Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.
Interview de Cécile.
Bonjour peux-tu te présenter ? Depuis quand es-tu féministe ; y-a-t-il eu un déclic particulier ou est ce venu progressivement ?
Franco algérienne ayant vécu en Tunisie de 3 à 14 ans, j'ai toute mon enfance eu la double culture, occidentale et orientale.
Ma mère Algérienne a été très marquée dans sa jeunesse par "Le deuxième Sexe" et a toujours été féministe, à sa façon. Elle nous a donné une éducation plutôt occidentale et la sexualité n'a jamais été tabou.
Durant mon enfance, j'entendais son discours sur l'émancipation de la femme et en même temps je voyais autour de moi les différences entre mes frères et moi dans ce qui leur était autorisé et ce qui ne me l'était pas. Je crois c'est vers 11 ans que je suis petit à petit devenu féministe.
J'étais ce qu'on appelle communément "un garçon manqué" (j'ai toujours détesté ce terme !). Les jupes me gênaient, j'aimais jouer au foot, j'avais les cheveux courts, ça ne posait problème à personne Mais à un moment, visiblement les règles n'étaient plus les mêmes. Je n'avais plus le droit de jouer dehors avec les copains, plus le droit de partir dans les salles de jeux, je devais faire attention à comment je me tenais, ... Bref on m'a gentiment fait comprendre que j'étais une Fille et que à priori c'était plus un handicap qu'autre chose.
Je tiens à préciser que j'ai eu ma puberté beaucoup plus tard, j'avais toujours un corps d'enfant, ça n'était pas lié à d’éventuels formes ou courbes. C'était purement gratuit.
J'étais en révolte, j'avais toujours entendu que la Femme était libre de faire la même chose que les Hommes, ... Et en même temps je voyais ma mère/ la société m'assigner à une place que je ne voulais pas.
Je voulais avoir les mêmes droits que mes frères !
Heureusement à 14 ans, je suis arrivée en France pour moi ça était la libération, je voyais bien que je ne disposais pas des mêmes prérogatives que les garçons, mais c'était déjà beaucoup mieux.
Plus tard, quand j'ai eu 18 ans, je suis allée à la fac, loin de ma famille, découvrir les joies de la vie étudiante. J'ai fait la fête, beaucoup d'associatif, je trainais dans les squats, les concerts punks, ... toujours essentiellement dans des milieux plutôt masculins. Rapidement je me suis rendu compte que même là, au milieu de tout ces gens qui voulaient refaire le monde, qui refusent les diktats de la société ( j'étais jeune , être une femme, c'était pas l'atout gagnant. Fallait quand même pas trop la ramener avec ma grande bouche, les nanas qui variaient les amants ça le faisait pas trop quand même, et puis il y avait toujours les gars bourrés à remettre à leur place, des mains aux fesses "pour rigoler", ...
C'est grâce à mon conjoint que je suis vraiment devenu féministe, on s'est rencontré à cette époque et c'était le seul à me considérer comme son égal. Il n'en voulait pas qu'à mes fesses, il n'attendait pas de moi que je sois bonne en cuisine, j'étais libre. Avec lui, je me suis rendu compte que ça n'était pas juste dans ma tête, il y avais bien une injustice faite à mon genre. A partir de là, j'ai commencé à lire, à discuter, à m’intéresser au féminisme et surtout, à partir de là je l'ai assumé haut et fort : je suis féministe militante.
Donc pour me présenter je dirait que je m'appelle Cécile, j'ai 32 ans, je vis avec mon "pacsé" depuis 14 ans, j'ai une fille de 4 ans et j'essaye comme je peux d'être tout à la fois, mais pas en même temps: mère, femme, amante, professionnelle, amie, sœur, citoyenne...
En gros une femme épanouie, où l'image que je m'en fait !
Comment enseignes-tu à ta fille l'égalité de droits entre hommes et femmes ? Trouves-tu qu'à son tout jeune âge elle subit déjà des diktats genrés ?
Mon enseignement de l'égalité entre hommes et femmes se fait au quotidien avec ma fille.
C'est quelque chose que nous avons beaucoup en tête dans nos choix d'achats, dans les explications qu'on lui donne et surtout dans ce qu'elle observe de notre fonctionnement parental.
Elle va grandir avec un modèle de Maman qui travaille plus que Papa (en terme de volume horaire), elle voit donc un homme faire les tâches domestiques, la cuisine, venir la chercher à l'école, ... tout ça lui semble complètement naturel. Elle le voit dans nos familles, elle le voit chez nos amis, ... elle peux le généraliser au sein de son petit monde.
