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Le Gender Recognition Act est une loi britannique votée en 2005 pour permettre aux personnes de changer légalement leur genre. Malgré une longue consultation sur le sujet, le gouvernement britannique a annoncé qu'une réforme, permettant aux personnes trans d'auto-déterminer leur genre, n'est finalement pas prévue.
J’ai beaucoup hésité à écrire sur ce sujet (la maladie de ma mère, son agonie puis sa mort en juillet) et à le publier. Si j’ai l’habitude de prendre la colère comme moteur d’écriture, je ne suis pas sûre que les sentiments qui m’animent aujourd’hui me réussissent tout autant. Je ne suis pas non plus habituée à parler publiquement d’évènements aussi intimes. Mais je me dis que cracher tout cela publiquement me permettra de, peut-être, enfin réussir à dormir au lieu de ressasser ce qu’il s’est passé.
Je me dis également que lorsque j’ai appris la maladie de ma mère et que j’ai cherché à me préparer à sa mort (ce fut un échec), j’aurais voulu (et non pas aimé) lire ce que je vais écrire là. Dans tout ce merdier, si je peux en tirer quelques analyses, si cela peut être utile à quelqu’un, toute cette souffrance n’aura peut-être pas été totalement vaine.
Enfin les articles autour de Alain Cocq ont été l’ultime déclic. Cocq souffre d’une maladie dégénérative très douloureuse. Après le refus de Macron de lui permettre d’être sédaté jusqu’à sa mort, il a choisi d’arrêter ses soins, de boire et de manger. Tout ceci fut extrêmement médiatisé. A bout de souffrances, Cocq a décidé d’accepter les soins palliatifs et a repoussé ensuite sa décision de mourir. Et là il n’y avait plus aucun media s’intéressant à lui. J’aurais aimé savoir si Cocq avait, avant sa décision de mourir, bénéficié de soins palliatifs de qualité et si sa douleur avait convenablement été prise en charge. C’est une chose de vouloir mourir, c’en est une autre que de le vouloir parce que la médecine ne gère pas vos douleurs alors qu’elle peut le faire.
Lorsque j’ai dit sur twitter que ma mère avait un cancer du pancréas, plusieurs soignant-e-s sont venu-e-s me dire en DM de surveiller que sa douleur était bien gérée. Or, je savais, car beaucoup de médecins me l’avaient également dit, que nous savons contrôler la douleur des malades en fin de vie et ce, jusqu’à un stade très avancé ; nous avons les médicaments pour et nous savons les utiliser. On sait donc contrôler la douleur mais c’est donc visiblement peu et mal fait.
Ce texte se veut donc, aussi, un plaidoyer pour les soins palliatifs, termes qui font peur parce qu’ils impliquent une mort plus que certaine (on peut toujours avoir un doute) , une agonie avec une perte d’autonomie (et dans un monde validiste rien ne fait plus peur) accompagnée de douleurs d’intensités variables.
Je vais parler de validisme dans ce texte. Je vous renvoie au site du Collectif Lutte et Handicaps pour l'Egalité et l'Emancipation et son manifeste qui parle ainsi du validisme : « Le validisme se caractérise par la conviction de la part des personnes valides que leur absence de handicap et/ou leur bonne santé leur confère une position plus enviable et même supérieure à celle des personnes handicapées. Il associe automatiquement la bonne santé et/ou l’absence de handicap à des valeurs positives telles que la liberté, la chance, l’épanouissement, le bonheur, la perfection physique, la beauté. Par opposition, il assimile systématiquement le handicap et/ou la maladie à une triste et misérable condition, marquée entre autre par la limitation et la dépendance, la malchance, la souffrance physique et morale, la difformité et la laideur. »
Même si nous souhaiterions tous et toutes mourir d’un infarctus dans notre sommeil, nous serons beaucoup à mourir comme ma mère, dans la souffrance psychique et physique. Et nous serons peu à nous suicider avant. Autant donc que les soins qu’on nous apportera à ce moment là soient les plus adaptés possibles.
Lorsque j’ai cherché à me documenter sur la fin de vie, j’ai été frappée du nombre de gens dont les proches étaient morts dans des souffrances extrêmes sans qu’ils remettent en cause cette souffrance. Beaucoup demandaient la légalisation de l’euthanasie sans pour autant demander, également, l’universalisation des soins palliatifs et une meilleure prise en charge de la douleur.
Ma mère et moi (nous n’avons pas d’autre famille) avons appris qu’elle avait un cancer du pancréas en septembre 2019. Ce cancer a un des pronostics les plus sombres ; 5 ans après l’annonce du diagnostic, tous stades confondus, seulement 7 à 9% des malades sont encore en vie. Ma mère avait 77 ans et un cancer très avancé.
Dans ces cas-là, la médecine ne prétend pas guérir le malade. On lui propose directement des soins palliatifs. On espère stopper la progression du cancer pendant un moment tout en offrant au malade la meilleure qualité de vie possible. Ma mère a ainsi fait une chimiothérapie palliative ; elle ne prétend pas faire disparaitre la tumeur, mais ralentir sa progression.
Quelqu’un m’a écrit que perdre sa mère était la chose la plus douloureuse (si évidemment on l’aime), je prétends pour ma part avoir fait l’expérience d’une successions de deuils, parfois définitifs, d’autres temporaires. L’absence n’est pas, tout au moins pour moi, la chose la plus difficile à gérer.
Evidemment ici je ne vais parler que de moi. Il ne vous aura pas échappé que ma mère est morte donc il est difficile de la faire parler. Le texte paraitra sans doute d’un grand égoïsme aux personnes malades qui le liront ; il l’est sans aucun doute, je le confesse volontiers.
1. Faire le deuil de son validisme.
Si on reprend la définition du Collectif Lutte et Handicaps pour l'Egalité et l'Emancipation en l’appliquant au cancer, il s’agit d’accepter que le malade est seul apte à juger si sa qualité de vie est bonne.
Ma mère m’avait dit au début de sa maladie, qu’elle se suiciderait, ayant vu les ravages du cancer du pancréas chez un de ses amis. Elle ne supporterait pas la douleur mais surtout la perte d’autonomie, me disait-elle. Force est de constater qu’elle s’est adaptée et qu’elle n’a pas vécu cela comme une « perte de dignité », expression validiste qu’on ne cesse de nous seriner face aux malades.
En octobre 2019, à cause du cancer, ma mère a développé un abcès au foie, avec des bactéries très résistantes, qui a dégénéré en septicémie. Son pronostic vital était alors très mauvais. Elle s’est beaucoup affaiblie, ne me reconnaissait plus, perdait le contrôle de certaines fonctions, n’avait plus de pudeur. C’est un moment où j’ai voulu qu’elle meure, « pour elle » me disais-je. Avec le recul, je suis capable de mesurer que c’était surtout pour moi, car je ne supportais pas de la voir dans cet état. C’est là qu’intervient la notion de validisme ; voir la condition physique (et surtout mentale) de quelqu’un changer est difficile mais il convient de ne pas calquer notre propre état de santé sur celui du malade en jugeant que sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Ma mère n’a pas conservé de souvenirs de cette période et je dois bien admettre que j’ai du travailler sur moi : accepter que oui, la maladie, ferait peu à peu perdre son autonomie à ma mère. Et alors ? Si elle le vivait bien – et l’entourage – moi – a une part à mon sens importante là-dedans, quelle importance.
15 jours avant sa mort, ma mère ne mangeait plus du tout, elle dormait 20heures par jour d’un mauvais sommeil, elle ne lisait plus ni ne regardait la télé, elle était très défoncée par la morphine et autres. Et pourtant elle m’a plusieurs fois dit « avoir honte mais être heureuse ». Elle était heureuse de mourir chez elle (elle avait peur que je refuse parce que mourir chez elle impliquait que je sois là 24 heures sur 24), la fenêtre ouverte sur son jardin. Heureuse parce qu’elle avait réussi à, à peu près, s’apaiser. Là encore, j’avais plusieurs fois (intérieurement bien sûr) remis en cause l’intérêt de continuer à vivre dans de telles conditions. J’en parle parce qu’il est difficile de voir l’état de quelqu’un se dégrader ; c’est un deuil à faire qui est difficile. Mais si nos sociétés étaient moins validistes, si nous ne voyons pas la dépendance, la perte de contrôle (ex l’incontinence) comme intolérables alors tout cela serait moins mal vécu et par le malade et par sa famille.
