Reiko Nakamura et Yûya Uchida.
Après la sortie de trois coffrets imposants (Volume 1, 2 & 3), ainsi que des récents United Red Army (2007) et Le Soldat Dieu (2010), soit autant de pans du voile levés sur la carrière pléthorique du maître du « pinku eiga » Kôji Wakamatsu, l’éditeur Blaq Out récidive avec le non moins indispensable Piscine sans eau (Mizu no nai puuru, 1982). Au fil de son œuvre, l’esthète Wakamatsu, auteur du sublime Quand l’embryon part braconner, transcenda la forme érotique imposée en lui adjoignant d’importantes résonances politiques et sociales.
Un aspect évidemment présent dans Piscine sans eau, variation sur le méconnu Belles endormies de Yasunari Kawabata, l’œuvre de Wakamatsu nous relatant les mésaventures d’un homme effacé et introverti, qui s’interpose néanmoins un jour pour empêcher le viol d’une femme, créant un semblant de relation avec cette dernière. En parallèle, sa psyché torturée reprend le dessus et il finit par nourrir des fantasmes malsains, s’introduisant dans l’appartement de demoiselles célibataires pour, celles-ci dûment anesthésiées par le chloroforme, leur faire l’amour et les prendre en photo…
Pour ce faire, le réalisateur peut compter sur un Yûya Uchida des grands jours, troublant dans le rôle principal (le pervers en question), et que les plus attentifs d’entre vous auront remarqué dans Furyo (Nagisa Ōshima, 1983), Black Rain (Ridley Scott, 1989) ou encore Izo (Takashi Miike, 2004). L’acteur retrouvera Wakamatsu pour le réussi Les liaisons érotiques (1992), aux côtés de Takeshi Kitano.
Vision de rêve...
Sleeping Beauty
Poinçonneur de tickets dans le métro, le protagoniste, dont on ne connaîtra jamais le nom, s’évade de son quotidien morose et répétitif par des fantasmes « corsés », directement accompagnés de multiples passages à l’acte. A ce titre, la grenouille en cage, abattue par le chloroforme, symbolise le cloisonnement de son existence, étouffée par une vie de famille en apparence parfaite. D’un érotisme mortifère, le film exhale par instants une poésie « autre », comme lors de ces séquences prenant place dans une piscine vide (donnant son titre au film).
Récit de l’aliénation quotidienne engendrant la perversion criminelle, où un « peeping tom », loin de s’arrêter au statut de voyeur, devient acteur de ses rêveries sexuelles, Piscine sans eau parle avant tout de l’incommunicabilité entre les êtres, englués dans leur sphère intime et dans l’impossibilité de s’ouvrir aux autres, donc voués à une « déshumanisation » certaine. L’autre, pour être approché – et plus si affinités -, se voit dès lors « objetisé », entièrement soumis aux désirs d’une seule personne. Et ce ne sont pas les menues attentions du « psychopathe », préparant le petit déjeuner de sa victime avant de quitter les lieux, qui y changeront quelque chose…
La sublime Reiko Nakamura.
Les victimes, chimiquement endormies telles de « Belles au bois dormant », ne sont ni plus ni moins que des poupées aux mains d’un « Prince pas si charmant », Wakamatsu rejouant sa propre version du conte, pour le moins personnelle (euphémisme !). L’œuvre est aussi un écrin à la beauté fragile de Reiko Nakamura, aperçue dans Oh ! Women : A Dirty Song (Tatsumi Kumashiro, 1981) ou Fireflies in the North (Hideo Gosha, 1984).
Stylisé et dérangeant, jusqu’à une conclusion ouverte, Piscine sans eau, d’une maîtrise formelle sidérante, rend le spectateur complice des exactions d’un prédateur sexuel d’un genre particulier, exposées avec neutralité. Un « main character » à propos duquel le réalisateur se garde bien de porter un jugement. Encore un coup de génie de Wakamatsu, dont la classe éclabousse chaque image !
Photo de groupe...