Dans Osez parler de sexe avec vos enfants, Sandra Franrenet aborde la question ô combien difficile, de savoir quoi dire, comment, à quel moment… tout en respectant la règle d’or : ne jamais en faire trop. Sept principes à respecter quand on est un parent.
Ce n’est pas forcément aux parents d’expliquer «la chose», explique
la journaliste Sandra Franrenet. Dans un ouvrage tout juste publié à La Musardine, elle insiste sur l’idée que les parents ne
sont pas là pour expliquer mais surtout pour rassurer. Son travail s’appuie sur
des années d’enquêtes menées auprès de différents spécialistes du dialogue
enfant-parent : sage-femme, gynéco, psychologue, psychiatre… «Aucun n’a
cherché à me donner une recette et ce pour une raison simple : il n’en existe
pas. La maturité et la sensibilité des enfants interdit de délivrer des
conseils «prêts à consommer». Ils m’ont expliqué que les enfants
n’ont surtout pas envie d’entendre parler de «technique». Finalement,
ce qui les intéressent (surtout les petits) ce sont les histoires : comment
papa et maman se sont rencontrés ? Il ne faut pas les heurter en leur donnant
des détails dont ils ne sauront pas quoi faire».
D’innombrables expériences de terrain sont exposées. La petite de 6
ans se plaint qu’un camarade lui «fait mal au kiki» à chaque récré ? Votre
garçon de 14 ans salit ses draps à répétition (bonjour les lessives) ? Votre
fille, à peine 12 ans, demande si elle peut avoir la pilule ? «Globalement,
les avis des experts que j’ai interrogés étaient plus complémentaires que
contradictoires et ce quelle que soit leur spécialité (1). C’est, je pense, ce
qui fait la richesse de cet ouvrage. Les lecteurs devraient y trouver une
multitude de clés. Et il y en aura pour tous les profils, les téméraires comme
les timides !».
«Personne n’a envie d’entendre sa mère expliquer la fellation !»
Au-delà d’exposer des cas de figure, l’ouvrage de Sandra Franrenet
présente surtout un avantage : il insiste clairement sur le fait que les
parents ne doivent pas «en faire trop» : mieux vaut offrir un livre à l’enfant
avec des schémas de corps qui s’emboîtent qu’en parler soi-même. «Il ne faut
surtout pas que la maman rentre dans les détails, encore moins qu’elle ne se
mette à mimer la scène ! Mieux vaut qu’elle se contente de répondre quelque
chose du type : “C’est un truc sexuel que les adultes font entre eux.“ La
plupart du temps, ce genre de réponse suffit à l’enfant qui tournera aussitôt
les talons. Je conseille vivement au parent de s’arrêter là si son petit ne se
montre pas plus curieux, au risque sinon de le choquer. À mesure qu’il
grandira, ses questionnements seront plus précis et délicats, mais, j’insiste,
chaque chose en son temps ! Au bout d’un moment, il ira s’informer ailleurs et
cessera toute sollicitation parentale. On a rarement vu un ado demander à
papa-maman comment on fait l’amour» (2).
Règle 1. Ne jamais parler de sexe le premier
«La parole est d’argent, mais le silence est d’or», explique
Sandra Franrenet : ce n’est pas aux parents de prendre l’initiative. Il faut
toujours attendre que l’enfant pose une question et se contenter d’y répondre
sans partir dans un discours. Pour le Dr Didier Lauru, directeur du centre
médico-psycho-pédagogique (CMPP) à Étienne-Marcel (Paris) : «Si on les
abreuve trop tôt d’informations qu’ils ne sont pas prêts à entendre, l’adulte
risque de provoquer un trauma d’intrusion dans leur psychisme.»
Règle 2. Répondre à une question par une question
«Selon les situations, les informations données par les parents
ne seront pas les mêmes. Mais l’essentiel devra toujours tenir en quelques mots»,
affirme Anne Bacus (psychologue, sexologue, psychothérapeute et auteur de 100
réponses de psy aux questions des parents) qui suggère de toujours retourner la
question à l’enfant. «Je crois qu’il faut faire simple, c’est-à-dire partir
de ce que l’enfant sait (en matière de sexualité, ils ont toujours un pas
d’avance sur les adultes !) ou de ce qu’il croit savoir, en lui retournant sa
question : “Et toi, qu’est-ce que tu en comprends ?“, sans chercher à
biaiser».
Règle 3. Aller à l’essentiel (le sexe, c’est avant tout du bonheur)
La sexualité est avant tout le fruit d’une rencontre. Plutôt que
parler technique, mieux vaut parler du bonheur qui pousse deux personnes à «s’embrasser
très fort» ou à «se serrer très fort l’un contre l’autre». «Un
enfant n’est jamais seulement le fruit d’un acte sexuel, résume Anne Bacus.
Il est né d’un projet commun. Au fil du temps, l’enfant posera des questions
plus précises. Il voudra savoir “comment on fait les bébés“. Il conviendra
alors de lui parler d’amour, de désir, de tendresse, d’appel des sexes, de
rencontre des corps, d’accouchement, de respect de soi et de l’autre…».