Je parle de deuils temporaires car la maladie ne laisse pas de répit. En mai, l’infirmier de ma mère m’appelle car il l’a trouvée dans un très sale état. Je descends donc en plein confinement et je trouve ma mère avec tous les signes d’un AVC (salade de mots, incapacité à répondre à des questions simples, caractère changé etc). Je me souviens rentrer chez elle, dans un Lyon vide – on était en plein confinement – et me dire que ma mère était morte puisque son esprit n’était plus là. J’avais une autre personne en face de moi, totalement différente. Et puis au bout de deux jours, les choses sont à peu près revenues à la normale ; ce n’était pas un AVC mais des séquelles d’une septicémie massive.
Je parle de deuils temporaires car la maladie vous donne l’impression que le malade va mourir dans les jours qui viennent et puis il y a les périodes de rémission où vous vous mettez à lire sur les trois cas mondiaux de miraculés de cancers du pancréas en vous disant que votre mère sera peut-être le quatrième.
Ce qui est difficile à vivre, je crois, c’est de voir combien le malade change mentalement. La dernière semaine de sa vie, ma mère a vu sa dose de morphine doublée par le médecin qui l’a sans doute un peu surdosée, aurait peut-être dû faire des paliers, mais on était en fin de vie et on ne pouvait pas prendre le risque qu’elle ait mal (les douleurs du cancer du pancréas sont extrêmement intenses). Je me suis rendue compte à ce moment-là que je devais dire une nouvelle fois adieu à un morceau de ma mère, la morphine la changeant beaucoup.
Oui il est difficile de voir une personne changer, perdre le contrôle de certaines fonctions, voir son cerveau battre la campagne mais si nous vivions dans une société moins régie par la performance, par l’idée que toute défaillance corporelle est sale, laide et honteuse, nous (malades et proches) le vivrions à mon sens différemment.
2. Faire le deuil de ses certitudes.
On lit souvent des pamphlets contre les médecins et l’acharnement thérapeutique ; mais où commence-t-il ?
J’ai été bannie de twitter parce que j’ai souhaité un cancer (ok c’était très con je l’admets) à un type se prétendant soignant qui me disait qu’il était de l’ordre de l’acharnement thérapeutique que de faire faire une chimio à ma mère. Je ne saurais dire si la chimio a permis à ma mère de mourir moins vite. Je sais en revanche dire qu’elle a souhaité cette chimio même si elle a été difficile. Je sais en revanche qu’elle a dit aux médecins qu’il fallait « tout tenter » pour lui donner un peu de temps et je sais aussi que les médecins ont parfois du mal à lâcher un patient parce que c’est difficile de se dire qu’on ne gagnera pas cette fois-ci.
Peut-être à la fin de sa vie, qu’il aurait fallu arrêter certains traitements plus précocement. Parce que tout traitement a des effets secondaires qu’il faut pallier par d’autres traitements, qui eux-mêmes en ont également. Peut-être a-t-on poussé trop loin. Peut-être aurait-on du sédater 24 heures plus tôt.
Mais je n’ai là-dessus aucune certitude parce qu’il est difficile de savoir ce qui est bon pour le malade et non pas pour soi.
3 jours avant de mourir, ma mère a développé une encéphalopathie hépatique. C’était prévu et les produits de sédation étaient prêts (pour expliquer. La loi Leonetti permet, si le patient est sur le point de mourir et que ses douleurs ne peuvent être soulagées, de le sédater profondément). Ma mère avait rédigé ses dernières volontés en demandant à être sédatée dans trois conditions :
- si la morphine n’était plus efficace face aux douleurs physiques
- si les anxiolytiques n’étaient plus efficaces face aux angoisses
- si elle était en insuffisance respiratoire
Un matin ma mère s’est réveillée dans un état de terreur absolue. J’ai déjà fait des crises de panique, j’ai déjà vu des gens faire des crises de panique ou d’angoisse majeures ; imaginez cela, multipliez-les par 1000 et vous aurez une vague idée de l’état de ma mère. Elle hurlait, pleurait. Malheureusement ses tout derniers mots auront été « aide moi » et le fait est que je ne pouvais pas l’aider, sinon à appeler l’infirmière pour qu’elle arrive au plus vite.
J’ai fait pression pour qu’elle soit sédatée en indiquant bien que les angoisses étaient majeures (j’ai appris ensuite en faisant mes recherches que l’encéphalopathie hépatique pouvait causer des terreurs, des hallucinations). Ma mère étant hospitalisée a domicile et son oncologue étant à 100 km, les décisions se prenaient par téléphone. J’ai donc dû insister une nouvelle fois pour que les doses d’hypnovel soient augmentées car lorsque nous bougions ma mère elle se mettait à hurler, à pleurer, à crier « non » tellement elle avait apparemment peur de tomber.
Je dois faire le deuil de cette décision. J’aurais aimé retarder la sédation espérant que le cerveau de ma mère revienne 5 minutes et que, comme dans les films, on se dise adieu et où elle me donne des conseils à la con sur comment mener ma vie. Même une de ses phrases de droite, j’étais preneuse.
J’aurais aimé accélérer la sédation car je m’en veux de cette matinée ou elle s’est réveillée terrorisée et je me dis que si j’avais emmerdé mon monde la veille, elle aurait été sédatée plus tôt. Il n’y a pas de bonne décision dans de tels cas et c’est difficile à admettre surtout pour quelqu’un comme moi qui aime ce qui est manichéen et binaire.
Et je comprends les médecins qui ont du mal à se dire que c’est terminé, qu’ils veulent tenter encore un truc, qui veulent soulager en entrainant des réactions en chaine difficiles à prévoir.
3. Faire le deuil de la rationalité
J’ai lu plusieurs fois de sérieuses engueulades sur le fait de dire ou pas la vérité aux malades.
Ma mère a appris en avril qu’elle avait des métastases osseuses ; ce n’est pas une réalité qu’elle a pu intégrer et elle me parlait de « son arthrose ». Fin mai, elle a pu prononcer les mots et ses métastases osseuses sont devenues pour elle une réalité avec laquelle elle pouvait vivre.
Il est difficile dans ces cas-là de réinsister ; « non tu ne dois pas faire d’effort sollicitant ton dos à cause des métastases ». « tu as très mal à cause des métastases donc oui il est logique qu’on augmente ta morphine ». Une fois que la vérité est dite, il est difficile de réinsister si le malade ne peut pas/ne veut pas l’entendre. Chacun-e son rythme.
Une heure après avoir appris que c’était désormais une question de jours, ma mère m’a demandé ce que je voulais à Noël avec une tournure de phrase laissant entendre qu’elle serait là. Ce n’était pas du déni, simplement son cerveau lui a laissé un moment de répit bienvenu.
J’ai évidemment dit ce que je voulais à Noël parce que mentir était nécessaire et utile.
Bien malin est celui ou celle qui sait qu'il ne faut pas mentir.
4. Faire le deuil des traumatismes
C’est la partie que j’ai le plus hésité à écrire car c’est peut-être la chose la plus impudique que j’aurais jamais écrite. J’ai l’impression de transgresser un grand tabou en le faisant.
J’ai souhaité lorsque j’ai appris que ma mère allait mourir, m’y préparer (quelle prétention). J’ai ainsi appris l’existence des râles agoniques, qui me terrorisaient. Ils définissent la phase (si j’ai bien compris) où le malade est désormais trop faible pour tousser. Les secrétions s’accumulent au fond de sa gorge, l’air passe au milieu et cela produit un râle. Il n’est pas douloureux pour le malade mais très difficile à entendre pour l’entourage. Certaines études prétendent d’ailleurs que le médicament administré pour tenter de faire passer les sécrétions est surtout intéressant pour la santé psychique de l’entourage, bien plus que pour le malade.
Trois jours avant de mourir, ma mère a commencé à avoir un comportement étrange, que j’ai mis sur le dos de la morphine ; la dose ayant été plus que doublée, il était logique qu’elle soit très HS. Elle a eu quelques hallucinations mais la morphine peut en provoquer. Un soir elle a commencé à refuser l’oxygène, avec une voix de petite fille, elle voulait absolument déambuler dans la maison alors qu’elle en était incapable, je devais donc littéralement la porter d’un endroit à l’autre. L’infirmière est venue en urgence et lui a administré un valium.
elle s’est réveillée à 5 heures du matin en pleine panique avec ces fameux râles agoniques. C’est là que le processus de sédation a été mis en place. Ce qui est assez fou, c’est que je n’ai pas été capable de comprendre ce que c’était alors que j’avais beaucoup lu sur le sujet. Le cerveau humain est curieusement fait.
Ces râles sont indescriptibles, un mélange de toux glaireuse, de ronflement ; ils sont très traumatisants je le confirme (désolée c’est le max que je peux dire là-dessus, je ne sais pas parler de ce que je ressens).
