Lors de mon dernier atelier sur le désir, le 12 avril dernier, j’accueille pour la première fois Yumie. Une jolie jeune femme de 20 ans. Intelligente, épanouie, elle participe volontiers à la discussion durant l’atelier. Yumie pratique le poly-amour, ce soir-là, elle est venue avec l’un de ses partenaire. Au cours de la discussion, elle nous apprend qu’elle est « sexworkeuse ». Au départ, je ne suis pas plus étonnée que cela, mais plus l’atelier avance, plus son discours m’interpelle. Depuis ma rencontre avec Yumie, je me pose des questions sur elle, j’ai envie d’en savoir plus. Je lui demande quelques jours plus tard que l’on se rencontre afin qu’elle me raconte son histoire. C’est pour moi, un joli portrait de femme que j’ai souhaité alors partager avec les lecteurs du Cabinet de Curiosité Féminine.
Yumie est une pute. C’est comme cela qu’elle se présente. Appelons un chat, un chat et une chatte, une chatte… N’est-ce pas ?! Autour d’un café, on va se raconter nos vies, la sienne surtout…
« Aussi loin que je me souvienne, dès l’âge de 13/14 ans, je voulais déjà devenir une prostituée. » Elle est fascinée depuis toujours par les courtisanes et plus particulièrement celles du 19ème siècle, ces femmes qui obtenaient une certaine liberté par le pouvoir de leur séduction.
Durant son adolescence, elle tombe profondément amoureuse d’une jeune femme, un peu plus âgée qu’elle, qui lui fait découvrir le libertinage. C’est pour elle une première révélation. Yumie étudie la philosophie. Durant ses études, l’un de ses amants, celui-ci bien plus âgé qu’elle, lui donne beaucoup d’argent après avoir fait l’amour. « Ce n’était pas prévu, mais il savait que j’étais étudiante et que j’en avais besoin. Sans le savoir, cet amant a réalisé l’un de mes rêves : concrétiser mes envies d’être payer pour un rapport sexuel. »
Sa vision de la prostitution :
Nous parlons pendant un long moment de la place qu’ont les prostituées dans notre société. Cette France moralisatrice, condamnatrice et finalement si hypocrite. « On se doit de déclarer et payer des impôts alors que nous n’avons aucun droit, ni Assedic, ni retraite… »
« Nous ne sommes pas toutes des victimes de la prostitution.» Évidemment que non et heureusement ! « Etant une espèce de hippie hédoniste, j’ai toujours eu envie de faire l’amour avec le monde entier, de partager des instants de volupté, de prendre et de donner du plaisir.»
Ok mais tout de même quelques questions me taraudent… Comment fais-tu pour faire l’amour avec un homme lorsque physiquement, il ne te plait pas ? Comment fais-tu monter le désir ? « Je prends l’être humain dans sa singularité, ce que j’aime c’est le mélange de deux âmes par le mélange de deux corps (pour faire court, ce que j’appelle la Volupté). Je fais l’amour avec mes clients comme je pourrais faire l’amour avec mes compagnons, la différence pour moi est le sens qu’a le rapport sexuel : avec mes clients, il n’y a pas d’autres enjeux que de répondre à leur demande, leur donner du plaisir. Aussi, le rapport est plus simple, plus « pur » en ce sens qu’il n’existe que pour lui-même. L’argent d’ailleurs joue pour moi un rôle, celui de poser un cadre clair et précis. Tandis qu’avec mes amoureux-ses, le rapport sexuel s’inscrit dans le cadre d’une relation sur le long terme dans laquelle il y a des enjeux d’affect et de sentiments. De fait, le rapport sexuel n’existe pas uniquement pour lui-même, mais dans une continuité, ce qui ne produit pas pour moi le même sens »
Et le baiser, on dit souvent que les putes font tout sauf ça ! Toi aussi, tu fais tout sauf ça ? « Pour moi, embrasser fait parti intégrante de l’acte. J’aime ça. C’est une manière pour moi de faire comprendre à l’autre qu’il existe en tant qu’individu. Certains ne sont pas doués certes mais c’est justement le moment de leur réapprendre. »
Une autre question Yumie, as-tu remarqué une façon différente chez les hommes d’aborder la sexualité ? Les jeunes générations sont éduquées au mauvais porno, gratuit, violent et plein de clichés (il y a des bons pornos hein mais pas la majorité!), est-ce que tu le ressens avec tes clients ? « Dans ma vie privée comme dans ma vie professionnelle, je ne m’entends pas forcément avec des gens qui ont moins de 30 ans. Je me sens souvent en décalage, et le rapport à la performance en fait partie. Oui en effet, ces jeunes gens font souvent leur séxualité avec l’idée qu’une bonne partie de jambes en l’air est basée sur la performance et indéniablement, le mauvais porno y est pour quelque chose. »
Elle me raconte qu’elle a même travaillé dans un lieu de prostitution en Belgique pendant quelques mois. « Travailler en Bordel fut une merveilleuse expérience. Malheureusement, il y avait beaucoup d’embrouilles entre les filles. C’est un peu le problème des lieux où beaucoup de filles bossent ensemble, il me semble.. D’autant qu’étant attirée par les filles, pour moi elles ne sont pas des concurrentes mais des êtres que je désire bien souvent»
Ok ça veut dire que tu pourrais avoir envie de me sauter dessus à tout moment ? « S’il n’y avait pas la table je le ferai sans doute… » (À vrai dire je suis flattée) Je laisse planer un silence. J’imagine… Mais je dois rester pro jusqu’au bout !
On reprend… ? « Ok ! » (elle me sourit). Pour moi les lieux de prostitutions représentent la sécurité et l’hygiène, est-ce que c’est vraiment ça ? « Le fait que ce soit le client qui vienne chez nous, cela change la donne, c’est eux qui viennent dans notre environnement, donc un environnement que l’on connait et maitrise.. Et malgré quelques différents, nous sommes tout de même solidaires entre putes. Si jamais il arrive quelque chose à l’une d’entre nous, on l’aidera. Oui les lieux de prostitutions nous permettent d’être en sécurité c’est certain. Quant à l’hygiène c’est vrai aussi. Les prostituées qui n’ont pas de lieu et qui font ça dans les lieux publics sans avoir la possibilité de se nettoyer où on a faire à des hommes qui ne sont pas forcément propres, cela peut être terrible..»
Elle est devenue prostituée comme d’autres deviennent sage-femme, docteur, institutrice… Pour Yumie c’est une vocation.
Le discours qu’elle me tient est murement réfléchi, ce n’est pas celui d’une gamine rêveuse, peut-être un peu idéaliste certes mais entre idéalistes on se comprend.
Evidemment, il s’agit d’un portrait de femme qui a choisi d’être pute. Malheureusement, ce n’est pas une majorité des femmes de cette filière. Souvent, beaucoup sont contraintes par les évènements de la vie, pas une simplicité non, mais la seule manière d’obtenir de l’argent rapidement et de survivre. D’autres sont victimes de réseaux mafieux, contraintes et forcées de bien des manières par leurs bourreaux de se prostituer.
Cependant, pour celles qui ont choisi ce métier, et il y en a, l’état ne devrait-il pas revoir ses positions… (sans mauvais jeu de mots…).
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