Certaines femmes ne ressentent rien lorsqu’elles sont réglées. D’autres
éprouvent une sensation de pesanteur. Les moins chanceuses souffrent.
Leurs douleurs sont parfois telles qu’il leur faut prendre des
antalgiques et parfois même aller aux urgences. Bilan pour la France : 9,5 milliards de… pertes.
Si vous souffrez une fois par mois, c’est peut-être normal. Mais
c’est peut-être le symptôme d’une maladie – l’endométriose – qui touche
une à deux femmes adultes sur dix en France. Bien qu’elle concerne 14
millions de personnes en Europe et 180 millions sur la planète, les
médecins connaissent rarement cette maladie qui attaque, invisible, le
bas-ventre des femmes et qu’ils mettent en moyenne 7 ans à identifier.
Au bout de 7 ans de souffrance, lorsque le diagnostic est enfin posé,
l’endométriose a parfois fait de tels ravages qu’il est déjà trop tard :
la femme ne peut plus avoir d’enfant. Dans un livre intitulé «La maladie taboue», Marie-Anne Mormina, créatrice d’un site d’information sur l’endométriose, explique la façon dont se déroule généralement la vie d’une «endogirl».
Prenons une fille nommée Lilli, dit-elle. «Son
enfance se déroule tranquillement, sans que rien de particulier ne se
passe. […] Et puis nous y voilà, le grand jour est enfin arrivé : Lilli a
ses règles. Les premiers temps ne se passent pas si mal. Les cycles se
mettent en place. «Quand même ça fait un peu mal, maman – Oui, ma fille, c’est vrai…«Le temps passe.
«Quand même, maman, ça fait vraiment mal. – Oui, ma fille, c’est vrai…
Mais le médecin te l’a bien dit : c’est normal, Lilli, c’est comme ça…«.
Un jour Lilli a tellement mal qu’elle vomit
et s’évanouit en plein cours au lycée. Le médecin ne s’inquiète pas plus
que ça. On va lui donner un antidouleur plus fort et puis elle va commencer à prendre la pilule, ça aide bien (1). Les années passent. Lilli jongle entre les anti-douleurs, les pilules, et puis les allers-retours aux urgences aussi, parce que vraiment, vraiment, ça fait mal, les règles. Un jour, Lilli
rencontre celui qui deviendra sa première fois… Elle ne savait pas que
faire l’amour ça voulait aussi dire avoir mal. Même après, quand c’est
fini… même au bout de plusieurs fois… Les années passent encore. Lilli a
beau expliquer, insister, changer de gynécologue… personne ne comprend
qu’elle a vraiment mal. C’est normal. Il faut prendre un peu sur vous, Mademoiselle !».
Jusqu’au jour où «à
la faveur d’une situation critique comme une rupture de kyste, une
hémorragie trop importante, une crise de douleurs plus sévère qu’une
autre, un des soignants aura enfin la puce à l’oreille.» Parfois aussi, c’est parce que Lilli ne parvient pas à avoir d’enfant… «Alors le relai est passé à un chirurgien» qui procède à une cœlioscopie diagnostique «avec introduction d’une caméra miniaturisée dans le nombril pour explorer l’intérieur de l’abdomen». A son réveil, Lilli
apprend enfin ce qu’elle a. Elle est soulagée de savoir que ses
douleurs, non, ce n’était pas normal. Non, elle n’était ni une folle, ni
une douillette. Mais pour autant, est-elle sauvée ? Hélas. On ne guérit
pas de l’endométriose, c’est une sorte de cancer qui vous poursuit
jusqu’à la ménopause (2). Il ne vous tue pas. Mais il peut détruire
votre vie.