L’hypnovel (le médicament qui sédate) a ensuite été augmenté car visiblement ma mère continuait à être très angoissée. C’est vraiment la chose que je regrette ; qu’aucun soignant ne m’ait dit qu’il y avait un risque de terreurs et d’hallucinations avec une encéphalopathie.
Il y a eu un moment difficile où j’ai du aider l’infirmière à enlever les bagues de ma mère (ses doigts avaient énormément gonflé et cela faisait compression). J’ai eu l’impression de la détrousser ; et de l’autre cela m’a rassurée sur l’efficacité de l’hypnovel car on a vraiment tiré comme des malades sans qu’elle bouge un sourcil.
Le 15 juillet au soir, j’ai eu le sentiment que ma mère allait mourir. Certes comme tous les soirs depuis 8 mois mais ce jour là c’était un peu plus fort. Je l’ai trouvée agitée, le visage crispée, les mains qui bougent spasmodiquement. J’avais l’autorisation de faire des bolus (avec une pompe à médicament, le malade reçoit des médicaments en continu et il peut s’en injecter une dose d’un seul coup ; on appelle cela un bolus) de morphine et hypnovel et c’est ce que j’ai fait. Elle s'est apaisée ; le visage s'est décrispé, les mains sont retombées sur le drap. Malgré cela j'ai su qu'elle allait mourir dans la nuit. Je suis allée dormir, ce que je n'ai pas réussi à faire.
Le lendemain elle était morte. J’ai débranché la pompe à oxygène. Il y a quelque chose que je trouve très bien dans la religion musulmane (peut-être que cela existe dans les autres monothéismes je ne sais pas) c’est la place accordée à la toilette mortuaire ; je pense que cela permet de pleinement réaliser les choses. Sans vouloir faire sa toilette, j’aurais voulu enlever les tuyaux qu’elle avait de partout, cela m’aurait donné l’impression de mettre un point final. Malheureusement les infirmières n’ont pas voulu.
Et voilà l’histoire s’arrête ici.
Si je devais tirer quelques conclusions de cette expérience :
- lire beaucoup et davantage les militant-e-s qui nous informent sur le validisme
- un rapport est paru sur les soins palliatifs ; faire le même rapport côté malades
- comprendre pourquoi la douleur est si mal prise en charge alors qu’on sait le faire ; on sait déjà par les militant-e-s qu’il y a des raisons sexistes/racistes à certaines non prises en charge.
Dans le cas de ma mère il y a sans nul doute un manque d’écoute (du à plein de choses). Lorsque ma mère leur disait que « ca allait » et que je creusais, je découvrais qu’elle était à 5 de douleur. Parce qu’elle ne voulait pas « emmerder les gens », parce qu’elle avait « l’impression de devenir douillette » , parce qu’elle « avait peur que si elle prenait trop de calmants maintenant ils n’agissent plus ensuite ».
- ne pas minorer les angoisses. J’ai demandé et insisté à ce que ma mère soit sédatée à cause de ses terreurs ; les soignant-e-s avaient ses dernières volontés sous le nez mais ils avaient zappé le passage sur les angoisses.
Il y a quelques temps j'ai écrit cet article sur la difficulté à voir vieillir les femmes. Je me suis dit que c'était un petit geste militant de poster cette photo de ma mère, trois semaines avant sa mort. Le cancer lui a pris sa graisse et ses muscles. Ses pupilles sont dilatées à cause de la morphine, symbolisée par le petit sac bleu qui lui en délivre. La maladie l'empêche de boire du vin, elle a donc une menthe à l'eau. Elle essaie de cacher la pompe à morphine avec un foulard qui a bougé, et l'autre foulard essaie de dissimuler ses cheveux trop longs. A côté d'elle, son déambulateur. C'est à la fois elle et plus tout à fait elle. La maladie vole beaucoup de choses.
merci de m’avoir lue
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Un paradoxe semble pourtant planer au dessus des réseaux : d’un côté ils seraient un moyen de libérer la parole sur le sexe, de l’autre ils la brideraient aussi, influençant ainsi la sexualité.
Une meilleure confiance en soi ?Les réseaux sociaux pourraient améliorer la confiance en soi notamment à travers l’utilisation des nudes. Les sociologues Katrin Tidenberg et Emily van der Nagel, ont abordé le sujet dans leur livre Sex and social media. Pour elles, les réseaux faciliteraient le transfert des nudes qui permettent de se sentir plus en confiance sexuellement.
Plutôt que par simple texto, les réseaux sociaux sont aussi pensés pour échanger des photos plus facilement. Des idées coquines émergent dans les pensées de certains et le sexting s’en voit intensifié.
Les nudes peuvent avoir un réel impact sur la sexualité. Selon une étude de Zava menée sur 2000 personnes, 61% des répondants qui envoient des nudes tous les jours rapporteraient être très satisfaits de leur vie sexuelle contre seulement 19% pour ceux qui en auraient envoyé quelquefois dans leur vie.
Moins d’isolement ?Les réseaux semblent aussi propices à la découverte de communautés sexuelles via des groupes et des pages spécifiques. Les 2 sociologues prennent notamment l’exemple de la communauté BDSM ou encore de la communauté des polyamoureux. Au sein de ses groupes...Lire la suite sur Union
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Au Japon, les VTubers les plus populaires sont des jolies filles style manga dont personne ne connait l’identité. Généralement, il s’agit d’hommes… mais cela n’entame pas leur succès. Au contraire.
En 2016, le phénomène du VTubing prend son essor avec la star du «virtual streaming» : Kizuna Ai, un personnage sexy en 3 dimensions. Son nom peut se traduire «le lien (kizuna) de l’amour (ai)». Kizuna Ai est officiellement présentée comme une intelligence artificielle (AI). « Je ne suis pas humaine», prétend-elle. Evidemment, personne n’est dupe : quelqu’un anime cette marionnette numérique. S’agit-il d’un homme ou d’une femme ? Le 24 avril 2020, le secret de polichinelle est enfin révélé. C’est une actrice, Nozomi Kasuga, qui donnait vie au personnage. Mais à l’échelle de ce qui, entre-temps, est devenu une gigantesque industrie, Nozomi fait figure d’exception. Les femmes sont rares dans le milieu, surtout celui des amateurs. Ainsi que le dévoilent deux VTubeuses japonaises, créatrices d’un groupe de recherche appelé Holographic (dans une conférence diffusée sur le site du musée du quai Branly), « au Japon, la majorité des utilisateurs de technologies VTuber sont des hommes qui empruntent l’apparence de belles jeunes filles ». Certains de ces hommes se définissent d’ailleurs comme ba-bi-niku, un mot qu’on pourrait traduire «incarnation (juniku) en jolie fille (bishôjo) virtuelle (bâcharu)». S’agit-il de travestissement ?
Vtubing = travestissement high-tech ?
Oui, répondent les créatrices de Holographic. Les ba-bi-niku sont des hommes qui utilisent l’avatar pour changer de sexe de façon temporaire. C’est très proche du maquillage, disent-elles : on peut mettre un maquillage, puis l’enlever. On peut «enfiler» un avatar, puis l’ôter. La seule différence, c’est que l’avatar dissimule le corps de la personne qui le «porte» et le rend méconnaissable, comme par un coup de baguette magique. « Si vous aviez la possibilité de choisir une apparence et une existence totalement différentes de la vôtre, lesquelles choisiriez-vous ? » Grâce au VTubing, vous pouvez «devenir ce que vous voulez », affirme Holographic : une machine, un magnifique animal, une femme, un séduisant jeune homme. C’est à vous de l’inventer. Les VTubers, de fait, se font une gloire de créer leur propre avatar qu’ils dessinent sur un écran (en 2D) ou modélisent (en 3D) et qu’ils considèrent comme une extension d’eux-même, la chair de leur chair (1). L’avatar qu’ils ont fantasmé, puis créé de leurs propres mains est, à ce titre, le miroir le plus authentique de leur véritable Moi.
Le corps de rêve est «plus vrai» que le réel
Pour certains VTubers, «le corps avec lequel on naît ne reflète pas vraiment qui on est ». Certains posent la question : entre le corps de chair, attribué au hasard des croisements génétiques, et le corps numérique, fruit d’un choix personnel, lequel est un mensonge ? Lequel est le vrai ? Dans un entretien passionnant –sur le site Grape Japan–, le journaliste Ben K. demande à une des plus célèbres VTubeuse du Japon : s’efforce-t-elle de dissimuler qu’elle est, en «réalité», un homme ? Nem répond : « Je dois faire attention quand je me penche, sinon les internautes voient ma culotte. Plaisanterie à part, non, je ne fais aucun effort. La jolie fille, ce n’est pas quelque chose qu’on interprète, c’est soi-même. » Ben K. interroge ensuite Takurô, artiste de kigurumi (2), créateur de la compagne Hyokkame. Takurô lui aussi se travestit, mais sans l’aide d’un avatar. Pour changer de sexe, il enfile une tenue qui le recouvre intégralement, sans laisser apparaître un centimètre de peau. « Beaucoup de gens créent un costume pour exprimer une part de leur identité », explique Takurô. Il est donc essentiel que ces gens cachent leur «corps d’origine».
