Quatre ans. C’est le temps qu’auront durées les recherches de Sabrina Paladino, avant de publier son livre en six mois. Dans le roman Les Nuits Jaunes, elle (se) raconte et questionne les représentations habituelles sur la prostitution et les travailleuses du sexe. On suit le personnage Chiara dans son exploration d’un univers qui lui était parfaitement inconnu, mais qu’elle se plaît à observer d’un regard naïf, curieux et ému.
Les Nuits Jaunes, Sabrina Paladino
Un certain regard sur nos intimités à tous-tes
Tout au long de la lecture, les réflexions et pensées de Chiara nous accompagnent. Cette recherche sur la prostitution fait émerger des questionnements sur la société, le rapport à la sexualité des hommes, sa propre féminité et le regard porté sur les femmes. On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec La Maison, roman d’Emma Becker adapté en film, qui elle est allée jusqu’à se prostituer dans un bordel pour écrire son roman.
Et puis, la condition de la prostituée n’est-elle pas une caricature de la condition de la femme ?
Les Nuits Jaunes, Sabrina Paladino
L’autrice nous invite à s’interroger sur les visions caricaturales du travail du sexe, qui reste un métier majoritairement effectué par des femmes, à destination des hommes. Quelle définition (re)donner au mot « intimité », quand pour certaines s’exposer sexuellement est un métier ? Pourquoi semble-t-il que la figure de la prostituée sorte de la case « femme » pour devenir « autre » ? Qui sont les clients, pourquoi vont-ils dans les bordels et quel est leur vision des relations homme-femme ?
Cet homme se rend dans ce bordel une fois toutes les deux semaines pour assouvir un désir, conscient que le tarif qui lui est imposé est le paiement d’un service sexuel. »
Les Nuits Jaunes, Sabrina Paladino
L’autrice explique un parti pris de se concentrer sur les travailleuses du sexe qui font ce choix librement, sortant ainsi du stéréotype de la prostitution uniquement forcée.
Un miroir grossissant des relations homme-femme
Explorer le monde des désirs nocturnes pousse l’autrice à questionner son rapport au corps et à la féminité. Le personnage principal évoque ses anciens troubles du comportement alimentaire, son éducation moraliste et les effets néfastes sur l’acceptation de sa sexualité.
Le contexte se passe en Suisse, où la prostitution est légale et les bordels encadrés. L’occasion pour l’autrice de se rendre au coeur de l’action et d’avoir même accès aux archives de Grisélidis Réal, écrivaine et prostituée suisse de renom.
Envers les femmes, la figure de la putain correspond à une figure sombre. C’est une bonne manière de les tenir et de leur faire accepter l’aliénation. « Sois une bonne femme, une bonne épouse, contrôle-toi, car sinon tu pourrais être une p*te et cela serait terrible, cela serait la pire des choses qu’il puisse t’arriver. »
Les Nuits Jaunes, Sabrina Paladino
En tant que lecteur-ices, vous réaliserez sûrement comme Chiara, que vous êtes seulement d’un côté du miroir d’une même réalité. Ce travail de l’ombre met en scène des femmes et des hommes comme vous, ayant un échange sexuel monétisé. Mais, nos relations quotidiennes hétéronormées ne sont-elles pas finalement empreintes des mêmes ressorts ? Qu’est-ce que la prostitution dit de la société patriarcale, du féminisme et de nos sexualités ?
Les Nuits Jaunes, Sabrina Paladino. Edition l’Amour des Maux. 19 €.
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