits libertins à des propagandistes de l’Eros des Lumières». De fait, la fête finit mal pour eux. Avec la Révolution française, de nouveaux temples voient le jour. Ils sont dédiés à la Raison et certains contiennent des autels à Rousseau ou Marat. A l’aide d’un «culte officiel», la république tente d’imposer au peuple l’utopie d’un monde débarrassé de ses chaînes. Toujours la même imposture.
Des temples dédiés non plus à dieu mais à l’humanité
Quelle différence avec les temples qui se multiplient au XIXe siècle sous l’égide de la franc-maçonnerie, des Rose-Croix ou de courants occultistes divers ? Sous couvert d’en finir avec les «erreurs de l’esprit primitif» (dixit Fidus), c’est-à-dire avec les croyances, il s’agit de défendre un idéal de spiritualité conforme à la raison. Les nouvelles religions doivent permettre à l’homme d’atteindre un équilibre de vie en harmonie avec la nature. L’individu doit devenir «souverain» au sens nietzschéen du terme (3). Et pour cela il faut l’initier. Dans les temples de Fidus, il n’y a d’ailleurs pas de culte. On n’y va pas pour prier. Prier qui d’ailleurs ? Puisque dieu est mort.
Un temple en cube relié à un sanctuaire en dodécaèdre
Dans les temples de Fidus, on va pour se transformer. Pour se réaliser… Avec un siècle d’avance sur les maîtres de la pleine conscience, Fidus met au point un rituel mystagogique singulier. Il s’agit de se rendre au Temple. Celui de la terre par exemple. Fidus en a ébauché le concept dès 1895. Son Tempel der Erde est un édifice à bâtir en pleine forêt (contact avec la nature), entouré de douves (mort symbolique), de forme cubique relié à un dôme en dodécaèdre. Harald Szeemann, fondateur du musée de Monte Verità décrit ainsi le dispositif : «Quiconque souhaite connaître le mystère doit d’abord passer par la structure cubique, mais avant tout avant tout il doit subir des tests en série comme les jeunes franc-maçons.»
Femmes sentimentales, hommes d’action
Dès l’entrée (un escalier monumental), le visiteur est confronté à «des symboles de l’au-delà et du cosmos» : des dragons et des lions sont les gardiens d’une porte surmontée par un arbre de vie, inscrit dans une forme d’œuf (symbole de fécondité), surmonté d’un fronton marqué du mot TAT (action) et d’un miroir circulaire (signe cosmique). Une fois passée l’entrée, se séparant, les femmes doivent aller à gauche et les hommes à droite. Le chemin des femmes passe des salles orange de l’envie, rouge des sentiments, puis violette de la nostalgie. Le chemin des hommes traverse les salles vert-jaune de l’ambition, verte de la volonté et bleu-verte de l’amour. (Tout novateur qu’il soit, Fidus reste fidèle à l’esprit de son temps).
Des temples pour l’éveil des émotions
Ensuite, les deux chemins se rejoignent dans la salle de la dévotion qui offre deux possibilités d’accéder à la connaissance : soit vous descendez vers l’atrium du temple, avec son bassin surmonté d’une statue du «seigneur de la terre». Soit vous allez dans la salle bleu sombre du silence, puis dans le mausolée des ténèbres (4). Après quoi se trouve le sanctuaire, situé à l’extérieur du cube. En 1907, Fidus explique dans un essai (Etwas vom Ringelreife, republié en 1912 dans une nouvelle version) que ses temples ont pour fonction de rendre possible une «expérience émotionnelle». Comment se réaliser sans d’abord être ému-e ? L’idée est belle, a priori.
Des liturgies hallucinées
Elle séduit d’ailleurs beaucoup de gens à l’époque, émerveillés par les images de fêtes collectives dont Fidus déploie les fastes : il représente des foules de femmes et d’hommes nus rassemblés en cercles autour de grappes humaines aspirées par la lumière. Des liturgies hallucinées.
