A la ménopause, 70 % des femmes occidentales se plaignent de bouffées de chaleur. Une sur cinq le supporte très mal. Comment faire face ? Dans “La fabrique de la ménopause”, une sociologue livre les résultats de son enquête.
Lors de son travail de thèse, consacré à la
ménopause (et publié sous le titre La fabrique de la ménopause, aux éditions
du CNRS), Cécile Charlap rencontre
une trentaine de femmes françaises, tous milieux confondus. Il s’agit de
comprendre comment ces Françaises vivent la cessation des
règles. Quelle expérience font-elles des fameuses «bouffées de chaleur», par
exemple ? Première
surprise : «certaines des femmes interrogées n’ont ressenti aucune de ces
manifestations, au point de me confier qu’elles n’avaient pas vraiment vécu la
ménopause. On mesure ici le poids des normes.» Pour Cécile
Charlap, il est regrettable que le point de vue médical soit «le seul à être
mobilisé au sujet de la ménopause». Quand il est abordé hors du contexte
pathologique, le sujet est d’ailleurs perçu comme de «mauvais goût». Elle cite
le cas d’une séquence mémorable sur la chaîne de télévision France 5.
Le discours médical : un cadre obligatoire
Lors de l’émission C à vous, le 5 janvier 2010, un invité (l’avocat
Jacques Vergès) s’interroge : «quand j’entends parler de mon âge par Madame
Alliot-Marie ou autre, je me dis “est-ce que je lui ai posé des questions sur
sa ménopause ?”». L’un des présentateurs balbutie : «hou, bon…». La
présentatrice intervient, le regard réprobateur : «bon, là, non, mais
attendez, là, c’est une faute de goût, revenons à nos histoires…». Le sujet
est escamoté. «Dans cet échange, les réactions gênées des
présentateurs sont révélatrices. […] Face au dépassement de la limite du
convenable, la présentatrice se fait instance de régulation […] : on n’évoque
pas la ménopause d’une femme hors d’un cadre précis (magazines ou émissions
dédiés à la santé ou aux femmes), d’un angle spécifique (les manifestations
physiques) et sans acteur légitimé pour le faire (un médecin ou un membre de la
communauté médicale). Hors de ce cadre normatif d’énonciation, l’évocation de
la ménopause provoque le malaise.» Pour Cécile Charlap, l’incident est
révélateur : le discours médical est le seul légitime (hélas) dans les médias.
«Evoquer la ménopause constitue une faute de goût»
La sociologue note que les femmes elles-mêmes n’en parlent que comme d’une
maladie (honteuse). «L’objet des interactions est d’ordre symptomatologique.
Hors du symptôme, les femmes n’évoquent pas l’expérience de la ménopause.»
Elle cite plusieurs des femmes qu’elles a rencontrées :
«On dirait que c’est un truc encore tabou… Les personnes ont
peur d’en parler parce qu’elles se sentent vieillir avec ce cap» (Monique,
57 ans, vendeuse).
«Ce qu’il y a,
c’est qu’on veut pas admettre, comment dire, qu’on a vieilli… Parce que dans la
conscience collective, être ménopausée, c’est ne plus être une femme, on te
relègue parmi les… je sais pas, on te met au rebus quoi !» (Inès, 59 ans,
agent immobilier).
«À mon mari je lui ai dit tout de suite pour la ménopause, je
lui ai dit pour rigoler : “ça y est, t’as une vieille dans ton lit !” (rire),
ça l’a fait rire !» (Pauline, 55 ans, assistante maternelle).
«S’il y a des soucis à la ménopause, on en parle, mais si ça se
passe bien, si ça vous rend pas malade, ça sert à rien» (Roselyne, 54 ans,
manutentionnaire).
Celles qui sont «pas gaies» et celles qui sont «énervées»
Bien qu’elles soient influencées par le discours médical, et
n’appréhendent –de ce fait– la ménopause que comme un «désordre métabolique»,
les femmes vivent et affrontent ce désordre d’une façon différente selon
leur milieu social. Première constatation : «les femmes de classes moyennes
et supérieures […] évoquent un malaise en termes de baisse de moral, voire de
déprime. […] Les propos des femmes de milieux populaires sont, eux, traversés
par l’imaginaire des nerfs. Ces interlocutrices font part d’excitation, voire
d’énervement.» Pour résumer : les femmes de milieux aisés ont «le moral qui
flanche» alors que celles issues de milieux populaires «pètent les plombs».
Deuxième constatation : les femmes vivant en contexte urbain et plutôt de
milieux aisés ont tendance à prendre un traitement hormonal substitutif (THS)
alors que celles vivant en contexte rural et issues de milieux populaires s’y
refusent. Comment comprendre ces différences ?
Celles qui prennent un THS et…
«Pour les femmes vivant en contexte urbain, a fortiori appartenant
aux milieux aisés, les bouffées de chaleur constituent l’irruption d’une nature
instable et incontrôlée.» Elles
ne supportent pas cette perte de maîtrise, qu’elles associent à l’indignité. La
«honte» revient souvent dans leurs propos : devenir rouge et suante, dans le
métro ou au travail, en plein milieu d’une négociation ? Pas question. Dans le
«contexte professionnel où rapports de pouvoir et gestion de soi sont au
coeur des interactions», il importe que le corps soit tenu sous tutelle.
Une ex-cadre commerciale, Claude, raconte : «Les bouffées de chaleur, c’est
embêtant. Quand tu étais, comme moi, en permanence avec des gens dans le boulot
et que ça t’arrive sans crier gare, parce que tu n’es pas bien… Imagine que tu
as 39 de fièvre comme ça, dans la minute qui suit !». Claude estime n’avoir
pas eu le choix. C’est une question d’image. Il faut rester performante et
professionnelle, c’est-à-dire «retrouver au plus vite un corps digne de
confiance et une place légitime au sein des interactions», ainsi que le
formule la sociologue.
… et celles qui prennent des tisanes à la sauge
Les femmes vivant en contexte rural, elles, perçoivent les bouffées
de chaleur «comme une manifestation légitime de la nature en soi». L’une
d’entre elles, Roselyne, manutentionnaire, explique : «La ménopause, c’est
la nature, c’est comme l’eau, si elle coule dans un sens, si vous lui mettez un
barrage pour qu’elle aille dans un autre sens, elle va y aller d’abord, et puis
un jour ou l’autre elle ira dans un autre sens, c’est ça la nature, et la
ménopause, c’est pareil, il faut laisser aller, sinon vous allez contre la
nature». Pour ces femmes, la ménopause fait partie de la logique des
cycles. Il s’agit de l’accepter, d’endurer patiemment ces manifestations
corporelles «inévitables, pas toujours agréables, mais logiques : la nature
a ses raisons que la raison ne connaît pas.» Dans leur majorité, les
enquêtées issues de milieux populaires répugnent à user de «produits chimiques»
et leur préfèrent des traitements aux plantes. A leurs yeux, les bouffées de
chaleur sont l’expression légitime d’une nature dont leur corps fait partie.
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A LIRE : La Fabrique de la ménopause, de Cécile Charlap, éditions du CNRS, février 2019.
CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER SUR LA MENOPAUSE :
«Ménopause : le début de la fin ?»
«La ménopause est-elle un «problème» de santé ?»
«Bouffées de chaleur : comment réagir ?»
ILLUSTRATION : Photo © de vasse nicolas,antoine sur Flickr, ici.