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Cet article Écoles d’art en danger : « tout un système à refaire » provient de Manifesto XXI.
Occupation des écoles et des DRAC, manifestations, banderoles et performances publiques : les étudiant·es en art et design se mobilisent depuis plusieurs mois pour sauver leurs écoles de la précarité, voire de la fermeture. Un cri d’urgence pour dénoncer le peu de considération des politiques pour la jeunesse artistique. Interview avec trois membres engagées dans leurs écoles, à Poitiers, Valenciennes et Toulouse.Le milieu de l’art fabrique des conditions de vie précaires. Une école défaillante renforcera cette précarité. […] Qu’en sera-t-il dans 10 ans ? L’accès aux enseignements supérieurs d’art passera-t-il uniquement par le privé ? Le monde de l’art sera-t-il gentrifié, encore plus qu’il ne l’est déjà ? De quels horizons et de quelle société seront issu·es les artistes de demain ? » Fin novembre 2022, des étudiant·es de l’École européenne supérieure de l’image (EESI) de Poitiers/Angoulême prennent la parole pour partager leur inquiétude, à travers un communiqué et un nouveau compte Instagram @ecolesdartendanger.
Solidaires, d’autres lui emboîtent le pas. Car la crainte plane sur presque toutes les écoles d’art en France : suppression ou non-reconduction de postes, disparition de workshops ou de voyages, diminution des achats de matériel… En 2014 déjà, la Haute École d’art de Perpignan se voit contrainte de fermer après plusieurs années de déficit budgétaire. Aujourd’hui, c’est au tour de l’École supérieure d’art et de design (ESAD) de Valenciennes de pressentir un avenir similaire : l’école passera en année blanche dès la rentrée prochaine, c’est-à-dire que plus aucun concours d’entrée ne sera possible, et mettra la clef sous la porte lorsque sa dernière promotion en sortira diplômée.
Plusieurs actions s’organisent alors à l’échelle nationale depuis plusieurs mois : le 18 janvier, les étudiant·es d’une vingtaine d’écoles brandissent des banderoles sur le parvis de leurs établissements, à Angers, au Havre, à Rennes… Le 13 mars, étudiant·es et professeur·es occupent les DRAC (Directions régionales des affaires culturelles) à Montpellier, Bordeaux, Lyon et plusieurs autres villes. À Paris ce matin-là, une délégation de l’inter-organisation est reçue par le ministère de la Culture pour tenter d’ouvrir la discussion. Malgré l’annonce fin mars d’une aide nationale d’urgence de deux millions d’euros (jugés complètement ridicules face à l’ampleur de la crise), la mobilisation continue pour dénoncer une course effrénée vers une « mort du service public » et la privatisation généralisée de l’enseignement supérieur.
Aucune société ne vit sans art ou sans création ! Même sans école, il y aura toujours une pulsion créatrice qui aura besoin d’être sacralisée quelque part. Le contexte des écoles d’art est génial parce que ce sont des terrains pour la création et la rencontre.
Chloé (ESAD Valenciennes)
Trois étudiantes nous ont raconté la situation dans leurs écoles respectives : Lola, en 4ème année à l’École européenne supérieure de l’image (EESI) de Poitiers ; Chloé, en 3ème année en design d’espace à l’ESAD de Valenciennes ; et Zoé, en dernière année de master à l’Institut supérieur des arts et du design de Toulouse (ISDAT).
Lors de l’occupation de la DRAC le 13 mars 2023 à Aix-en-Provence © yumiguduManifesto XXI – Pourquoi les écoles d’art sont-elles occupées actuellement ? Ce mouvement contestataire découle-t-il d’un point de rupture concret ou plutôt d’un ras-le-bol général ?
Lola (EESI Poitiers) : Ça fait plusieurs semaines que des mouvements de mobilisation se créent dans plusieurs écoles supérieures d’art et de design en réponse à la dégradation des conditions d’études et de travail imposées par les moyens budgétaires en baisse. De notre côté, la direction a d’abord annoncé mi-novembre la suppression de deux postes d’enseignant·es d’ici la rentrée 2023. La majorité des étudiant·es se sont tout de suite mobilisé·es : on a organisé des assemblées générales et on a commencé à occuper notre école pendant un mois, en décembre. On a ensuite eu d’autres nouvelles encore plus catastrophiques que les premières : la restructuration et la suppression de 27 postes – fermeture de postes vacants, des départs à la retraite non remplacés, des déplacements forcés de certain·es professeur·es d’un site à l’autre, des déclassements, etc.
