Elle se prénomme Pascale et elle fait dans la féminité comme d’autres font dans les sports extrêmes.
Certaines sont femmes un peu par hasard, un peu à leur corps défendant – des femmes comme moi, par exemple. Certaines sont femmes comme elles sont myopes ou intolérantes au lactose : par fatalité, parce que c’est ainsi, avec un laisser-aller fait de maladresse et imperfection. Mais pas Pascale – oh non, pas elle. Elle est si naturellement femme qu’elle en était sûrement une des décennies avant sa naissance. Elle transpire la féminité par tous les pores de sa peau; même quand elle est saoule et qu’elle sacre en insultant le barman, elle fait passer la Vénus callipyge de Syracuse pour un garçon manqué. Elle est plus femme que n’importe quelle femme qui s’est considérée femme au moins pour un bref moment de sa vie de femme dans toute l’histoire de la féminité. Mieux : elle n’est pas seulement une femme, elle est LA femme. L’archétype. Le modèle d’origine. La matrice de toute féminité, pour les siècles des siècles, amen.
Je sais ce que vous pensez. Vous vous dites : «tu es amoureuse, c’est évident que tu exagères». Vous avez raison sur un point : je suis folle d’elle. Par contre, n’allez pas croire que mon évaluation de la puissance de ses charmes est faussée par une quelconque surdose de dopamine. Regardez-la bien. Ne voyez-vous pas qu’elle est parfaite? Qu’on vendrait un empire pour ses yeux noisette et son nez mutin? N’avez-vous pas envie de plonger dans sa chevelure de jais et de vous enivrer de ses parfums? Et ses lèvres, ses lèvres… ne venez pas me dire qu’elles vous laissent de marbre ! Chaque fois que je la vois, perchée sur ses talons improbables, passer devant moi et se déhancher gracieusement en mettant une jambe délicatement galbée devant l’autre, je sens que je vais défaillir. Et je ne vous parle pas de son cul – en fait, je n’ose pas en parler, parce que les mots me boudent, ils pâlissent lorsque j’ai l’outrecuidance de m’en servir pour le décrire.
Cette déesse est trop femme pour moi, pauvre mortelle et pauvre lesbienne que je suis. Elle use ma santé, je vais devenir cardiaque et grabataire avant l’âge si elle continue de m’ignorer avec sa délicieuse et toute féminine gentillesse, je le sens. Parce qu’il y a un hic. Un gros hic. Son approche de l’hétérosexualité est aussi flamboyante et intense que celle de la féminité. Elle aime les hommes, point barre. Elle cherche un mec, un bonhomme, un mâle avec du poil, un gars baraqué avec des épaules larges comme ça et une voix de baryton. Elle veut un corps rugueux qui charge l’air ambiant de testostérone qui fait liquéfier les midinettes par sa simple présence. Elle ne me l’a jamais dit, parce qu’elle est trop charmante et trop délicieuse pour me faire de la peine, mais je ne suis pas du tout son genre. Même si ma poitrine n’est pas bien grosse et mes hanches assez étroites. Je reste une femme – une femme un peu bancale, pâle version imparfaite de l’idée de femme qu’elle arrive, elle à incarner de façon si spectaculaire.
Il ne me reste qu’une petite chance de lui plaire et il est hors de question que je la rate. Je vais l’inviter à la soirée la plus romantique et hétérosexuelle de l’histoire de la civilisation occidentale. Et pour cela, je vais devoir tout faire pour assumer la forme qui se rapproche le plus de ses désirs. Pour commencer : exit la tignasse. Je vais aller chez un barbier – un vrai de vrai, avec le poteau bleu-blanc-rouge qui roule à côté de sa porte – et me faire faire un undercut avec le toupet bien lissé et gominé vers l’arrière. De retour à la maison, je vais revêtir la forme la plus masculine de moi-même. Je vais m’asperger d’after-shave, me saucissonner avec une gaine en élasthanne qui fera disparaître ma poitrine, je vais bourrer mon slip avec une chaussette roulée avant d’enfiler un complet anthracite, avec une veste et une cravate rouge sang. Pour finir, je m’habillerai d’un nouveau prénom – Pierre, André ou peut-être Simon, je n’ai pas encore décidé.
Enfin devenu un homme, je serai ensuite en mesure de lui sortir le grand jeu. Je l’attendrai, amoureux transi, sur le pas de sa porte, un bouquet de roses à la main. Mon cœur battra la chamade lorsqu’elle ouvrira. J’espère qu’elle m’embrassera lorsque je lui donnerai, mais si elle ne le fait pas, ce ne sera pas un drame – je serai à ce moment en contrôle de mes pulsions viriles, un parfait gentleman. Je l’emmènerai ensuite dîner au Leméac où elle dégustera élégamment son tartare de saumon pendant que je la dévorerai des yeux. Si tout se passe comme je le souhaite, elle se pendra à mon bras alors que nous nous dirigerons vers la Place des Arts pour une soirée à l’Opéra. Et lorsque Faust chantera Salut, demeure chaste et pure, je poserai délicatement ma main sur sa cuisse. L’émotion aidant, peut-être écartera-t-elle légèrement les genoux et la laissera-t-elle glisser sous sa robe.
Nous marcherons ensuite au clair de lune jusqu’à chez elle et je l’embrasserai passionnément sur le pas de sa porte. Ensuite, si j’ai de la chance, si le destin m’est favorable et qu’elle me trouve suffisamment mâle, suffisamment passable, nous déboulerons ensemble dans son condo; je l’embrasserai avec toute la fougue dont je suis capable pendant qu’elle arrachera ma chemise. Je la prendrai dans mes bras pour l’amener à son lit. Je la déposerai avec mille précautions, comme une fleur délicate, puis je retrousserai avec soin sa robe pour plonger, tête première, entre ses cuisses. De mes mains, de ma langue, je ferai bander son délicieux pénis de femme, sa merveilleuse bite de déesse. Je vais l’oindre de ma salive, l’avaler jusqu’à la base, puis taquiner son scrotum avec mes ongles courts et affutés de mec. J’irai jusqu’à faire vriller ma langue dans son cul, son cul charmant qui n’attendra plus que j’aille le cueillir. Ensuite, je m’harnacherai de mon gode-ceinture et la prendrai lentement, amoureusement, en pleurant des larmes de bonheur et en caressant sa queue, jusqu’à ce que jaillisse son sperme de femme, jusqu’à ce que notre jouissance nous unisse et que nous devenions ce que nous avons toujours été destinés à devenir: ni homme, ni femme – qu’un seul être enfin complet, qui a retrouvé sa perfection, l’androgyne originel recréé pour quelques secondes d’éternité.