Le prophète d’Amden
En 1903, un prophète de l’apocalypse d’origine autrichienne-américaine, appelé Josua Klein invite Fidus et lui confie la construction de trois temples sur les collines de la colonie théosophique de Grappenhof qu’il a fondée près d’Amden. Mais ce projet sombre finalement à l’eau car Josua Klein –qui fait des prêches avec un groupe d’illuminé-es– a perdu sa fortune.
Dans ses mémoires, un ami de Fidus (Wilhelm Sphor) raconte ainsi l’épisode : «Nous brisions des rochers, coupions des arbres, et un plateau fut nivelé sur un affleurement rocheux près du lac. Tout allait très bien, mais sans mener à rien puisque le prophète devait prêcher tous les jours, du petit matin à deux heures de l’après-midi, en bougeant les yeux, les bras et les jambes en tous sens, en maudissant le monde entier et en réprimandant Dieu qui n’avait pas tout fait comme il fallait. Après ça, tout le monde était fatigué, personne ne pouvait songer à travailler» (1). Fidus trouve tout cela absurde et repart en Allemagne.
Un portrait de Hitler… jugé dégénéré
Durant les années suivantes, sans jamais renoncer à ses projets de temple (Temple de l’eau calme, Temple de l’étreinte universelle, Temple du dragon, Temple de l’action, Temple de la couronne de fer, etc), il vit surtout de la vente de cartes postales et d’illustrations. Il travaille pour des revues satiriques ou homosexuelles. Peu avant que Hitler arrive au pouvoir, il adhère au parti et tente par tous les moyens de se gagner les bonnes grâces du nouveau régime. Il fait même un portrait du Fuhrer, qui est immédiatement censuré. Son art est classé parmi les oeuvres dégénérées. Après-guerre, pour survivre, il fait des tableaux de Lénine ou Staline qui lui sont payés en patates. Il meurt misérablement en 1948, mais toujours aussi beau.
De lui, l’histoire retient des oeuvres jugendstil inspirées par le désir de fusion cosmique, des images de couples harmonieusement enlacés et de corps ascétiques tendus vers la lumière.
Un membre du parti national-socialiste inspirateur des hippies ?
Ironie du sort : dans les années 1970, ses tableaux inspirent les affiches américaines du Flower Power, un mouvement qui –lui aussi– entend réformer la vie et faire advenir un monde meilleur. C’est toute l’ironie des avant-gardes qui s’inscrivent, les unes après les autres, dans la lignée du progressisme – projet moderne de l’Occident – et qui réactualisent sans cesse le rêve d’une société libérée des formes d’aliénation que sont les idées reçues ou les conventions. Curieusement, à répétition, l’idéal progressiste se retourne contre lui-même, c’est-à-dire qu’à force de promouvoir le bonheur et l’émancipation, il produit les effets inverses.
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Je remercie Hermann Müller et Reinhard Christeller, créateurs du site de référence http://www.gusto-graeser.info/body_indexFR.html
A LIRE : Blutleuchte : mysticismes anciens & contemporains, de Gerhard Hallstatt, éditions Camion Noir, 2012.
A LIRE : Monte Verità. Le mammelle della verità, de Harald Szeemann, éditions Electa / Armando dado, 1980. Ce livre (en italien) existe aussi en version allemande.
A LIRE : Les particules élémentaires, de Michel Houellebecq, Flammarion, 1988 (1998).
A LIRE : Libertinage des Lumières et Guerre des sexes, Michel Brix, éditions Kimé, 2018.
NOTES
(1) La plupart des citations proviennent du seul livre en français qui à ma connaissance parle de Fidus (et dont la fiche Wikipedia a repris tout le contenu) : Blutleuchte : mysticismes anciens & contemporains, de Gerhard Hallstatt, éditions Camion Noir, 2012
(2) Par ailleurs, Henri Oedenkoven, qui dirige la clinique de naturopathie du Monte Verità se méfie de ce projet ou plutôt, des idéaux théosophiques de Fidus. Les deux hommes se rencontrent en 1907, mais la rencontre ne débouche pas sur un accord. Le 29 décembre 1908, Oedenkoven écrit à Fidus : « À cette époque [lors de son séjour en 1907], j’ai été terriblement tourmenté par votre emprisonnement spirituel [en théosophie], et par votre emprisonnement total [Fidus serait venu à Monte Verità accompagné par un médium aux allures de gourous]. Je voudrais m’expliquer une chose : qu’est-ce qui, dans votre art, m’attire si irrésistiblement vers certaines de vos œuvres et en repousse d’autres tout aussi irrésistiblement ? Comment est-il possible qu’un esprit produise des résultats aussi contradictoires ? Et je pense à la captivité mentionnée ci-dessus ; que vos propres expressions soient bonnes ou mauvaises seulement sous l’influence des autres ? » En décembre 1908, ainsi que cette carte le suggère, Oedenkoven regrette à moitié son rejet de 1907, mais à moitié seulement.
