Si les jeunes femmes qui se lancent dans le X sont de plus en plus nombreuses, rares sont celles qui font véritablement carrière et plus encore, celles dont le nom marque toute une génération. Belladonna* fait partie de cette rare espèce et de ces personnes qui se donnent corps et âmes dans tout ce qu’elles entreprennent.
Américaine issue d’une famille nombreuse et élevée dans l’Utah, fille d’un ancien évêque mormon, cette femme de trente-et-un ans à la carrière X littéralement extraordinaire, étonne par sa capacité à dégager à la fois une puissance sexuelle fulgurante et à être incroyablement humble et douce lorsqu’on la rencontre. Loin des canons de beauté typiques de la bimbo américaine, elle irradie par sa grâce, sa bienveillance, son sourire éclairé par deux “dents du bonheur”.
Curieux hasard, »Belladonna » est sans nul doute un nom incontournable dans la culture porn, mais c’est aussi le nom d’une fleur. C’est probablement ce paradoxe apparent, cette dualité extrême qui fait d’elle une personnalité si fascinante. Aujourd’hui, je vous propose d’éteindre la caméra, et de rencontrer la femme qui a souffert, joui et finalement grandi derrière la pornstar, celle qui est désormais prête à faire un nouveau grand saut, qui nous confie son adieu au porno.
Tu as commencé le X à dix-huit ans, quel était alors ton état d’esprit ?
Avant le porno, j’avais vraiment ce désir de faire plaisir, de satisfaire mon partenaire, et quand j’ai commencé en 1999, je voulais aussi attirer l’attention, je recherchais la célébrité. Dès mes dix-huit ans, j’avais commencé à travailler en tant que strip-teaseuse puis une amie à moi qui venait de se lancer dans le X m’a demandé si ça m’intéressait d’en faire. Je n’y avais jamais réfléchi , et je l’ai fait, tout simplement. Je n’avais même jamais vraiment regardé du porno.
Et maintenant tu en regardes ?
Je n’ai jamais regardé de films X pour me masturber. Je veux me masturber en pensant à la sensation. Je me concentre sur mon corps.
Tu es devenue populaire entre autres pour tes performances sexuelles hors-normes. Est-ce que repousser tes limites à l’extrême était une manière de te découvrir ? A te regarder, il m’a toujours semblé que cela faisait partie de ta « nature » ?
Je crois que la seule manière que j’avais d’être avec un homme était de l’être physiquement, en utilisant mon corps. Quand j’ai commencé le porno, cela correspondait à un désir de plaire extrêmement fort et en même temps je me sentais très effrayée de me retrouver face à moi-même et de dire ce que je ressentais. C’est dans cet état d’esprit que j’ai commencé et ça m’a menée au « rough sex » (sexe hardcore, violent). Il y avait une forme de peur. Mais par la suite, à travers cette expérience, j’ai pu voir ce que j’aimais ou non. Après deux ans, quand j’ai su parfaitement ce que j’étais en train de faire, je me suis mise à prendre le contrôle et de là c’est devenu : « Ok, je suis vraiment bonne dans ce domaine ». Il y a beaucoup de gens avec qui j’ai eu des rapports sexuels devant la caméra avec qui j’étais vraiment connectée, dont j’aurais pu tomber amoureuse, mais aussi d’autres avec qui je ne pouvais pas me sentir aussi bien. J’ai donc appris à faire en sorte de trouver et apprécier quelque chose chez chacun/une de mes partenaires.
Il y a, je pense, une différence entre être performante « sans le vouloir » parce qu’on éprouve du plaisir, que l’on donne donc beaucoup par passion, par générosité, et vraiment chercher la performance au risque de s’oublier soi-même pour exister ou se valoriser auprès des autres.Qu’est-ce qui toi te motivait ?
Je voulais voir de quoi mon corps était capable mais c’était plus pour moi-même, et aussi pour répondre à la question : quelles sont mes limites ?
Aujourd’hui, tu pratiques l’aerial silk (le tissu aérien). Finalement c’est un choix très comparable au porno dans ce rapport au corps dont tu explores encore les limites, que tu exposes, étires, auquel tu soumets plaisir et douleur. Tu choisis un autre langage du corps, la seule différence au final c’est qu’ici tu es seule et tu ne peux faire confiance qu’à toi-même. Mais il y a aussi risque de blessures mortelles si tu lâches…
Oui, c’est vrai… Quand j’étais plus jeune, ma passion, c’était la gymnastique. Ce fut le moment le plus heureux de ma vie. Je rêvais des Jeux olympiques de gymnastique ! J’étais faite pour le tissu aérien. Le pratiquer m’a donné confiance pour quitter le porno. Pendant tellement longtemps, j’étais persuadée que je n’étais bonne qu’à faire du porno ; pas mal de fois j’en ai eu marre de mon boulot, il m’est arrivé de vouloir arrêter. Mais aujourd’hui je peux me dire : « Tu sais que tu es capable de beaucoup de choses ! » Quand j’ai débuté en février 2007, je me suis dit : « tu vas le faire, mais putain tu vas vraiment le faire bien ! » J’ai commencé à m’entraîner trois fois par semaine puis à avoir un coach particulier et aujourd’hui je m’entraine six heures par semaine.
