Ce qu'il y a de formidable avec notre vision du racisé-e, c'est qu'il est tout entier contenu dans ce qui le racialise ; sa culture, sa religion, sa couleur de peau.
Il serait comme incapable de s'en sortir, incapable de voir plus loin que son taux de mélanine ou le tissu qu'il porte sur la tête.
Dans cet entretien, publié dans le désormais très antiraciste magazine Elle (qui, tel Charlie hebdo, demandera bientôt aux copains du Monde une grande tribune pour expliquer combien ils sont antiracistes) , Eliacheff nous montre de façon magistrale comment elle pense les racisés.
Les racisés ne sont pas vus comme des êtres pensants, mais des êtres agis et tout entiers contenus dans leur religion, leur couleur de peau, leur culture.
Une femme voilée est ainsi tout entière contenue dans son voile, qui devient un élément naturalisé au même titre que la couleur de peau chez d'autres. Une femme voilée est agie par un bout de tissu alors que je ne suis pas agie par mes talons de 7 cm.
Un femme voilée est agie par un bout de tissu alors que les catholiques ne sont agis par rien.
Les non racisés ne sont pas suspectés, a priori, d'être autre chose que ce dans quoi on les a classés. Un racisé, lui, reste avant tout qui un noir, qui une femme voilée, qui un rom. Toutes ses actions passent forcément par le prisme de racialisation et sont pensées comme telles.
On gagnera évidemment à comprendre encore une fois que la race est une COMPLETE construction sociale ; on a beau, vaguement l'avoir calqué sur des couleurs de peau, l'évidence du racisme anti rom aujourd'hui (ou juif hier) montre qu'il s'agit de constructions sociales et non pas naturelles.
Dans son entretien, Eliacheff dit "Mais, même si on ne leur parle pas de signification religieuse, ils perçoivent qu’il y a une différence entre les hommes et les femmes, que les femmes doivent se comporter différemment en présence des hommes."
Le féminisme entier est consacré aux problèmes engendrés par les différentiations hommes/femmes et au sexisme. Nous avons eu pendant six mois des gens, très peu voilés, nous expliquer combien les différences hommes/femmes étaient à conserver. Mais ce n'est pas ce sexisme-là dont parle Eliacheff. Ce sexisme là serait résiduel, serait le fait de quelques imbéciles alors que le sexisme musulman - qu'il reste à définir - serait univoque et porté par l'ensemble des membres du groupe.
Il y aurait la bonne différentiation hommes/femmes ; rouge à lèvres, jupe et talon et le mauvais, le voile. Un voile est effectivement une manière de différencier les femmes des hommes et de faire porter aux femmes des devoirs différents de ceux des hommes ; comme des talons. Comme une jupe. Or il est supposé par tous et toutes que nous sommes capables de penser au delà de nos talons ; mais il est admis par beaucoup qu'une femme voilée ne pensera pas au delà de son voile.
Ainsi Eliacheff admire beaucoup la différentiation hommes/femmes lorsqu'elle est occidentale : "Ma mère était la plus belle des mamans. Je me souviens de ses robes de grands couturiers, de son parfum. Comme toutes les petites filles, j’ai essayé ses talons hauts et son rouge à lèvres. Elle m’a initié à la féminité, pas seulement par l’exemple : c’est elle qui m’emmenait chez le coiffeur et m’achetait mes vêtements, seules activités qu’elle ne déléguait à personne. Séduisante, élégante, intelligente, travailleuse: c’était ça, être une femme."
Du déterminisme génétique on passe au déterminisme religieux, en supposant que l'islam oblige de façon quasi génétique (on est tellement proche d'un naturalisme) ses membres à des comportements irrationnels et dont ils ne peuvent s'empêcher. Ainsi "Une salariée voilée ne se contente pas de porter le voile : elle pourrait aussi appliquer aux enfants ce qu’elle estime être les règles de sa religion." Nous ne sommes pas capables de penser un noir au delà de sa couleur de peau et encore moins capable de penser un musulman au delà de sa religion. L'"acte" de folie d'un blanc devient "un acte politique" chez un racisé. La "délicieuse féminité" d'une blanche devient "un insupportable communautarisme" chez une femme noire en boubou et "un acte prosélyte" chez une musulmane voilée.