Le sexe de naissance relève de la contingence
Dans le milieu du kigurumi, il est mal vu de demander si «la personne à l’intérieur» (naka no hito ) est un homme ou une femme. «C’est un tabou», affirme Takurô, car le secret doit être gardé. S’il n’y avait pas de secret, la «jolie fille» perdrait son charme… C’est en tout cas ainsi que raisonnent une partie des fans. Bien qu’ils ne soient pas dupes, ils préfèrent investir cette zone de flou et de non-dit pour rêver leur idole. Bien qu’elle ait publiquement révélé être un homme, Nem comprend leur goût du mystère : « Personnellement, je pense que le terme ba-bi-niku est dommageable car il précise le genre de la personne à l’intérieur, alors que cela ne devrait avoir aucune importance. » Pour Nem, chaque individu étant à la fois mâle et femelle, cela ne rime à rien de savoir quel est son sexe de naissance. Cette opinion semble partagée au Japon. Pourquoi ne pas se fier uniquement aux apparences ? Si une personne emprunte un corps féminin, n’est-ce pas pour exprimer sa féminité intérieure ?
«Voulez-vous voir le corps physique des des VTubeuses ? »
Le sexe réel ne compte pas : pour les fans, il semble que cette opinion soit très largement partagée. En mars 2020, le propriétaire d’un avatar nommé Namonaki (littéralement «pas de nom non plus») poste sur son compte Twitter le résultat d’un sondage : «Voulez-vous voir le corps physique des VTubeuses ?».
おはようございます。今、VTuberの体出しについて考えてて、一体どこまで許容されうるのか、皆さんのイメージをお聞かせ願えればなと思います。皆さんは、VTuberがリアルの身体を動画に出す場合、どこまでならそのキャラクターのイメージを壊さないでいられる(端的に言えば「許せる」)でしょうか? — なもなき@エンジニア修行中 (@Nam0naki_) March 25, 2020
Sur les 1248 sondé-es, 31,5% répondent « Non». 24,1% répondent : «Juste les mains et les pieds». 13,1% répondent : « Tout le corps sauf la tête». 31,3% répondent : «Tout le corps, même la tête, c’est OK ». Dans leur grande majorité, les fans de VTubeuses n’ont pas trop peur de se confronter à la réalité, mais préfèrent –autant que possible– laisser le corps biologique dans l’ombre. Ils admettent que la «belle fille» puisse être animée par un homme, et cela certainement lui donne un charme supplémentaire, mais pour que le charme opère il s’agit de laisser la «belle fille» occuper le devant de la scène. C’est son corps à elle qui compte, car il est l’expression d’un désir. C’est elle dont ils tombent amoureux.
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Amoureux d’une «belle fille virtuelle», est-ce possible ? La suite prochainement.
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A LIRE : «Being Bishōjo: A dialogue between independent Vtuber Virtual Bishōjo Nem & kigurumi artist Takurō», entretien réalisé par Ben K, avec la collaboration de Ludmila Bredikhina, pour la revue Grape Japan, 15 juin 2020.
A LIRE : Défense du secret, d’Anne Dufourmantelle, manuels Payot, 2015
A LIRE : des interviews sur Grape Japan, comme celle de Junji Ito et plus.
A VOIR : Chaine YouTube de Holographic / Comptes Twitter des deux créatrices de Holographic : Juriko じゅりこ : https://twitter.com/@Juliconyan et Yôhen よーへん : https://twitter.com/@361Yohen
A VOIR : Compter Twitter de Hyokkame / Hyokkame official website / Hyokkame sur Instagram
A VOIR : Chaîne YouTube de Nem / Blog de Nem : 人類美少女計画 World Bishōjo Project / Nem est l’auteur d’un roman : 『仮想美少女シンギュラリティ』«Virtual Bishōjo Singularity» / Produits dérivés en vente sur la boutique de Nem
POUR EN SAVOIR PLUS : les conférences du colloque international “Desired Identities. New Technology-based Metamorphosis in Japan”, en accès libre sur la Chaine YouTube du musée du quai Branly-Jacques Chirac. Ce colloque aborde le phénomène “kyara-ka” (transformation en personnage fictif) ainsi que les stratégies et pratiques numériques liées à la présentation de soi : avatar, vocaloid, e-cosplay, VTubing... Organisé par le groupe de recherche européen EMTECH, en collaboration avec le département de la recherche du musée du Quai Branly, ce colloque se déroulait en LiveStreaming les samedi 27 et dimanche 28 juin 2020.
POUR EN SAVOIR PLUS : Port du masque : danger, perte d’identité ? ; Faire «l’expérience d’un allaitement virtuel» ? ; Qui se cache derrière cette fille ? ; L’industrie des petites copines en ligne.
NOTES
(1) J’omets ici sciemment le cas des avatars créés de toutes pièces par des compagnies puis confiés à des acteurs ou à des actrices sous contrat : l’avatar en question reste alors propriété de la compagnie qui peut, à sa guise, renvoyer l’acteur si celui-ci demande une augmentation ou baisse en productivité. Ces avatars-là sont l’équivalent de personnages de super-héros qui sont confiés à des équipes de dessinateurs différentes.
(2) La tenue appelée kigurumi se constitue d’une fausse peau en lycra (zentai), de vêtements féminins et d’un casque reproduisant une tête de personnage inspiré par l’esthétique manga.
Au Japon, les VTubers les plus populaires sont des jolies filles style manga dont personne ne connait l’identité. Généralement, il s’agit d’hommes… mais cela n’entame pas leur succès. Au contraire.
En 2016, le phénomène du VTubing prend son essor avec la star du «virtual streaming» : Kizuna Ai, un personnage sexy en 3 dimensions. Son nom peut se traduire «le lien (kizuna) de l’amour (ai)». Kizuna Ai est officiellement présentée comme une intelligence artificielle (AI). « Je ne suis pas humaine», prétend-elle. Evidemment, personne n’est dupe : quelqu’un anime cette marionnette numérique. S’agit-il d’un homme ou d’une femme ? Le 24 avril 2020, le secret de polichinelle est enfin révélé. C’est une actrice, Nozomi Kasuga, qui donnait vie au personnage. Mais à l’échelle de ce qui, entre-temps, est devenu une gigantesque industrie, Nozomi fait figure d’exception. Les femmes sont rares dans le milieu, surtout celui des amateurs. Ainsi que le dévoilent deux VTubeuses japonaises, créatrices d’un groupe de recherche appelé Holographic (dans une conférence diffusée sur le site du musée du quai Branly), « au Japon, la majorité des utilisateurs de technologies VTuber sont des hommes qui empruntent l’apparence de belles jeunes filles ». Certains de ces hommes se définissent d’ailleurs comme ba-bi-niku, un mot qu’on pourrait traduire «incarnation (juniku) en jolie fille (bishôjo) virtuelle (bâcharu)». S’agit-il de travestissement ?
Vtubing = travestissement high-tech ?
Oui, répondent les créatrices de Holographic. Les ba-bi-niku sont des hommes qui utilisent l’avatar pour changer de sexe de façon temporaire. C’est très proche du maquillage, disent-elles : on peut mettre un maquillage, puis l’enlever. On peut «enfiler» un avatar, puis l’ôter. La seule différence, c’est que l’avatar dissimule le corps de la personne qui le «porte» et le rend méconnaissable, comme par un coup de baguette magique. « Si vous aviez la possibilité de choisir une apparence et une existence totalement différentes de la vôtre, lesquelles choisiriez-vous ? » Grâce au VTubing, vous pouvez «devenir ce que vous voulez », affirme Holographic : une machine, un magnifique animal, une femme, un séduisant jeune homme. C’est à vous de l’inventer. Les VTubers, de fait, se font une gloire de créer leur propre avatar qu’ils dessinent sur un écran (en 2D) ou modélisent (en 3D) et qu’ils considèrent comme une extension d’eux-même, la chair de leur chair (1). L’avatar qu’ils ont fantasmé, puis créé de leurs propres mains est, à ce titre, le miroir le plus authentique de leur véritable Moi.