(3) «L’individu souverain, individu qui n’est semblable qu’à lui-même, l’individu affranchi de la moralité des mœurs, l’individu autonome et supermoral (car «autonome» et «moral» s’excluent), bref l’homme à la volonté propre, indépendante et persistante, l’homme qui peut promettre, – celui qui possède en lui-même la conscience fière et vibrante de ce qu’il a enfin atteint par là, de ce qui s’est incorporé en lui, une véritable conscience de la liberté et de la puissance, enfin le sentiment d’être arrivé à la perfection de l’homme», Généalogie de la morale, Friedrich Nietzsche,1887.
(4) L’idée des couleurs fait flores. Plusieurs écoles anthroposophiques –l’école Goethe de Hambourg, la Freie waldorfschule de Stuttgart ou la New school de Londrès construites dans les années 1920 – ont repris ce concept d’initiation par la lumière.
Je remercie le Musée de Monte Verità. Ainsi que Hermann Müller et Reinhard Christeller, créateurs du site de référence http://www.gusto-graeser.info/body_indexFR.html
Fondation Monte Verità : rue Collina 84 - 6612 Ascona. Tel : +41 91 785 40 40.
CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER CONSACRE A MONTE VERITA : «Sors de ce trou !» ; «Monte Verità et la libération sexuelle» ; «Vivre d’amour et d’eau fraiche ?» ; «Otto Gross, baiseur en série ?» ; «Danse avec le diable» ; «Sexe, morphine et dadaisme», «Fidus, précurseur du flower power ?», «Une religion transgenre pour devenir heureux ?».
Vers 1890, la société européenne souffre déjà des maux que nous connaissons : consumérisme, quête du profit, destruction de la nature. Des prophètes apparaissent, parmi lesquels Fidus, un allemand végétarien qui veut construire des temples à Lucifer.
Alors que l’emprise de l’Eglise vacille, des artistes affirment qu’il serait temps de remplacer le culte de dieu par celui de valeurs jugées plus sûres : le culte de la lumière, par exemple. Fidus est un des plus représentatifs de ces nouveaux gourous. Son vrai nom est Hugo Höppener (1868-1948). Il est né en Allemagne dans une famille de pâtissiers libres-penseurs. Il est beau comme un ange (c’est lui, jeune homme, à droite sur la photo). Il a été l’élève d’un peintre nudiste adepte du soleil, Diefenbach (à gauche sur cette photo). Il se présente comme un «artiste toute lumière» et fait de Lucifer –dont le nom signifie «porteur de lumière»– le nouveau guide spirituel de l’humanité. En 1946, il écrit (1) : «Mon Lucifer n’est ni adversaire ou querelleur, ni rebelle, il est le Fils ainé de Dieu qui a la tâche de susciter la conscience de soi. Il n’a rien du démon puant des pasteurs !».
Des projets hierarchitecturaux
Animé par sa foi, Fidus veut devenir architecte de temples. Il consacre sa vie à des projets démesurés qui ne verront jamais le jour. La seule trace qui reste de ces fantasmes pharaoniques se trouve dans le musée de Monte Verità, au-dessus d’Ascona, en Suisse. Le musée possède la maquette d’un temple qui aurait dû voir le jour non loin de là, sur la montagne. Hélas, Fidus ne parviendra jamais à réunir la somme qui permettrait de le faire bâtir (2). Si ce temple avait vu le jour, il aurait fait la taille d’une Zigourat babylonienne. Il se serait dressé en pleine nature, surgi de nulle part, comme un de ces vaisseaux de pierre dans les BD de Bilal. Et il aurait certainement provoqué des appels à boycott ou des pétitions pour sa fermeture.