Que souhaites-tu exprimer à travers cet art que tu n’as pu exprimer dans le X ? Car il s’agit toujours de performance, de plaisir, de divertissement.
Je veux que les gens regardent ce que je fais et qu’ils soient inspirés, qu’ils aient le sentiment qu’ils peuvent oublier tout le reste. Ce serait pour moi le don et le cadeau ultimes que je puisse leur offrir. C’est comme lorsque vous regardez le Cirque du Soleil, vous vous sentez inspirés. Si je crois en moi-même, je peux accomplir ça. C’est un sentiment tellement incroyable. Il s’agit toujours d’avoir du plaisir et de le partager. Aujourd’hui, je me sens presque comme dans un rêve, j’oublie quasiment tout le reste.
J’ai récemment écrit un article qui compare le plaisir dans la douleur que l’on éprouve d’une part dans le sport et d’autre part dans le sexe. Dans les deux cas, on peut trouver des états de transe où l’on se dépasse. Vois-tu des similitudes entre tes anciennes scènes hard et ton entraînement intensif ?
Bien sûr. Il m’est parfois arrivé de ressentir de la douleur dans des scènes mais tu as le choix de te mettre dans ce genre de situation où tu donnes l’autorisation à quelqu’un de te procurer du plaisir ou de la douleur, et c’est bon. En revanche, si je ne le demande pas, c’est différent. Il faut que ton corps le permette, il faut le respecter. Du X au tissu aérien, je sens que j’ai mal quand j’apprends de nouvelles choses, de nouveaux enchainements, de nouvelles clés, mais une fois que c’est acquis et que je maîtrise, ça devient comme une seconde nature ; comme pour le porno, ton corps sait ce qu’il fait.
La dernière scène que nous avons tournée ensemble et que tu as produite fait partie d’un film qui s’intitule How to fuck (« Comment baiser »). Ressens-tu aujourd’hui l’envie de montrer l’exemple ?
J’ai vraiment envie de partager mon expérience afin que les gens s’en servent pour eux-mêmes, qu’ils en tirent quelque chose. Mais aujourd’hui, je ne pense pas que ce soit le moment pour moi d’enseigner. Cette idée de film m’était venue de Twitter, des questions que je recevais, et c’était pour moi la manière de répondre. Désormais, je ne suis plus vraiment intéressée par le porno. Je ne veux plus m’y investir. Mon cœur n’y est plus, mais j’adore rester connectée avec mes fans, les vrais.
Tu as tweeté dernièrement, en réaction à la polémique sur le port obligatoire des préservatifs sur les tournages X : « Prenez soin de votre corps, c’est ici une opportunité de vous protéger ». Comment te positionnes-tu vis-à-vis de cette proposition de loi ?
Je pense que cela doit rester un choix personnel, car au bout du compte, il s’agit du corps de chacun. Mais bien sûr, c’est très délicat. Mon cœur va dans ce sens : c’est ton corps, et ce corps est quelque chose de primordial. Je ne peux te dire tout ce à quoi le mien a été exposé à travers le porno. Je suis désolée de dire ça mais il y a beaucoup de gens qui ne prennent pas ça au sérieux.
Dans le documentaire réalisé par la photographe Deborah Anderson pour son nouveau livre Aroused, tu as confié avoir contracté plusieurs MST au cours de ta carrière.
Oui, je l’ai aussi dit à la télévision sur ABC, deux fois en prime time. Je veux être honnête avec ça. Je veux que les gens sachent et partager ce que j’ai dû endurer. J’apprends tous les jours de mes erreurs. Ce n’est pas toujours un travail facile. J’espère que les gens apprendront certaines choses de cela.
Quelles erreurs penses-tu avoir commises ?
Faire des scènes avec cinq mecs six jours par semaine, par exemple…
Tu as complètement changé le contenu que tu postes sur tes réseaux sociaux. De « Regardez, je fais une super scène anale », tu tweetes désormais sous ton vrai nom, Michelle Sinclair, et parles de tes nouvelles passions : le tissu aérien et la diététique. Comment tes fans réagissent-ils ? C’est un changement radical qui pourrait paraître contradictoire.