Le corps de rêve est «plus vrai» que le réel
Pour certains VTubers, «le corps avec lequel on naît ne reflète pas vraiment qui on est ». Certains posent la question : entre le corps de chair, attribué au hasard des croisements génétiques, et le corps numérique, fruit d’un choix personnel, lequel est un mensonge ? Lequel est le vrai ? Dans un entretien passionnant –sur le site Grape Japan–, le journaliste Ben K. demande à une des plus célèbres VTubeuse du Japon : s’efforce-t-elle de dissimuler qu’elle est, en «réalité», un homme ? Nem répond : « Je dois faire attention quand je me penche, sinon les internautes voient ma culotte. Plaisanterie à part, non, je ne fais aucun effort. La jolie fille, ce n’est pas quelque chose qu’on interprète, c’est soi-même. » Ben K. interroge ensuite Takurô, artiste de kigurumi (2), créateur de la compagne Hyokkame. Takurô lui aussi se travestit, mais sans l’aide d’un avatar. Pour changer de sexe, il enfile une tenue qui le recouvre intégralement, sans laisser apparaître un centimètre de peau. « Beaucoup de gens créent un costume pour exprimer une part de leur identité », explique Takurô. Il est donc essentiel que ces gens cachent leur «corps d’origine».
Le sexe de naissance relève de la contingence
Dans le milieu du kigurumi, il est mal vu de demander si «la personne à l’intérieur» (naka no hito ) est un homme ou une femme. «C’est un tabou», affirme Takurô, car le secret doit être gardé. S’il n’y avait pas de secret, la «jolie fille» perdrait son charme… C’est en tout cas ainsi que raisonnent une partie des fans. Bien qu’ils ne soient pas dupes, ils préfèrent investir cette zone de flou et de non-dit pour rêver leur idole. Bien qu’elle ait publiquement révélé être un homme, Nem comprend leur goût du mystère : « Personnellement, je pense que le terme ba-bi-niku est dommageable car il précise le genre de la personne à l’intérieur, alors que cela ne devrait avoir aucune importance. » Pour Nem, chaque individu étant à la fois mâle et femelle, cela ne rime à rien de savoir quel est son sexe de naissance. Cette opinion semble partagée au Japon. Pourquoi ne pas se fier uniquement aux apparences ? Si une personne emprunte un corps féminin, n’est-ce pas pour exprimer sa féminité intérieure ?
«Voulez-vous voir le corps physique des des VTubeuses ? »
Le sexe réel ne compte pas : pour les fans, il semble que cette opinion soit très largement partagée. En mars 2020, le propriétaire d’un avatar nommé Namonaki (littéralement «pas de nom non plus») poste sur son compte Twitter le résultat d’un sondage : «Voulez-vous voir le corps physique des VTubeuses ?».
おはようございます。今、VTuberの体出しについて考えてて、一体どこまで許容されうるのか、皆さんのイメージをお聞かせ願えればなと思います。皆さんは、VTuberがリアルの身体を動画に出す場合、どこまでならそのキャラクターのイメージを壊さないでいられる(端的に言えば「許せる」)でしょうか? — なもなき@エンジニア修行中 (@Nam0naki_) March 25, 2020
Sur les 1248 sondé-es, 31,5% répondent « Non». 24,1% répondent : «Juste les mains et les pieds». 13,1% répondent : « Tout le corps sauf la tête». 31,3% répondent : «Tout le corps, même la tête, c’est OK ». Dans leur grande majorité, les fans de VTubeuses n’ont pas trop peur de se confronter à la réalité, mais préfèrent –autant que possible– laisser le corps biologique dans l’ombre. Ils admettent que la «belle fille» puisse être animée par un homme, et cela certainement lui donne un charme supplémentaire, mais pour que le charme opère il s’agit de laisser la «belle fille» occuper le devant de la scène. C’est son corps à elle qui compte, car il est l’expression d’un désir. C’est elle dont ils tombent amoureux.
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Amoureux d’une «belle fille virtuelle», est-ce possible ? La suite prochainement.
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A LIRE : «Being Bishōjo: A dialogue between independent Vtuber Virtual Bishōjo Nem & kigurumi artist Takurō», entretien réalisé par Ben K, avec la collaboration de Ludmila Bredikhina, pour la revue Grape Japan, 15 juin 2020.
A LIRE : Défense du secret, d’Anne Dufourmantelle, manuels Payot, 2015
A LIRE : des interviews sur Grape Japan, comme celle de Junji Ito et plus.
A VOIR : Chaine YouTube de Holographic / Comptes Twitter des deux créatrices de Holographic : Juriko じゅりこ : https://twitter.com/@Juliconyan et Yôhen よーへん : https://twitter.com/@361Yohen
A VOIR : Compter Twitter de Hyokkame / Hyokkame official website / Hyokkame sur Instagram
A VOIR : Chaîne YouTube de Nem / Blog de Nem : 人類美少女計画 World Bishōjo Project / Nem est l’auteur d’un roman : 『仮想美少女シンギュラリティ』«Virtual Bishōjo Singularity» / Produits dérivés en vente sur la boutique de Nem
POUR EN SAVOIR PLUS : les conférences du colloque international “Desired Identities. New Technology-based Metamorphosis in Japan”, en accès libre sur la Chaine YouTube du musée du quai Branly-Jacques Chirac. Ce colloque aborde le phénomène “kyara-ka” (transformation en personnage fictif) ainsi que les stratégies et pratiques numériques liées à la présentation de soi : avatar, vocaloid, e-cosplay, VTubing... Organisé par le groupe de recherche européen EMTECH, en collaboration avec le département de la recherche du musée du Quai Branly, ce colloque se déroulait en LiveStreaming les samedi 27 et dimanche 28 juin 2020.
POUR EN SAVOIR PLUS : Port du masque : danger, perte d’identité ? ; Faire «l’expérience d’un allaitement virtuel» ? ; Qui se cache derrière cette fille ? ; L’industrie des petites copines en ligne.
NOTES
(1) J’omets ici sciemment le cas des avatars créés de toutes pièces par des compagnies puis confiés à des acteurs ou à des actrices sous contrat : l’avatar en question reste alors propriété de la compagnie qui peut, à sa guise, renvoyer l’acteur si celui-ci demande une augmentation ou baisse en productivité. Ces avatars-là sont l’équivalent de personnages de super-héros qui sont confiés à des équipes de dessinateurs différentes.
(2) La tenue appelée kigurumi se constitue d’une fausse peau en lycra (zentai), de vêtements féminins et d’un casque reproduisant une tête de personnage inspiré par l’esthétique manga.
Automne 1900. A l'origine du mouvement hippie, une féministe – Ida Hoffmann – fonde le mythique Monte Verità. Situé au-dessus d'Ascona, en Suisse, cette colonie nudiste et végétarienne attire une foule d'artistes et de penseurs qui élaborent sur place la libération sexuelle.
A l’origine, Monte Verità «Le mont de la vérité» est une haute colline appelée Monescia, située au-dessus d’un village de pêcheurs faméliques, Ascona.
Le village date des Celtes qui ont chargé la région de rituels singuliers liés à la topographie hautement suggestive du lieu : la colline Monescia se dresse, bombée comme un mont de Venus, entre les cuisses galbées de deux long sillons montagneux. Nous sommes sur le corps d’une femme. Le magnétisme très élevé de la colline contribue à lui conférer la valeur d’un lieu sacré. A ce sujet, saviez-vous que la Suisse est le premier pays au monde à avoir créé des cartes magnétiques du territoire ? Parmi les trois lieux présentant des anomalies magnétiques en Suisse, Monte Verità est le plus puissant de tous.
Trois femmes et trois hommes
1900. Trois hommes et trois femmes en quête d’un idéal de vie libre et spirituelle parcourent la région à pied, les pieds chaussés de sandales, vêtus de tenues amples en coton écru, les cheveux flottants. Le groupe compte : les frères Karl et Gusto Gräser, de Transylvanie en Autriche (Karl est un ancien officier, Gusto est peintre, sculpteur et poête), l’enseignante Lotte Hattemer d’Allemagne, le belge Henri Oedenkoven, fils d’industriels fortunés, et sa compagne austro-hongroise, Ida Hoffmann, avec laquelle il vit en couple libre. Ida Hoffmann (1864-1926) est la tête pensante du groupe. Elle a 36 ans, soit 10 ans de plus qu’Henri. Un peu plus tard arrive sa soeur Jenny Hoffmann, chanteuse de concert, qui tombe amoureuse de Karl.