«L’endométriose est une
maladie complexe, exclusivement féminine, mal connue, caractérisée par
la présence hors de l’utérus de cellules qui normalement tapissent la
muqueuse utérine (endomètre). Les cellules endométriales s’implantent
dans les organes voisins (ovaires, vessie, intestin, etc.) et réagissent
aux fluctuations hormonales survenant lors du cycle menstruel. Elles
provoquent alors aux endroits où elles se trouvent des lésions, nodules
et/ ou kystes ainsi que des réactions inflammatoires avec formation de
tissu cicatriciel et d’adhérences entre les régions avoisinantes. Les
manifestations cliniques de l’endométriose sont variables selon le type
d’atteinte : règles douloureuses, douleurs pelviennes chroniques et
infertilité chez 30 à 40% des femmes concernées. Le délai entre la
première consultation et le diagnostic est de sept ans en moyenne, Beaucoup de temps perdu…». Pour le docteur Zacharopoulou,
gynécologue et chirurgienne, qui signe la préface du livre, l’ignorance
qui entoure cette maladie relève d’un non-dit qui peut s’avérer fatal. «Certaines
femmes souffrent dans la solitude, d’autres ne réussissent pas aller
jusqu’au bout de leurs études, d’autres encore sont licenciées à cause
d’arrêts de travail répétés liés à la douleur !».
L’endométriose
empêche aussi d’avoir une vie de couple normale. Difficile de rester
amoureux d’une femme qui, une fois par mois, se plie en deux de douleur,
souffre de fatigues chroniques, est incapable de porter des sacs,
négocie chaque relation sexuelle, ne trouve pas d’emploi fixe et, dans
30 à 40% des cas reste stérile. Le pire, c’est que plus le temps passe
plus les douleurs s’installent. L’opération chirurgicale destinée à
retirer les cellules endométriales des organes qu’elle a attaqué doit parfois être répétée. «Il faut nettoyer, «curer» comme ils disent, pour éliminer le plus possible l’endométriose de nos corps». Mais l’opération ne résout pas le problème des douleurs qui reviennent à l’assaut, à chaque début de cycle, activées par la montée d’œstrogènes.
La maladie est incurable. «Aucun traitement spécifique n’existe à ce jour».
Les traitements font parfois plus de mal que de bien et surtout sont
appliqués à tort et à travers par des médecins souvent mal informés qui
ignorent les règles élémentaires de prudence. Ils préconisent par
exemple des injections d’agoniste de la GnRH, un puissant traitement
hormonal qui provoque une ménopause artificielle, parfois sans même
prévenir leur patiente des effets secondaires qui sont importants, voire
dangereux, ni des résultats qui sont douteux : beaucoup de souffrances
et de risques pour rien. «Le célèbre blog Pharmacritique le dénonce en rappelant les abus, dérives et non-sens dans le traitement de la prise en charge de l’endométriose en France (1).
Il signale qu’aux Etats-Unis sont mentionnés des problèmes
cardio-vasculaires, des répercussions sur la santé mentale, des effets
gastro-intestinaux, dermatologiques, urino-gynécologiques, etc. […] Là où en France on ne parle que de risques accrus de dépression, de problèmes hormonaux et de risque d’ostéoporose».
Sans compter que «dans les faits, peu de femmes constatent une réelle amélioration grâce aux analogues, et la plupart rechutent assez rapidement.»
Les analogues sont en effet si puissants qu’il ne faut pas en prendre
plus de six à douze mois au cours de sa vie. Pendant quelques mois, les
douleurs provoquées par l’endométriose sont donc suspendues, mais en
parallèle la femme souffre de chaleurs, devient obèse, perd ses cheveux,
a des fuites urinaires et des crises de larmes… «Au bonheur des dames !».
Après quoi, une fois le traitement aux analogues fini, c’est reparti
dans la spirale infernale des douleurs pelviennes et des sensations de
se faire éventrer à coups de couteau.