Je pense que les gens qui me regardent vraiment depuis des années, qui regardent les making-of de mes films me connaissent et savent déjà. Bien sûr, certains sont déçus, mais à cela je réponds : j’ai le désir extrêmement fort de me sentir en sécurité, pour une fois. J’ai longtemps eu une mauvais estime de moi-même. La seule chose dans laquelle j’étais bonne était le sexe et ensuite, ma peur fut de quitter le X. Faire du tissu aérien et du « self healing » (autoguérison) m’a vraiment donné confiance en moi. Cela fut d’une aide énorme. Je veux désormais avoir des rapports sexuels en sécurité. C’est désormais limpide. Je ne rejette pas le porno ni le rends responsable. Je ne regrette rien. J’ai grandi et je me suis trouvée à travers le porno, et être capable de l’utiliser comme un point de départ pour mes performances en tissu aérien**, c’est la cerise sur le gâteau ! Mais j’avais besoin d’être en permanence dans un personnage, je n’étais pas « assez ». Et maintenant, je m’en fiche des gens qui peuvent se plaindre.
Penses-tu qu’ être « actrice porno » implique d’être en quelque sorte déconnectée de son corps ? Le corps étant dans ce domaine un outil de travail, il semble que beaucoup de filles aient une sorte de détachement vis-à-vis de leurs sensations, de leur image.
Il est toujours mieux d’être connecté avec son corps, tu dois l’écouter mais dans notre métier, il y en a tellement qui en sont dépendants. Si je devais donner un conseil à quelqu’un qui se lancerait dans le porno, ce serait : fais d’autres choses où tu excelles et ne fais pas du porno ta source de revenus principale. Apprécie-le comme un loisir et n’aie de rapports sexuels qu’avec les partenaires que tu désires.
Pouvons-nous dire que tu prends officiellement ta retraite par rapport au X ? Quelles sont les vraies raisons ?
Oui, on peut le dire. Je n’éprouve plus d’intérêt pour cet univers. Je ne veux plus partager mon corps avec n’importe qui. Je veux le rendre de nouveau « privé ». Ça fait tellement du bien pour moi de vivre ça maintenant !
Tu n’as pas peur de « casser le mythe » ou le fantasme ? De perdre des fans, des consommateurs, et donc des revenus par rapport aux films que tu continues de produire ?
J’ai eu peur, avant. J’ai fait un break d’un an et je n’ai rien dit. Je passais alors mon temps avec ma fille et à m’entraîner. Mais aujourd’hui, après beaucoup de travail sur moi-même avec ma « healer » (guérisseuse), je laisse les choses se faire. J’ai confiance en l’univers et je me sens bien avec ça, je m’en fous si je gagne moins. Je suis heureuse. Je n’ai plus besoin de ça. Ce fut un long acheminement, ça a commencé quand je suis tombée enceinte, j’avais beaucoup de pression , mais tu sais quoi ? Aujourd’hui, je me sens tellement bien.
Quels sont tes futurs projets ?
Je veux m’instruire à nouveau, reprendre les études. J’avais arrêté tôt. Je veux devenir coach en bien-être et diététique, nutritionniste. C’est dans mes veines, c’est ma passion. Je m’entraîne aussi avec un nouveau coach. Je veux travailler plus, me dépasser encore plus. J’ai aussi un rôle dans un autre film indépendant en fin d’année. C’est fun, j’aime bien.
Quelle femme admires-tu le plus ?
Mon « energy healer », Elizabeth Menzel. Tous les mois, je me joins à une communauté de femmes. Quinze femmes de tout âge. On aime faire des randonnées, faire des cercles d’énergie. Ça m’aide beaucoup. Il n’y a rien de religieux. On partage simplement, on discute.
Finalement, qu’as tu appris au terme de ce parcours dans le porno ?
J’ai appris à quel point je suis importante, pour moi-même, je veux dire, en tant que personne.
Un mot pour nos lecteurs français ?
J’espère que vous avez pu tirer quelque chose d’utile dans ce que j’ai dit. Ce n’est pas grand chose, mais sachez que j’ai beaucoup aimé partager mon histoire avec vous !
Merci Bella, ou plutôt devrais-je dire Michelle ! Nous te retrouverons très bientôt pour une autre interview aux côtés d’autres (ex-) actrices qui témoigneront en tant qu’épouses et mamans. Encore merci pour ta sincérité. Il faut du courage pour repousser ses limites, mais aussi pour accepter l’idée que nous sommes parfois allés jusqu’au bout. Un cycle s’achève, un autre commence. Que ta nouvelle vie t’apporte tout le bonheur possible !
Katsuni
* actrice, réalisatrice, productrice pour l’une des plus grandes sociétés de production porno, Evil Angel
** Belladonna s’est produite plusieurs fois en spectacle en tant que « performeuse en aerial silk » lors de salons érotiques, évènements liés au porno. Aujourd’hui, elle se consacre à la « vraie scène » destinée au grand public.