L’humanitaire au service des peuples
C’est toujours le même problème avec les avant-gardes : elles prétendent sauver le monde en montrant la voie du progrès. Elles se croient toujours plus «éclairées» que les «peuples» dont elles veulent faire le bien. Le concept même d’avant-garde est programmatique : il suppose que des génies sont aux avant-postes de «l’histoire en marche». Ces héros prométhéens apportent le savoir –les idées ou les innovations, à commencer par l’invention du feu–, afin que les individus puissent s’émanciper de leurs superstitions et de leurs préjugés. Avec quel résultat ?
La morale, c’est pour les ?
Depuis le XVIIIe siècle, en France, on connait la musique. Les premiers temples dédiés à des cultes non-chrétiens sont ceux des «libertins» : Palais de Cupidon, temple de volupté, sanctuaire d’Aphrodite. Au XVIIIe siècle, les aristocrates et les financiers baptisent leurs garçonnières de noms empruntés aux cultes païens, afin d’en préciser la destination. Ce sont des temples dédiés aux plaisirs. Ces plaisirs sont censés être pris sans tabous, ni entraves, par des femmes et des hommes soi-disant «affranchis» de la morale commune. Mais qui est dupe de cette vision naïve du libertinage ? Même à l’époque, des voix s’élèvent contre cette imposture.
Des temples libertins aux temples républicains
Lorsqu’ils attirent des femmes dans leurs «îles de Cythère», les libertins en réalité ne se conduisent ni en apôtres de l’amour libre ni en prosélytes d’une société égalitaire ou plus juste. Ainsi que le chercheur Michel Brix le démontre dans Libertinage des Lumières et Guerre des sexes, il serait faux d’«assimiler tous les auteurs de récits libertins à des propagandistes de l’Eros des Lumières». De fait, la fête finit mal pour eux. Avec la Révolution française, de nouveaux temples voient le jour. Ils sont dédiés à la Raison et certains contiennent des autels à Rousseau ou Marat. A l’aide d’un «culte officiel», la république tente d’imposer au peuple l’utopie d’un monde débarrassé de ses chaînes. Toujours la même imposture.
Des temples dédiés non plus à dieu mais à l’humanité
Quelle différence avec les temples qui se multiplient au XIXe siècle sous l’égide de la franc-maçonnerie, des Rose-Croix ou de courants occultistes divers ? Sous couvert d’en finir avec les «erreurs de l’esprit primitif» (dixit Fidus), c’est-à-dire avec les croyances, il s’agit de défendre un idéal de spiritualité conforme à la raison. Les nouvelles religions doivent permettre à l’homme d’atteindre un équilibre de vie en harmonie avec la nature. L’individu doit devenir «souverain» au sens nietzschéen du terme (3). Et pour cela il faut l’initier. Dans les temples de Fidus, il n’y a d’ailleurs pas de culte. On n’y va pas pour prier. Prier qui d’ailleurs ? Puisque dieu est mort.
Un temple en cube relié à un sanctuaire en dodécaèdre
Dans les temples de Fidus, on va pour se transformer. Pour se réaliser… Avec un siècle d’avance sur les maîtres de la pleine conscience, Fidus met au point un rituel mystagogique singulier. Il s’agit de se rendre au Temple. Celui de la terre par exemple. Fidus en a ébauché le concept dès 1895. Son Tempel der Erde est un édifice à bâtir en pleine forêt (contact avec la nature), entouré de douves (mort symbolique), de forme cubique relié à un dôme en dodécaèdre. Harald Szeemann, fondateur du musée de Monte Verità décrit ainsi le dispositif : «Quiconque souhaite connaître le mystère doit d’abord passer par la structure cubique, mais avant tout avant tout il doit subir des tests en série comme les jeunes franc-maçons.»