Si les femmes étaient mieux informées et les médecins mieux formés, Marie-Anne
Mormina estime que la France ferait des millions d’économies : les
femmes n’auraient plus besoin d’aller voir à répétition des médecins
pour être mises en arrêt de travail, ni de multiplier des examens
inutiles, des appels aux médecins de nuit, des arrivées catastrophes aux urgences. «Les coûts directs et indirects de cette maladie sans notre pays seraient
de 9,5 milliards d’euros par an (en intégrant la perte de
productivité). Imaginez les économies que l’Etat ferait si la recherche
trouvait enfin le traitement efficace ! Or la recherche n’est absolument
pas financée. Aucun appel d’offres pour financement de l’Etat n’est
lancé dans ce domaine et, pour en avoir parlé directement avec le
représentant d’un des plus grands groupes privés d’investisseurs
médicaux, ils ne sont tout bonnement pas intéressés par le sujet !». Pourquoi ? Parce que l’endométriose n’est pas connue (3). Son nom ne dit rien à personne. Ce n’est pas une maladie «bankable», en somme. Raison pour laquelle c’est aux malades de faire connaître, haut et fort, ce dont elles souffrent.
Aux
Etats-Unis, les «endogirls» se sont déjà organisées. Pour surmonter la
honte, elles s’appuient sur des exemples connus de femmes célèbres
touchées par l’endométriose : Hillary Clinton, Padma Lakshmi, Whoopi
Goldberg, Susan Sarandon, Pamela Anderson… En France, Sonia Dubois, Raphaëlle Ricchi, Laetitia Millot et la chanteuse Imany ont brisé le silence. «D’autres
noms circulent, car il est évident que les femmes concernées sont
nettement plus nombreuses. […] Si seulement celles qui se taisent
avaient le courage de parler, cela nous aiderait tellement !». Il semblerait que Marilyn Monroe aussi en souffrait.
A LIRE : «La maladie taboue», Marie-Anne Mormina, Fayard.
A CONSULTER : Lilli H contre l’endométriose, site d’information créé en 2001 par Marie-Anne Mormina. Le célèbre blog Pharmacritique.
NOTES
(1)
«Une des erreurs les plus fréquentes qui aident l’endométriose à passer
inaperçue est la prescription de la pilule contraceptive aux jeunes
filles qui se plaignent de règles douloureuses. En prenant ce
traitement, on sait maintenant que, si l’adolescente ressent un mieux, cela ne signifie pas pour autant que le problème est réglé : l’endométriose attend simplement
de pouvoir se développer, emmagasinant ses forces pour être plus
virulente dès que libérée. Pis : elle peut même être active, abîmer le
corps en toute tranquillité puisque les symptômes qui risqueraient de la
faire repérer sont désormais masqués. Jusqu’au jour où un kyste devient
trop gros, par exemple, permettant de découvrir le pot aux roses, en même temps que
les dégâts parfois irréversibles. Si le médecin prescripteur de la
pilule avait été au courant que les symptômes de la demoiselle
correspondaient à une maladie, il aurait d’abord écarté tout risque
qu’elle l’ait. Mais, comme il ne le sait pas, il prescrit en toute bonne
foi un produit qui va potentiellement mener sa patiente à l’enfer.»
(2)
Parfois, la maladie entre en rémission. Un traitement, par miracle, a
marché. Parfois, c’est la ménopause qui vient résoudre le problème. On
peut alors enfin vivre tous ses rêves d’adolescence, avec cinquante de
retard.
(3) Marie-Anne Mormino évoque à mots couverts les soupçons
qui pèsent sur certains groupes pharmaceutiques. Ceux qui produisent
les analogues et qui les vendent à des prix élevés, sont peut-être aussi
ceux qui font tout pour qu’aucun traitement viable ne soit mis au
point…
ILLUSTRATION : Photos de l’artiste Nicole Dufour,
qui réalise des tressages à partir de draps de lit ayant «vécu» les
amours, les accouchements, les épanchements de sang et de fluides durant
parfois quelques générations. Draps imbibés d’une mémoire familiale.