Règle 4. Répondre court
Mais attention, gare aux bavardages ! Ainsi que le remarque Anne
Bacus : «Le mieux est souvent l’ennemi du bien. Il est des réponses que les
enfants n’ont pas envie d’entendre. Certes, la sexualité ne doit pas être
taboue, mais elle relève du domaine de l’intime et du privé. La pudeur est un
sentiment nécessaire et respectable. Ces deux points sont cruciaux, encore plus
dans le creuset familial.» Ne forcez pas un enfant à se mettre nu, sous
prétexte que vous êtes vous-même parfaitement à l’aise avec votre corps. Ne
vous moquez pas s’il ferme la porte de la salle de bain à clé.
Règle 5. Rassurer plutôt qu’expliquer
Quand l’enfant interroge, c’est moins pour s’instruire que pour se
rassurer. La peur motive beaucoup de ses
questions (3). «Inutile d’abreuver vos enfants d’informations sur le sexe.
Faites en sorte d’instaurer un climat de confiance, montrez-vous ouverts et
tolérants et faites-leur comprendre qu’aucun sujet n’est tabou. C’est comme
cela et seulement comme cela qu’en grandissant, vos rejetons sauront qu’ils
trouveront en vous des personnes ressources pour répondre à leurs doutes et
calmer leurs angoisses».
Règle 6. Nommer un chat un chat
Pour Sandra Franrenet, il est important que l’enfant, dès le plus
jeune âge, sache qu’il peut désigner les parties de son corps sans honte : ceci
est mon sexe. S’il parle de ses «fesses» pour parler d’autre chose, il faut le
corriger. S’il demande comment on nomme ceci ou cela, lui donner le terme
anatomique. «Appeler un chat, un chat, n’interdit pas d’utiliser des petits
mots au quotidien. Il suffit juste de dire «tu sais, en vrai, ton zizi, ça
s’appelle un pénis» et Basta.» Quand aux tristes sires qui pourraient
trouver choquant qu’un enfant parle de ses testicules ou de son clitoris : «Tant
pis pour eux ! Plus on osera nommer, moins les mots anatomiques seront tabous
et moins ils choqueront les soit-disantes chastes oreilles !».
Règle 6. Ne jamais parler de soi, ni donner de détail intime
Ce qui se passe dans la chambre des parents doit impérativement
rester dans le domaine de la sphère privée. Sandra Franrenet explique : «Si
Junior s’enhardit à poser la question du “mais vous, vous le faites aussi
?“, ne bottez pas en touche. Répondez simplement que cela ne le regarde pas.
La seule chose qu’il doit savoir, c’est que ses parents ne font que des
“choses“ qui leur plaisent à tous les deux».
Règle 7. Garder la distance
Psychiatre spécialisé dans la prise en charge des enfants et des
adolescents, Mickaël Larrar confirme : «La sexualité parentale écoeure les
enfants dans la mesure où elle apporte une dimension incestueuse. Le parent
doit être un “filtrant”, c’est-à-dire garder une distance constante avec la
dimension sexuelle. Malgré le discours ambiant qui incite à parler librement de
sexe avec sa marmaille, la gêne naturelle qui existe n’est pas une mauvaise
chose».
.
A LIRE : Osez parler de sexe avec vos enfants. Paroles d’experts, de parents et d’enfants, de Sandra Franrenet, La Musardine.
NOTE
(1) «Sauf erreur de ma part, il n’y a globalement qu’une pierre d’achoppement : les capotes en libre-service à la maison. L’un de mes experts y est farouchement opposé alors que l’autre estime que ce peut être une bonne idée... à condition bien sûr que les parents n’érigent pas cette liberté en stratagème pour garder un oeil sur la sexualité de leurs enfants.» (Sandra Franrenet, entretien par courriel, 28 janvier 2016).
«Si le parent est vraiment mal à l’aise ou que la réponse ne lui “vient pas“, pas de panique ! Il n’est pas obligatoire de répondre tout de
suite. Il est tout à fait permis de se documenter et/ou de revenir avec un support
(un livre par exemple). L’essentiel, c’est que l’enfant, puis l’adolescent,
sachent qu’il n’est jamais vain de se tourner vers les adultes. Qu’il ait un
questionnement, une inquiétude, un souci, il doit savoir qu’il peut s’en ouvrir
à son parent, sans craindre le jugement, la moquerie ou la fuite. En résumé, parler sexualité avec ses enfants est une tâche parentale
plus essentielle que jamais… Mais toujours aussi délicate.» (Anne Bacus, introduction au livre Osez parler de sexe avec vos enfants)
(2) Entretien avec le Dr Didier Lauru,
directeur du centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) à Étienne-Marcel (Paris)
(3) «Pour les ados, la “première fois” ne se résume pas à la pénétration
sexuelle, raccourci que font trop souvent les adultes. Pour les jeunes, c’est
tout ce qui englobe la relation avant, c’est-à-dire le premier baiser (faut-il
mettre la langue ? Dans quel sens la tourner ?) puis la douleur potentielle
(est-ce que ça fait mal ? Cette question est d’autant plus prégnante que
beaucoup ont vu des films porno où la fille crie… de douleur ?), la fille
est-elle obligée de saigner ?.... » (Caroline Rebhi, chargée de la commission éducation à la
sexualité du Planning Familial. Source : Osez parler de sexe avec vos enfants).
ILLUSTRATION : Mirka Lugosi, fée de l’illustration enchantée