Personne n'a jamais interrogé ce que peut renvoyer chez un nourrisson, un visage peinturluré ("tiens ces êtres se mettent de la couleur rouge sur les lèvres c'est curieux"), personne ne s'est jamais demandé ce que cela peut susciter la vision de jambes perchées sur des échasses pointues et la simple idée de faire indifféremment jouer des enfants avec des poupées ou des voitures, nous vaut depuis presque un an, des manifestations, des réunions de la part des opposants au "gender". Mais tout cela est vu comme un simple et sain débat public alors que le voile est lui vu comme l'abominable signifié d'un signifiant atroce, la soumission de la femme.
Guillaumin disait "La classe propriétaire construit, sur les pratiques imposées à la classe appropriée, sur sa place dans la relation d'appropriation, sur elle, un énoncé de la contrainte naturelle et de l'évidence somatique". Elle en parlait ici pour le sexe mais cela est tout aussi vrai pour la race. Nous imposons différentes pratiques aux musulmans, et spécialement aux femmes voilées parce que nous savons combien ils sont incapables de se détacher de ce qu'ils sont. Nous interdisons de plus en plus le voile car nous savons qu'une femme voilée est incapable de penser au delà de son voile. C'est à se demander s'il ne fallait pas aussi imposer le blanchiment de peau cela aurait évité à certains d'être de si courte vue et de ne raisonner qu'en fonction de leur peau noire.
Le voile devient comme je l'ai dit un élément naturalisant c'est à dire qu'on prête des qualités et des défauts intrinsèques à celles qui le portent ; ainsi une femme voilée est forcément sexiste (ou d'un mauvais sexisme comme l'on veut). Elle est à la fois mue par son voile et mue par les hommes de sa communauté.
Guillaumin disait encore "L'absence (de désir, d'initiative, etc.) renvoie au fait qu'idéologiquement les femmes SONT le sexe, tout entières sexe et utilisées dans ce sens. Et n'ont bien évidemment à cet égard, ni appréciation personnelle, ni mouvement propre : une chaise n'est jamais qu'une chaise, un sexe n'est jamais qu'un sexe."
C'est encore une fois vrai pour les racisés et ici pour une femme voilée ; elle n'est que sexe et race (je vous renvoie à la définition de race donnée dans le premier lien du texte). Ils ne peuvent pas être autre chose que ce qu'ils sont (c'est à dire comme on les a définis), et sont, évidemment, absolument incapables de penser en dehors de leur race.
Un non musulman est capable de penser en dehors de sa religion et a le bon sens de ne pas l'imposer à tout le monde. Le musulman et a fortiori la musulmane mue à la fois par son sexe et sa race en seraient bien incapables ; tout leur rapport au monde est façonné par la race. On est fort proche vous le constatez d'une vision raciste "originel" ; le noir est esclave, est inférieur car il a des caractéristiques physiques et mentales qui l'ont façonné pour l'être et, malgré toute notre bonne volonté (l'évangélisation), on constate bien qu'il ne peut aller au delà de sa race. Le racisé n'est pas capable d'être autre chose que ce que nous avons défini qu'il est. Une musulmane travaille musulman, mange musulman, marche musulman, a des loisirs musulman, élève les enfants des autres de façon musulmane. Elle est incapable d'être autre chose que musulmane et cela explique donc, les lois spécifiques régissant son comportement quasi instinctif.
Musulman devient une sorte de nouvelle couleur de peau dont il est impossible de se détacher ; c'est en cela vous l'aurez compris qu'on peut parler de racialisation de l'islam ce qu'est l'islamophobie.
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