Sia est une chanteuse qui parle de ses chiens aux journalistes. Qui écrit des hits en quinze minutes pour Beyonce et David Guetta. Et fait la Une du magazine Billboard avec un sac en papier sur la tête. On pouvait y lire, tracé au stylo feutre: «Cette artiste est à l’origine de 12 millions de singles vendus, participe à la nouvelle bande-son de «Hunger Games 2» et ne veut pas être célèbre.» Eh ben voyons.
Et si c’était vrai? Difficile, lorsqu’on la voit se déployer à pleine gorge sous son carré blond platine, de ne pas trouver à Sia Furler une touche de spontanéité fort peu commune sur le circuit de la pop à paillettes. L’Australienne émigrée à Los Angeles, où le meilleur et le pire de l’industrie bronze sous des promesses hautes comme les palmiers, a pris le temps de cabosser son timbre éraillé et inimitable. Drogue, médicaments, dépression: ses apparitions dans les médias, soigneusement dosées, sont autant d’épisodes révélateurs qui confirment son statut de freak dans le grand show du micro d’argent. Comme lorsqu’elle laissait entendre au coin d’une interview, en 2008, qu’elle vivait une relation tumultueuse avec une Américaine rencontrée cinq ans auparavant sur MySpace, ou qu’elle déclarait à Billboard avoir enfin surmonté son tempérament d’alcoolique qui s’ignore.
Atours discoïdes
Faut-il croire la sincérité d’une jeune femme qui encaisse désormais des millions de dollars et compose pour les cadors des hit-parades? Dans les six derniers mois, Sia s’est illustrée en duo avec Britney Spears sur l’album «Jeans», a prêté sa voix au blockbuster «Wild Ones» de Flo-Rida, et produit le nouveau Kylie Minogue, dont les atours discoïdes se parent pour l’occasion d’une dimension plus soul. En remontant à peine plus loin, on trouve des featurings avec Beyonce, Rihanna et David Guetta – eh oui la turbine vocale sur «Titanium», c’est elle.
Et pourtant, Mrs Furler, 38 ans au compteur, a le profil exact de l’anti-star. Elle se comporte comme si tout lui était arrivé par hasard: c’est sa marque, et son statut. Il y a tout juste quatre ans, juste avant un projet de mise en retraite qui trahissait le bord du gouffre, Sia était encore cet étrange oiseau du paradis au gazouillis de fournaise, qui déconcertait les foules les plus averties. Ici, elle apparaissait accoutrée en condor foutraque, autour du cou un châle de mouton pleine fleur – et s’effondrait de chaleur avant la fin du concert. Là, elle s’affublait d’une cape mi-espagnole mi-ukrainienne arborant des vagins brodés. A chaque fois, humour de biais, ricanement ravageur, et surtout un souffle monumental, légèrement cendrée sous sa musculature généreuse. On songe à Marina and the Diamonds, Joan ou the Policewoman, voire une version transgenre de Joe Cocker aux heures les plus fauves.
Une seule métaphore
Brûlée par une carrière qui flambe depuis 1997, Sia frôle l’éclipse totale fin 2010. Elle ne souhaite écrire plus que pour les autres, elle veut s’abstraire de tout célébrité, elle refuse en bloc les interviews. Et c’est justement cette force du «non» qui va donner une dimension planétaire à sa carrière, au gré d’une formule magique qui lui permet, selon la légende, de fomenter des tubes en quelques minutes. «Quand j’écris pour les autres, je reste à un niveau maximal de simplicité et d’efficacité», confie-t-elle à Billboard. «Niveau paroles, il faut qu’il y ait une seule métaphore, qu’on répète beaucoup de fois, avec beaucoup de variations. Les gens aiment qu’on leur parle de succès, des revers du succès, et de fête. Les chansons avec un refrain triste ou un caractère peu enthousiaste sont plus difficiles à placer.»
Cynisme ou naïveté? Sia préfère parler de ses chiens, qui désormais l’accompagnent partout en tournée – pour peu qu’elle y reparte jamais puisque ses contrats avec les maisons de disque la libèrent désormais de toute obligation de promo. «Je me fous du succès commercial. J’ai de la chance, je peux rester assise chez moi avec mes clebs sur la canapé, enregistrer dans un placard de mon bureau, envoyer le tout et si je suis chanceuse me faire des millions de dollars.» «Chandelier», le premier titre de son nouvel album à paraître en mai, est un étrange assemblage de lieux communs RnB et de libertés mélodiques. Dans une pop-culture aux marges plus saturées que jamais, Sia fait du mainstream le degré ultime de l’alternative.