«Ne soyez plus des poupées»
Qui est Ida Hoffmann ? «Professeur de piano en Russie, préceptrice au Monténégro, dame de cour à Vienne», elle parlerait couramment sept langues et se bat pour l’émancipation de la femme : «Ne soyez plus des poupées, devenez de vraies personnes !». Elle encourage Henri Oedenkoven à financer l’acquisition d’un terrain sur lequel il serait possible de fonder un lieu de vie alternatif. Les frères Gräser ont découvert le lieu idéal. Leur choix se porte sur une colline fertile que les pêcheurs surnomment «la motte», encadrée par deux autres collines en forme de mamelles, sur les rives d’un lac aux transparences de cristal.
La Suisse : pays-refuge des anarchistes
Le site, idyllique, est d’autant plus propice à la fondation de ce projet communautaire qu’il se situe dans une région qui attire déjà depuis 20 ans les contestataires et les visionnaires, opposés au capitalisme industriel. En 1869, Bakounine s’est établi dans les environs et attire ses amis pour la mise au point d’une société sans classes. En 1871, Nietzsche fait un séjour à Ascona. En 1885, la baronne russe Antoinette de Saint Léger achète l’île Brissago, en face de Monescia, et la transforme en paradis botanique puis la revend à un banquier qui y organise ses orgies privées. En 1889, un «couvent» théosophique aurait dû être créé sur la colline, visant la création d’une fraternité universelle d’hommes libres.
De la coopérative utopiste…
Les rives du lac servent de refuge à tous les rêves de nouvel Eden. Lorsque les pionniers de Monte Verità jettent leur dévolu sur cette colline, ils y choisissent un vignoble en friche qu’Henri achète pour 140 000 francs, avec un projet étonnant : celui d’une coopérative servant de laboratoire aux expériences de vie nouvelle, où les hommes et les femmes seraient à égalité. Guidés par Ida Hoffmann, ils y mettent au point le principe des bungalows séparés par des arbres, où chacun peut vivre à sa guise. Il y en a une dizaine pour que les personnes partageant les mêmes valeurs puissent élaborer à cet endroit une société alternative, protégée du poison bourgeois et chrétien.
Les activités sont communes pour contribuer au bien général. Il s’agit de construire des «cabanes air-lumière», qui favorisent une vie simple, saine, et de cultiver un jardin collectif, afin d’assurer sa subsistance puis, le reste du temps, profiter de la beauté de la nature : marche, port de vêtements larges (pas de corset, pas de redingote), baignade, danses rythmiques. Le travail et la vie au grand air sont censés calmer la libido. Pour Ida Hoffmann, l’égalité entre hommes et femmes ne peut advenir que si le désir de possession laisse place au désir fusionnel.
Ci-dessous «la maison des russes» bâtie par des communistes.
La «maison de thé»
Une cabane pour les visiteurs de passage
… à l’institut de «guérison par la nature»
En 1901, cependant, Ida Hoffmann et Henri –la tête sur les épaules–, décident de transformer leur villégiature en centre de remise en forme.
Dès 1902 – tout en rédigeant un prospectus pour ce sanatorium avant-gardiste–, Ida Hoffmann publie un livre rempli de conseils pour «l’épanouissement harmonieux de la condition féminine». Elle y fait la promotion de la vaisselle facile à laver et des vêtements qui ne nécessitent pas de repassage. Moins la femme perd de temps dans l’espace domestique, mieux c’est pour l’égalité. En 1905, elle publie un second livre pour la promotion du végétarisme. Sur Monte Verità, la viande est interdite, ainsi que le sel.
Henri et Ida font bâtir la «maison centrale» où les visiteurs peuvent faire salon et manger moyennant une petite somme d’argent. Si les visiteurs participent au jardinage et à l’entretien, ils ne payent que les frais d’électricité. Mais s’ils viennent pour juste se reposer et profiter des infrastructures, ils doivent payer leurs repas et leur chambre.
Le repas est constitué uniquement de gruau, de noix, de pain, de fruits, de légumes (pommes de terre, pois) et (après une longue résistance) de laitage. Il est interdit de fumer à Monte Verità. Il est interdit de boire de l’alcool ou du café. L’homme politique et littéraire Georges Renard s’en moque cruellement dans un essai sur «Les Hommes de la Nature» d’Ascona (numéro du 4.9.1904 de «La Petite République», Paris).
Les chambres sont simples. Un lit en fer, un lavabo, une table, une chaise, une armoire et un poële. Parfois même il n’y a pas de poële car il s’agit de se fortifier en vivant à la dure.
Le repos inclut des séances d’exposition à l’air libre. Ici, une véranda en bois permet aux hommes et aux femmes, séparés par une cloison de bois, de s’allonger nu-es pour prendre des bains d’air et de soleil.
Ci-dessous, la partie des hommes (photo datant de 1905), avec des sortes de baignoires aménagées dans l’herbe et où chacun peut s’allonger.
Certains visiteurs décident de s’installer à demeure. On les reconnaît au fait que les hommes portent les cheveux longs et ressemblent aux nazaréens. Les femmes, elles, sont vêtues de longues robes blanches et certaines font scandale en refusant de porter le chignon. Au village d’Ascona, on les désigne comme des femmes «en cheveux», autrement dit des prostituées.
Toute la fleur intellectuelle de l’Europe
Monte Verità devient rapidement «un lieu magnétique, doté d’un pouvoir d’attraction prodigieux» (Barbara Piatti) : on y retrouve les écrivains Hermann Hesse et Erich Mühsam, les danseuses Isadora Duncan et Mary Wigman, le sociologue Max Weber, ainsi qu’une foule de jeunes bourgeois bohêmes, hommes et femmes, souhaitant s’adonner librement à l’amour.
En 1904, le sculpteur berlinois Max Kruse fonde une colonie d’artistes sur le Monte Verità.
En 1905, les frères Gräser lancent le festival de danse «Balabiott» dans la forêt d’Arcegno, qui attire notamment les étudiants révolutionnaires russes.
En 1905, l’anarchiste juif-allemand Mühsam veut faire de Monte Verità un République pour les persécutés. Mais son projet avorte. Mühsam sera tué par les SS dans un camp de travail.
En 1906, Oto Gross, médecin allemand converti à la psychanalyse, veut créer à Monte Verità une Université pour l’émancipation de l’homme.
En 1909, la «comtesse cosmique» Franziska de Reventlow, reine de la bohême munichoise, vient s’établir à Ascona. Le poète anglais Harold Monro achète le moulin forestier de Ronco et en fait son nid d’amour. Plus tard, il sera le principal promoteur de poètes comme T. S. Eliot ou Ezra Pound.
En 1909, la russe Maria Adler fait bâtir un hôtel sur Monte Verità avec le projet machiavélique d’empêcher le nudisme. Au sommet de son hôtel (Hôtel Semiramis), deux tours permettent aux visiteurs de mater les nudistes qui sont obligé-e-s de se cacher dans les buissons. Heureusement, l’hôtel fait faillite et finit par être racheté le professeur de jeûne Arnold Ehret, puis par Henri Oedenkoven qui fait détruire les deux tours.
En 1911, le Hongrois Emil Szittya, venant du Monte Verità, émigre à Paris où il fonde avec Hans Richter et Blaise Cendrars la revue « Les Hommes Nouveaux », qui représente les idées individuelles-anarchistes et tolstoïennes.
Entre 1913 et 1919, Laban crée à Monte Verità une «école d’été pour l’art» basée sur le principe d’une expression corporelle dite «naturelle». Les élèves dansent en ne suivant qu’un rythme intérieur. C’est le début de la professionnalisation de la danse libre.
Dans les années 1910, la communauté de Monte Verità est citée en exemple comme haut lieu d’activisme de la réforme de la vie. Des revues naturistes et végétariennes viennent faire des photos sur place, comme celles-ci, extraites d’une revue allemande (Freude in der Freiheit, «La joie dans la liberté») dédiée à la santé physique et sexuelle.
En 1917, Theodor Reuss (chef de l’Ordre des Templiers d’Orient, OTO) convoque au Monte Verità un congrès ayant comme objectifs l’émancipation de la femme, la maçonnerie mystique, de nouvelles formes de relations sociales, la danse rituelle, etc. Un drame dansé du crépuscule au coucher du soleil, créé par Laban, couronne la manifestation. L’apogée de minuit est célébrée sur le pré de danse devant la grotte de Gusto Gräser, en hommage aux rituels du «Balabiott». Les masques des danseurs sont conçus par le dadaïste Marcel Janco.
En 1917, le philosophe Ernst Bloch achève à Locarno son premier ouvrage, Geist der Utopie, qui fait la promotionde «l’utopie pacifiste» du Monte Verità. Hermann Hesse écrit Demian, le roman de son amitié avec Gusto et Elisabeth Gräser. Il peint le tableau d’un culte du feu dans la «grotte du temple» d’Arcegno, en souvenir de sa rencontre initiatique de 1907 avec l’ermite.