Femmes sentimentales, hommes d’action
Dès l’entrée (un escalier monumental), le visiteur est confronté à «des symboles de l’au-delà et du cosmos» : des dragons et des lions sont les gardiens d’une porte surmontée par un arbre de vie, inscrit dans une forme d’œuf (symbole de fécondité), surmonté d’un fronton marqué du mot TAT (action) et d’un miroir circulaire (signe cosmique). Une fois passée l’entrée, se séparant, les femmes doivent aller à gauche et les hommes à droite. Le chemin des femmes passe des salles orange de l’envie, rouge des sentiments, puis violette de la nostalgie. Le chemin des hommes traverse les salles vert-jaune de l’ambition, verte de la volonté et bleu-verte de l’amour. (Tout novateur qu’il soit, Fidus reste fidèle à l’esprit de son temps).
Des temples pour l’éveil des émotions
Ensuite, les deux chemins se rejoignent dans la salle de la dévotion qui offre deux possibilités d’accéder à la connaissance : soit vous descendez vers l’atrium du temple, avec son bassin surmonté d’une statue du «seigneur de la terre». Soit vous allez dans la salle bleu sombre du silence, puis dans le mausolée des ténèbres (4). Après quoi se trouve le sanctuaire, situé à l’extérieur du cube. En 1907, Fidus explique dans un essai (Etwas vom Ringelreife, republié en 1912 dans une nouvelle version) que ses temples ont pour fonction de rendre possible une «expérience émotionnelle». Comment se réaliser sans d’abord être ému-e ? L’idée est belle, a priori.
Des liturgies hallucinées
Elle séduit d’ailleurs beaucoup de gens à l’époque, émerveillés par les images de fêtes collectives dont Fidus déploie les fastes : il représente des foules de femmes et d’hommes nus rassemblés en cercles autour de grappes humaines aspirées par la lumière. Des liturgies hallucinées.
Le prophète d’Amden
En 1903, un prophète de l’apocalypse d’origine autrichienne-américaine, appelé Josua Klein invite Fidus et lui confie la construction de trois temples sur les collines de la colonie théosophique de Grappenhof qu’il a fondée près d’Amden. Mais ce projet sombre finalement à l’eau car Josua Klein –qui fait des prêches avec un groupe d’illuminé-es– a perdu sa fortune.
Dans ses mémoires, un ami de Fidus (Wilhelm Sphor) raconte ainsi l’épisode : «Nous brisions des rochers, coupions des arbres, et un plateau fut nivelé sur un affleurement rocheux près du lac. Tout allait très bien, mais sans mener à rien puisque le prophète devait prêcher tous les jours, du petit matin à deux heures de l’après-midi, en bougeant les yeux, les bras et les jambes en tous sens, en maudissant le monde entier et en réprimandant Dieu qui n’avait pas tout fait comme il fallait. Après ça, tout le monde était fatigué, personne ne pouvait songer à travailler» (1). Fidus trouve tout cela absurde et repart en Allemagne.
Un portrait de Hitler… jugé dégénéré
Durant les années suivantes, sans jamais renoncer à ses projets de temple (Temple de l’eau calme, Temple de l’étreinte universelle, Temple du dragon, Temple de l’action, Temple de la couronne de fer, etc), il vit surtout de la vente de cartes postales et d’illustrations. Il travaille pour des revues satiriques ou homosexuelles. Peu avant que Hitler arrive au pouvoir, il adhère au parti et tente par tous les moyens de se gagner les bonnes grâces du nouveau régime. Il fait même un portrait du Fuhrer, qui est immédiatement censuré. Son art est classé parmi les oeuvres dégénérées. Après-guerre, pour survivre, il fait des tableaux de Lénine ou Staline qui lui sont payés en patates. Il meurt misérablement en 1948, mais toujours aussi beau.
De lui, l’histoire retient des oeuvres jugendstil inspirées par le désir de fusion cosmique, des images de couples harmonieusement enlacés et de corps ascétiques tendus vers la lumière.
Un membre du parti national-socialiste inspirateur des hippies ?