Chloé (ESAD Valenciennes) : Sur dix ans, près d’un million d’euros ont été soustraits au budget de l’école. L’agglomération et la mairie nous ont petit à petit retiré ces subventions. Mais ce qui nous a vraiment fait entrer dans cet état d’alerte, ça a été une suppression supplémentaire, de 50 000 euros, à la rentrée 2022. Au même moment, on apprenait que le contrat de la directrice n’allait pas être reconduit, et aucun appel à candidature n’a pour autant été annoncé. On aurait pu se retrouver sans direction. Heureusement, le corps étudiant, appuyé par certain·es professeur·es, ont poussé la candidature d’un professeur qui enseigne depuis un moment à l’école, Stéphane De Harki, qui a été acceptée. Puis, le 5 janvier, la mairie et ses décisionnaires conjoints ont voté la suppression du concours d’entrée et le retrait de notre école de Parcours Sup.
Zoé (ISDA Toulouse) : Pour nous, la mobilisation a commencé après le conseil d’administration qui s’est tenu le 23 novembre dernier. C’est là qu’on s’est rendu compte de toutes ces questions d’orientations budgétaires, clairement défavorables : notre école est en déficit de 230 000 euros. À partir de là, il s’est petit à petit décidé de faire des assemblées générales pour alerter l’ensemble des acteurs et actrices de l’école sur ces questions. Dans ce même temps, on a entendu parler de la mobilisation des autres écoles d’art, notamment à Valenciennes, puis Poitiers/Angoulême. Il y a eu une envie assez forte de créer un mouvement de solidarité.
Avez-vous reçu un soutien des autres acteur·ices de l’école, les enseignant·es ou la direction ? Et/ou de la part d’artistes ou de structures culturelles proches de votre école ?
Lola (EESI Poitiers) : Le directeur de notre école nous tient le discours que oui, ça l’attriste de devoir prendre ce genre de décision. Malgré tout, on n’a pas les réponses qu’on attend. On est jamais pris·es au sérieux, on essuie des réponses ou des réactions hyper paternalistes, dissuasives et culpabilisantes, qui tentent de retourner le problème et de faire passer les victimes pour des bourreaux. Le dialogue est complètement rompu de ce côté-là. Par contre, nos enseignant·es et une petite partie de notre administration nous soutiennent et mettent en place des actions avec nous.
Chloé (ESAD Valenciennes) : Les enseignant·es nous ont directement aidé·es. C’était d’ailleurs super parce qu’on était épaulé·es par des personnes qui avaient plus d’expérience en matière de lutte, qui avaient des bases politiques ou qui avaient déjà vécu des problématiques similaires. Iels ont fait un énorme travail de fond. Sans toute leur dynamique, notre énergie n’aurait certainement pas été la même.
Zoé (ISDA Toulouse) : Dans le comité de lutte, il y a des enseignant·es et des assistant·es d’enseignement, pour la plupart syndiqué·es à la Snead-CGT (Syndicat national des écoles d’art et de design), qui font également partie de ce mouvement général. On parle aussi à des artistes ou d’ancien·nes étudiant·es, qui sont aujourd’hui des jeunes artistes de la scène contemporaine. Dans l’ensemble, on essaie d’informer au maximum tous·tes les acteur·rices du monde de l’art.
Lors de l’occupation de la DRAC le 13 mars 2023 à Aix-en-Provence © yumiguduCela amène la question de la légitimité des écoles d’art en France, qui sont souvent perçues comme inutiles puisque pas rentables. On a souvent une image de l’artiste privilégié·e, coupé·e du monde dans son atelier. En tant qu’artistes en formation, que diriez-vous pour faire valoir l’importance de ces structures et déconstruire ces clichés ?