En 1918, Ascona devient un centre d’artistes avec l’arrivée de Marianne Werefkin, Van Jawlensky, Arthur Segal, les dadaïstes Hugo Ball, Hans Arp, Hans Richter, etc. Arp trouve son style «biomophène» sur le Monte Verità. Richter dessine le premier film abstrait avec Lyonel Feininger.
En 1920, cependant, Monte Verità a perdu son sens. Les émigrants retournent dans leur pays d’origine, y compris Gusto Gräser et sa famille. En raison de l’échec économique et après les scandales concernant l’O.T.O., l’institution de soins naturels doit fermer ses portes.
Henri et Ida rêvaient de fonder une communauté d’êtres liés par des idéaux tolsto!iens d’ascétisme, d’abstinence et de non-violence. La boucherie de la première guerre mondiale a mis fin à ce rêve. Ils partent vers l’Espagne puis au Brésil où ils mourront. Monte Verità continue sans les «pères fondateurs», comme une communauté d’artistes, mais périclite.
En 1926 un banquier amateur d’art – Eduart von der Heydt – rachète la propriété et fait bâtir un hôtel Bauhaus par Emil Fahrenkrampf.
L’hôtel est classé aux monuments nationaux et, chance, tout y est resté pratiquement tel quel : les lits, les armoires, les lampes…
Bien que Monte Verità soit devenu un grand hôtel et centre de séminaires, bien que les villas de luxe aient envahi les pentes de la montagne, tandis qu’Ascona se transformait en ville pour riches, l’utopie reste dans l’air. Des illuminés et des radicaux continuent de vivre dans les environs comme par exemple l’artiste brut Armand Schultess qui invente un système de production d’énergie à l’aide de boites de conserve recouvertes de son écriture et de fils de laine qu’ils accroche aux arbres.
… Ou comme Karl Vester, «le dernier naturiste» de Monte Verità, qui produit son propre pain (un pain noir bio) et le vend sur le marché d’Ascona jusque dans les années 1960.
Venus du monde entier, des écologistes néo-païens, des anarchistes et des adeptes d’ésotérisme continuent d’affluer à Monte Verità, en quête des origines. Depuis le 3ème étage de l’hôtel… le calme règne.
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Je remercie le Musée de Monte Verità. Ainsi que Hermann Müller et Reinhard Christeller, créateurs du site de référence http://www.gusto-graeser.info/body_indexFR.html
Fondation Monte Verità : rue Collina 84 - 6612 Ascona. Tel : +41 91 785 40 40.
A LIRE : Monte Verità : Ascona et le génie du lieu, de Kaj Noschis, EPFL press, 2017.
A VOIR : Freak Out!, documentaire de Carl Javér (Suède/Allemagne/Danemark/Norvège), 2014, 89 minutes. BANDE ANNONCE ici
CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER CONSACRE A MONTE VERITA : «Sors de ce trou !» ; «Monte Verità et la libération sexuelle» ; «Vivre d’amour et d’eau fraiche ?» ; «Otto Gross, baiseur en série ?» ; «Danse avec le diable» ; «Sexe, morphine et dadaisme», «Fidus, précurseur du flower power ?», «Une religion transgenre pour devenir heureux ?».
Photos : Agnès Giard.
Merci à
Automne 1900. A l'origine du mouvement hippie, une féministe – Ida Hoffmann – fonde le mythique Monte Verità. Situé au-dessus d'Ascona, en Suisse, cette colonie nudiste et végétarienne attire une foule d'artistes et de penseurs qui élaborent sur place la libération sexuelle.
A l’origine, Monte Verità «Le mont de la vérité» est une haute colline appelée Monescia, située au-dessus d’un village de pêcheurs faméliques, Ascona.
Le village date des Celtes qui ont chargé la région de rituels singuliers liés à la topographie hautement suggestive du lieu : la colline Monescia se dresse, bombée comme un mont de Venus, entre les cuisses galbées de deux long sillons montagneux. Nous sommes sur le corps d’une femme. Le magnétisme très élevé de la colline contribue à lui conférer la valeur d’un lieu sacré. A ce sujet, saviez-vous que la Suisse est le premier pays au monde à avoir créé des cartes magnétiques du territoire ? Parmi les trois lieux présentant des anomalies magnétiques en Suisse, Monte Verità est le plus puissant de tous.
Trois femmes et trois hommes
1900. Trois hommes et trois femmes en quête d’un idéal de vie libre et spirituelle parcourent la région à pied, les pieds chaussés de sandales, vêtus de tenues amples en coton écru, les cheveux flottants. Le groupe compte : les frères Karl et Gusto Gräser, de Transylvanie en Autriche (Karl est un ancien officier, Gusto est peintre, sculpteur et poête), l’enseignante Lotte Hattemer d’Allemagne, le belge Henri Oedenkoven, fils d’industriels fortunés, et sa compagne austro-hongroise, Ida Hoffmann, avec laquelle il vit en couple libre. Ida Hoffmann (1864-1926) est la tête pensante du groupe. Elle a 36 ans, soit 10 ans de plus qu’Henri. Un peu plus tard arrive sa soeur Jenny Hoffmann, chanteuse de concert, qui tombe amoureuse de Karl.
«Ne soyez plus des poupées»
Qui est Ida Hoffmann ? «Professeur de piano en Russie, préceptrice au Monténégro, dame de cour à Vienne», elle parlerait couramment sept langues et se bat pour l’émancipation de la femme : «Ne soyez plus des poupées, devenez de vraies personnes !». Elle encourage Henri Oedenkoven à financer l’acquisition d’un terrain sur lequel il serait possible de fonder un lieu de vie alternatif. Les frères Gräser ont découvert le lieu idéal. Leur choix se porte sur une colline fertile que les pêcheurs surnomment «la motte», encadrée par deux autres collines en forme de mamelles, sur les rives d’un lac aux transparences de cristal.
La Suisse : pays-refuge des anarchistes
Le site, idyllique, est d’autant plus propice à la fondation de ce projet communautaire qu’il se situe dans une région qui attire déjà depuis 20 ans les contestataires et les visionnaires, opposés au capitalisme industriel. En 1869, Bakounine s’est établi dans les environs et attire ses amis pour la mise au point d’une société sans classes. En 1871, Nietzsche fait un séjour à Ascona. En 1885, la baronne russe Antoinette de Saint Léger achète l’île Brissago, en face de Monescia, et la transforme en paradis botanique puis la revend à un banquier qui y organise ses orgies privées. En 1889, un «couvent» théosophique aurait dû être créé sur la colline, visant la création d’une fraternité universelle d’hommes libres.
De la coopérative utopiste…
Les rives du lac servent de refuge à tous les rêves de nouvel Eden. Lorsque les pionniers de Monte Verità jettent leur dévolu sur cette colline, ils y choisissent un vignoble en friche qu’Henri achète pour 140 000 francs, avec un projet étonnant : celui d’une coopérative servant de laboratoire aux expériences de vie nouvelle, où les hommes et les femmes seraient à égalité. Guidés par Ida Hoffmann, ils y mettent au point le principe des bungalows séparés par des arbres, où chacun peut vivre à sa guise. Il y en a une dizaine pour que les personnes partageant les mêmes valeurs puissent élaborer à cet endroit une société alternative, protégée du poison bourgeois et chrétien.
Les activités sont communes pour contribuer au bien général. Il s’agit de construire des «cabanes air-lumière», qui favorisent une vie simple, saine, et de cultiver un jardin collectif, afin d’assurer sa subsistance puis, le reste du temps, profiter de la beauté de la nature : marche, port de vêtements larges (pas de corset, pas de redingote), baignade, danses rythmiques. Le travail et la vie au grand air sont censés calmer la libido. Pour Ida Hoffmann, l’égalité entre hommes et femmes ne peut advenir que si le désir de possession laisse place au désir fusionnel.
Ci-dessous «la maison des russes» bâtie par des communistes.
La «maison de thé»
Une cabane pour les visiteurs de passage
… à l’institut de «guérison par la nature»
En 1901, cependant, Ida Hoffmann et Henri –la tête sur les épaules–, décident de transformer leur villégiature en centre de remise en forme.
Dès 1902 – tout en rédigeant un prospectus pour ce sanatorium avant-gardiste–, Ida Hoffmann publie un livre rempli de conseils pour «l’épanouissement harmonieux de la condition féminine». Elle y fait la promotion de la vaisselle facile à laver et des vêtements qui ne nécessitent pas de repassage. Moins la femme perd de temps dans l’espace domestique, mieux c’est pour l’égalité. En 1905, elle publie un second livre pour la promotion du végétarisme. Sur Monte Verità, la viande est interdite, ainsi que le sel.