Ironie du sort : dans les années 1970, ses tableaux inspirent les affiches américaines du Flower Power, un mouvement qui –lui aussi– entend réformer la vie et faire advenir un monde meilleur. C’est toute l’ironie des avant-gardes qui s’inscrivent, les unes après les autres, dans la lignée du progressisme – projet moderne de l’Occident – et qui réactualisent sans cesse le rêve d’une société libérée des formes d’aliénation que sont les idées reçues ou les conventions. Curieusement, à répétition, l’idéal progressiste se retourne contre lui-même, c’est-à-dire qu’à force de promouvoir le bonheur et l’émancipation, il produit les effets inverses.
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Je remercie Hermann Müller et Reinhard Christeller, créateurs du site de référence http://www.gusto-graeser.info/body_indexFR.html
A LIRE : Blutleuchte : mysticismes anciens & contemporains, de Gerhard Hallstatt, éditions Camion Noir, 2012.
A LIRE : Monte Verità. Le mammelle della verità, de Harald Szeemann, éditions Electa / Armando dado, 1980. Ce livre (en italien) existe aussi en version allemande.
A LIRE : Les particules élémentaires, de Michel Houellebecq, Flammarion, 1988 (1998).
A LIRE : Libertinage des Lumières et Guerre des sexes, Michel Brix, éditions Kimé, 2018.
NOTES
(1) La plupart des citations proviennent du seul livre en français qui à ma connaissance parle de Fidus (et dont la fiche Wikipedia a repris tout le contenu) : Blutleuchte : mysticismes anciens & contemporains, de Gerhard Hallstatt, éditions Camion Noir, 2012
(2) Par ailleurs, Henri Oedenkoven, qui dirige la clinique de naturopathie du Monte Verità se méfie de ce projet ou plutôt, des idéaux théosophiques de Fidus. Les deux hommes se rencontrent en 1907, mais la rencontre ne débouche pas sur un accord. Le 29 décembre 1908, Oedenkoven écrit à Fidus : « À cette époque [lors de son séjour en 1907], j’ai été terriblement tourmenté par votre emprisonnement spirituel [en théosophie], et par votre emprisonnement total [Fidus serait venu à Monte Verità accompagné par un médium aux allures de gourous]. Je voudrais m’expliquer une chose : qu’est-ce qui, dans votre art, m’attire si irrésistiblement vers certaines de vos œuvres et en repousse d’autres tout aussi irrésistiblement ? Comment est-il possible qu’un esprit produise des résultats aussi contradictoires ? Et je pense à la captivité mentionnée ci-dessus ; que vos propres expressions soient bonnes ou mauvaises seulement sous l’influence des autres ? » En décembre 1908, ainsi que cette carte le suggère, Oedenkoven regrette à moitié son rejet de 1907, mais à moitié seulement.
(3) «L’individu souverain, individu qui n’est semblable qu’à lui-même, l’individu affranchi de la moralité des mœurs, l’individu autonome et supermoral (car «autonome» et «moral» s’excluent), bref l’homme à la volonté propre, indépendante et persistante, l’homme qui peut promettre, – celui qui possède en lui-même la conscience fière et vibrante de ce qu’il a enfin atteint par là, de ce qui s’est incorporé en lui, une véritable conscience de la liberté et de la puissance, enfin le sentiment d’être arrivé à la perfection de l’homme», Généalogie de la morale, Friedrich Nietzsche,1887.
(4) L’idée des couleurs fait flores. Plusieurs écoles anthroposophiques –l’école Goethe de Hambourg, la Freie waldorfschule de Stuttgart ou la New school de Londrès construites dans les années 1920 – ont repris ce concept d’initiation par la lumière.
Je remercie le Musée de Monte Verità. Ainsi que Hermann Müller et Reinhard Christeller, créateurs du site de référence http://www.gusto-graeser.info/body_indexFR.html
Fondation Monte Verità : rue Collina 84 - 6612 Ascona. Tel : +41 91 785 40 40.
CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER CONSACRE A MONTE VERITA : «Sors de ce trou !» ; «Monte Verità et la libération sexuelle» ; «Vivre d’amour et d’eau fraiche ?» ; «Otto Gross, baiseur en série ?» ; «Danse avec le diable» ; «Sexe, morphine et dadaisme», «Fidus, précurseur du flower power ?», «Une religion transgenre pour devenir heureux ?».