Lola (EESI Poitiers) : En dehors même de la question des stéréotypes qui sont complètement biaisés, il y a énormément d’étudiant·es parmi nous qui ne pourraient jamais se payer d’école privée. Ce n’est pas pour rien qu’il y a autant de demandes dans les écoles publiques. Ici, on a énormément de boursier·es. La question principale, c’est : est-ce qu’on veut soutenir les écoles privées ou les écoles publiques ? En tant qu’étudiant·es en art et futur·es artistes, est-ce qu’on a notre place dans un système capitaliste ? On a conscience des problématiques de précarisation des artistes post-diplôme, etc. Ce sont des choses qui ne sont pas nouvelles, c’est tout un système qui est complètement à refaire.
Chloé (ESAD Valenciennes) : On a souvent idéalisé l’artiste comme quelqu’un·e d’un peu perché·e et incontrôlable, dont la productivité n’est pas quantifiable. Globalement, les formations avec des débouchées concrètes et une stabilité financière sont celles qui sont mises le plus en avant. Mais une vie culturelle, c’est tellement vital. Aucune société ne vit sans art ou sans création ! Même sans école, il y aura toujours une pulsion créatrice qui aura besoin d’être sacralisée quelque part. Le contexte des écoles d’art est génial parce que ce sont des terrains pour la création et la rencontre. Il faut montrer à nos tutelles, qui essaient pour la majorité de nous évincer, qu’on est là, qu’on est bien concret·es, parce qu’ils ne nous voient pas assez, et c’est plus facile de nous oublier ou de nous écraser quand on n’est pas assez à leurs yeux.
Zoé (ISDA Toulouse) : Cette image d’épinal de l’artiste, un peu ermite, hors sol, qui ne se préoccupe pas du monde qui l’entoure, est très peu pertinente aujourd’hui. La plupart des artistes ne peuvent pas ignorer ce qui se passe dans le monde, c’est juste impossible, à moins de faire partie de cette caste privilégiée. Ce n’est clairement pas le cas quand on est étudiant·e en école d’art, à part pour une minorité de personnes. Même dans nos pratiques, beaucoup préfèrent travailler en collectif. C’est quelque chose qui fait partie de nos vies. Et si un jour on en vient à cette situation où il n’y aurait plus que des petit·es bourgeois·es qui peuvent faire des écoles d’art, eh bien là encore la production artistique va s’en ressentir. On se demande quelle pluralité de profils ça pourra embrasser et quel intérêt ça pourra avoir.
Quelles sont vos attentes pour la suite ?
Lola (EESI Poitiers) : Malheureusement, si les mairies, les régions ou le ministère de la Culture ne souhaitent pas financer davantage actuellement, c’est que ça fait des années qu’iels connaissent la situation et que ça ne les inquiète pas pour autant. On aimerait une augmentation des dotations réellement proportionnelle à nos besoins, qu’on puisse reconduire les professeur·es, qu’on repense les statuts, que les systèmes soient plus horizontaux, aussi en termes de décision.
Chloé (ESAD Valenciennes) : Mon attente principale, c’est aussi que l’État se positionne sur ce problème de fond qui est sa volonté de tout centraliser. Il trouve qu’il y a trop d’écoles pour trop peu d’étudiant·es, donc ce n’est pas rentable pour lui, mais si notre école disparaît, on prive toute une région de cette offre pédagogique. On prive des gens de leur accès à l’éducation, or ça ne devrait pas être aussi compliqué, c’est un droit.
Zoé (ISDA Toulouse) : On sait que ce n’est pas gagné. Toutefois, on essaie de faire légèrement bouger les lignes. Le problème c’est que face aux mastodontes décisionnaires que sont la mairie, l’État, etc. on ne fait pas forcément le poids. Il faut se retrouver dans la rue, il faut continuer de crier qu’on n’est pas content·es, qu’on n’est pas d’accord, de mobiliser plein de gens pour leur montrer qu’on ne se laissera pas faire.
Relecture et édition : Sarah Diep et Anne-Charlotte Michaut
Photos : lors de l’occupation de la DRAC le 13 mars 2023 à Aix-en-Provence © yumigudu
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