Depuis l'entrée à l'école, là les choses sont devenus un peu plus compliquées. La socialisation avec ses pairs amène chez elle une envie de respecter les codes. Elle veux plus coller à l'image de petite fille, avec du rose, des paillettes, bref des trucs girly !
On essaye de réguler tout ça, de décortiquer ses représentations pour mieux les modifier. En fait, on lui fait un lavage de cerveau, mais à l'envers ! Je discute, j'explique, tout ce que fait un parents habituellement mais avec un spectre élargi.
Dans l'absolu, je m'y prend de la même manière pour lui expliquer les valeurs qui me semble importantes, l'écologie, le respect, la tolérance, la diversité, etc. et le féminisme.
Après ça, il y a les incontournables princesses Disney ! A un moment, il faut accepter les compromis, je ne vais pas lui interdire les Barbies. Donc j'essaye de valoriser certains comportements par rapport à d'autres.
Je lui explique que quand même Cendrillon est un peu mollassonne, elle est complètement passive et épouse le premier prince venu. Pourquoi ne dit elle pas non à sa belle mère, pourquoi elle ne s'enfuit pas ? On ne la voit que chanter et faire le ménage !
La Belle et la Bête nous a donné du beau matériel avec le personnage de Gaston. Il est beau, fort, admiré de tous et pourtant c'est le méchant. Ma fille a posé beaucoup de questions : pourquoi la Belle ne veux pas l'épouser et surtout pourquoi les autres filles veulent l'épouser ? Nous en avons beaucoup discuté. Du haut de ses 4 ans, elle entend tout ça, elle le comprend à sa façon. A force elle intègre tout ça.
Je fait aussi attention au vocabulaire, je refuse de sortir à ma fille des âneries du type "c'est pas beau dans la bouche d'une fille" ou "c'est pas joli", ...
Le fond du message c'est que les Femmes comme les Hommes (j’insiste là dessus), n'ont pas à subir les choses ! Le champs des possibles est le même, je refuse qu'elle se limite du fait de son genre. Et ce message lui est diffusé sous toute ses formes à travers la vie de tout les jours.
Est ce que ma fille subit déjà les diktats genrés : évidement ! Il suffit d'aller faire un tour dans n'importe quel magasin de jeux pour commencer. La grande majorité de ce qui touche aux enfants est genrée.
Ceci dit, en cherchant un peu, nous lui avons trouvé des livres, des jeux, des dessins animés qui correspondent à nos idées et qui défendent l'égalité Homme/Femme. J'ai été à plusieurs reprises très agréablement surprise sur la quantité et la qualité d'applications sur tablette, d'albums jeunesse (elle a déjà son 1er manuel féministe, mes nièces aussi) proposés dès 3 ans.
Ma préférée : La Princesse au petit prout !
Ceci dit, si je me permettre de répondre à une question qui n'est pas posée c 'est tout ce que je ne peux pas lui enseigner et qui est en lien avec le féminisme. Ce face à quoi mon champs d'action est nettement plus limité : la culture du viol. Face aux données sur les violence sexuels, je suis horrifiée de me dire que statistiquement ma fille, juste parce qu'elle est une fille, subira à fortiori des attouchements, un jour où l'autre. Comme une fatalité ou un couperet du fait de son sexe !
Je rigole en disant que pour sortir, ma fille devra d'abord prendre des cours de self défense. Au fond, je ne rigole pas vraiment, je sais que c'est un peu extrême, mais honnêtement c'est le fond de ma pensée. Être capable de réagir, ne pas se positionner comme une victime ambulante comme on nous l'apprends.
Le pire c'est que ça ne règlerait pas grand chose dans la mesure où la majorité des attouchements surviennent dans l'entourage. Je suppose que ayant moi même été victime d'une agression sexuel dans mon enfance, ma perception en est modifiée. Mais au vu des chiffres, je ne pense pas être si parano que ça.
Ai-je déjà eu des rejets en mentionnant ton militantisme ?
Très honnêtement, pas vraiment ou pas frontalement. Je n'hésite à reprendre les gens sur un mot, une idée ou un acte sexiste, mais j'utilise toujours l'humour, ça marche mieux. Je vis en pleine cambrousse dans le Sud Ouest, alors ici, la majorité des mes collègues masculins sont rugbymen et/ou chasseurs. Je ne vais pas faire de généralité, mais c'est plutôt ambiance virile. En règle générale quand je me revendique "féministe" ça les fait rire et comme ils voient que je ne me démonte pas, ils m'écoutent. Il faut dire que pour être crédible, je n'ai pas intérêt à me planter, mais avec les bons arguments (différence de salaire, harcèlement, etc) je parviens à des résultats.