Henri et Ida font bâtir la «maison centrale» où les visiteurs peuvent faire salon et manger moyennant une petite somme d’argent. Si les visiteurs participent au jardinage et à l’entretien, ils ne payent que les frais d’électricité. Mais s’ils viennent pour juste se reposer et profiter des infrastructures, ils doivent payer leurs repas et leur chambre.
Le repas est constitué uniquement de gruau, de noix, de pain, de fruits, de légumes (pommes de terre, pois) et (après une longue résistance) de laitage. Il est interdit de fumer à Monte Verità. Il est interdit de boire de l’alcool ou du café. L’homme politique et littéraire Georges Renard s’en moque cruellement dans un essai sur «Les Hommes de la Nature» d’Ascona (numéro du 4.9.1904 de «La Petite République», Paris).
Les chambres sont simples. Un lit en fer, un lavabo, une table, une chaise, une armoire et un poële. Parfois même il n’y a pas de poële car il s’agit de se fortifier en vivant à la dure.
Le repos inclut des séances d’exposition à l’air libre. Ici, une véranda en bois permet aux hommes et aux femmes, séparés par une cloison de bois, de s’allonger nu-es pour prendre des bains d’air et de soleil.
Ci-dessous, la partie des hommes (photo datant de 1905), avec des sortes de baignoires aménagées dans l’herbe et où chacun peut s’allonger.
Certains visiteurs décident de s’installer à demeure. On les reconnaît au fait que les hommes portent les cheveux longs et ressemblent aux nazaréens. Les femmes, elles, sont vêtues de longues robes blanches et certaines font scandale en refusant de porter le chignon. Au village d’Ascona, on les désigne comme des femmes «en cheveux», autrement dit des prostituées.
Toute la fleur intellectuelle de l’Europe
Monte Verità devient rapidement «un lieu magnétique, doté d’un pouvoir d’attraction prodigieux» (Barbara Piatti) : on y retrouve les écrivains Hermann Hesse et Erich Mühsam, les danseuses Isadora Duncan et Mary Wigman, le sociologue Max Weber, ainsi qu’une foule de jeunes bourgeois bohêmes, hommes et femmes, souhaitant s’adonner librement à l’amour.
En 1904, le sculpteur berlinois Max Kruse fonde une colonie d’artistes sur le Monte Verità.
En 1905, les frères Gräser lancent le festival de danse «Balabiott» dans la forêt d’Arcegno, qui attire notamment les étudiants révolutionnaires russes.
En 1905, l’anarchiste juif-allemand Mühsam veut faire de Monte Verità un République pour les persécutés. Mais son projet avorte. Mühsam sera tué par les SS dans un camp de travail.
En 1906, Oto Gross, médecin allemand converti à la psychanalyse, veut créer à Monte Verità une Université pour l’émancipation de l’homme.
En 1909, la «comtesse cosmique» Franziska de Reventlow, reine de la bohême munichoise, vient s’établir à Ascona. Le poète anglais Harold Monro achète le moulin forestier de Ronco et en fait son nid d’amour. Plus tard, il sera le principal promoteur de poètes comme T. S. Eliot ou Ezra Pound.
En 1909, la russe Maria Adler fait bâtir un hôtel sur Monte Verità avec le projet machiavélique d’empêcher le nudisme. Au sommet de son hôtel (Hôtel Semiramis), deux tours permettent aux visiteurs de mater les nudistes qui sont obligé-e-s de se cacher dans les buissons. Heureusement, l’hôtel fait faillite et finit par être racheté le professeur de jeûne Arnold Ehret, puis par Henri Oedenkoven qui fait détruire les deux tours.
En 1911, le Hongrois Emil Szittya, venant du Monte Verità, émigre à Paris où il fonde avec Hans Richter et Blaise Cendrars la revue « Les Hommes Nouveaux », qui représente les idées individuelles-anarchistes et tolstoïennes.
Entre 1913 et 1919, Laban crée à Monte Verità une «école d’été pour l’art» basée sur le principe d’une expression corporelle dite «naturelle». Les élèves dansent en ne suivant qu’un rythme intérieur. C’est le début de la professionnalisation de la danse libre.
Dans les années 1910, la communauté de Monte Verità est citée en exemple comme haut lieu d’activisme de la réforme de la vie. Des revues naturistes et végétariennes viennent faire des photos sur place, comme celles-ci, extraites d’une revue allemande (Freude in der Freiheit, «La joie dans la liberté») dédiée à la santé physique et sexuelle.
En 1917, Theodor Reuss (chef de l’Ordre des Templiers d’Orient, OTO) convoque au Monte Verità un congrès ayant comme objectifs l’émancipation de la femme, la maçonnerie mystique, de nouvelles formes de relations sociales, la danse rituelle, etc. Un drame dansé du crépuscule au coucher du soleil, créé par Laban, couronne la manifestation. L’apogée de minuit est célébrée sur le pré de danse devant la grotte de Gusto Gräser, en hommage aux rituels du «Balabiott». Les masques des danseurs sont conçus par le dadaïste Marcel Janco.
En 1917, le philosophe Ernst Bloch achève à Locarno son premier ouvrage, Geist der Utopie, qui fait la promotionde «l’utopie pacifiste» du Monte Verità. Hermann Hesse écrit Demian, le roman de son amitié avec Gusto et Elisabeth Gräser. Il peint le tableau d’un culte du feu dans la «grotte du temple» d’Arcegno, en souvenir de sa rencontre initiatique de 1907 avec l’ermite.
En 1918, Ascona devient un centre d’artistes avec l’arrivée de Marianne Werefkin, Van Jawlensky, Arthur Segal, les dadaïstes Hugo Ball, Hans Arp, Hans Richter, etc. Arp trouve son style «biomophène» sur le Monte Verità. Richter dessine le premier film abstrait avec Lyonel Feininger.
En 1920, cependant, Monte Verità a perdu son sens. Les émigrants retournent dans leur pays d’origine, y compris Gusto Gräser et sa famille. En raison de l’échec économique et après les scandales concernant l’O.T.O., l’institution de soins naturels doit fermer ses portes.
Henri et Ida rêvaient de fonder une communauté d’êtres liés par des idéaux tolsto!iens d’ascétisme, d’abstinence et de non-violence. La boucherie de la première guerre mondiale a mis fin à ce rêve. Ils partent vers l’Espagne puis au Brésil où ils mourront. Monte Verità continue sans les «pères fondateurs», comme une communauté d’artistes, mais périclite.
En 1926 un banquier amateur d’art – Eduart von der Heydt – rachète la propriété et fait bâtir un hôtel Bauhaus par Emil Fahrenkrampf.
L’hôtel est classé aux monuments nationaux et, chance, tout y est resté pratiquement tel quel : les lits, les armoires, les lampes…
Bien que Monte Verità soit devenu un grand hôtel et centre de séminaires, bien que les villas de luxe aient envahi les pentes de la montagne, tandis qu’Ascona se transformait en ville pour riches, l’utopie reste dans l’air. Des illuminés et des radicaux continuent de vivre dans les environs comme par exemple l’artiste brut Armand Schultess qui invente un système de production d’énergie à l’aide de boites de conserve recouvertes de son écriture et de fils de laine qu’ils accroche aux arbres.
… Ou comme Karl Vester, «le dernier naturiste» de Monte Verità, qui produit son propre pain (un pain noir bio) et le vend sur le marché d’Ascona jusque dans les années 1960.
Venus du monde entier, des écologistes néo-païens, des anarchistes et des adeptes d’ésotérisme continuent d’affluer à Monte Verità, en quête des origines. Depuis le 3ème étage de l’hôtel… le calme règne.
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Je remercie le Musée de Monte Verità. Ainsi que Hermann Müller et Reinhard Christeller, créateurs du site de référence http://www.gusto-graeser.info/body_indexFR.html
Fondation Monte Verità : rue Collina 84 - 6612 Ascona. Tel : +41 91 785 40 40.
A LIRE : Monte Verità : Ascona et le génie du lieu, de Kaj Noschis, EPFL press, 2017.
A VOIR : Freak Out!, documentaire de Carl Javér (Suède/Allemagne/Danemark/Norvège), 2014, 89 minutes. BANDE ANNONCE ici
CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER CONSACRE A MONTE VERITA : «Sors de ce trou !» ; «Monte Verità et la libération sexuelle» ; «Vivre d’amour et d’eau fraiche ?» ; «Otto Gross, baiseur en série ?» ; «Danse avec le diable» ; «Sexe, morphine et dadaisme», «Fidus, précurseur du flower power ?», «Une religion transgenre pour devenir heureux ?».
Photos : Agnès Giard.
Merci à