Si ils ont des filles alors là, c'est presque du gâteau !
Étonnamment, même si je ne parlerais pas de rejets, les collègues femmes sont plus difficiles à toucher. Quand je les entends me parler de leur double journée (boulot/maison), du repas qu'elles laissent dans le frigo si elles sortent entre copines ... Elles ont abdiqué depuis longtemps et sont complètement fatalistes. Alors quand elles font des remarques sur le port du voile qui serait l'ultime signe d'oppression masculine, ça me fait bien rire. Et ça m'afflige.
Pourquoi penses-tu que les femmes de ton entourage ont abdiqué ?
Je suppose que c'est en partie lié à l'éducation. Dès l'enfance on apprend aux filles une certaine forme de passivité je trouve. Dès petite, il ne faut pas trop faire de bruit, pas trop de vague. Il suffit de voir comment on forme nos filles : ne pas être trop turbulentes, ne pas se tâcher, ne pas être trop envahissante, ...
Bref : savoir rester à sa place ! Des vrais victimes ambulantes ! Nous sommes éduquées, puis identifiées comme des petites choses fragile. Et l'homme serait là pour nous protéger.
J'imagine que certaines se complaisent là dedans et surtout que leur éducation ne leur a pas permis d'apprendre à se révolter.
Dans mon idée, être féministe, c'est être une guerrière, ne rien lâcher, ne pas se soumettre ! Je crois que c'est précisément ce que je veux apprendre à ma fille et c'est ce qui m'a été transmis par ma mère. C'est en ça que je me considère militante.
Même si je ne suis pas d'accord avec beaucoup de discours féministe relayés par certaines assos (débat sur la prostitution, sur le port du voile, ...). Il n'empêche qu'une bataille est en cours, et malgré les différences d'opinions, je fait partie de cette armée en marche.
Finalement, je m'interroge sur le mot abdiquer concernant mes collègues, car encore faut il livrer bataille pour abdiquer.
Et puis il y a celle pour qui le mouvement ne semble plus pertinent. "On a déjà le droit de vote, le droit à un compte en banque, ... c'est déjà pas mal. Non parce que sinon on faire peur à nos chers hommes. Il suffit d'un peu de patience."
Ce type de discours me fait vomir. Où placent elles leur estime d'elle même ?
Par contre, je précise que ce sont certaines de mes collègues, et en aucun cas des proches. La passivité est quelque chose de rédhibitoire pour moi !
Je souhaiterais ajouter quelque chose concernant l'apparence monolithique du féminisme.
Quand je discute avec des amies, certaines ont une pensée féministe mais ne se reconnaissent pas en tant que telle pour diverses raisons. Entre autres car elles imaginent l'étiquette comme figée, monolithique justement et ne s'y reconnaissent pas.
J'entends que le féminisme porte mal son nom, comme si ce mot signifiait la prise de pouvoir des Femmes sur les Hommes. Que les féministes bataillent pour des détails : supprimer la case "mademoiselle", le harcèlement de rue ... Que les actions sont trop extrêmes, celles des Femen sont souvent citées. Que vouloir l'égalité Homme/Femme n'est pas possible puisque nous ne sommes pas physiquement constitués de la même manière. Que le sujet est trop compliqué et qu'elles ne se sont pas assez documentées pour pouvoir vraiment l'argumenter et s'y identifier.
Beaucoup craignent d'avoir une étiquette collée à elles si elles s'affirmaient en tant que Féministe, comme une tare à cacher.
Il me semble pourtant que c'est précisément la multiplicité des idées, des combats, des personnalités, ... qui fait la richesse de la réflexion.
Le féminisme n'est pas une entité en soi, c'est une façon de penser, une lutte où chacune amène sa pierre à l'édifice. Je continue encore régulièrement à me faire violence (surtout concernant une envie de progression hiérarchique sur laquelle je me freine toute seule de peur de "ne pas être capable" quand je sais que je le suis, entre autre), à modifier ma façon de me positionner, de penser, ... Et c'est ce qui me plaît.
Évidement que je ne me reconnaît pas dans toutes les prises de positions prises par certaines associations (prostitution, port du voile, ...), mais ça n'est pas ce que je recherche.
Je sais que je suis de gauche et pourtant, je ne me reconnais dans aucun parti politique et je serai bien incapable de maîtriser tout les sujet de façon poussée. Pourtant ça ne choque personne.
Alors pourquoi autant de réserve à s'affirmer féministe pour certaines de mes congénères ?
Mais j'y crois, profondément. Et j'espère que ma fille plus tard ira plus loin que moi dans ce combat, comme je l'ai fait moi même vis à vis de ma mère. C'est ce qui me fait avancer.
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