Ce qui est bien avec Sion Sono, c’est qu’à chacun de ses films, nous sommes surpris. Dans le premier chapitre de Guilty of Romance, nous faisons la connaissance d’Izumi, épouse soumise à son mari, écrivain, célèbre pour ses romans d’amour, dépeignant de torrides passions, un peu cucul il faut le dire. Mais à la maison, rien de torride. L’appartement est un modèle de froideur. Monsieur se lave au savon de Marseille, dort des draps de soie, et complimente son épouse lorsque le thé est parfaitement infusé. Leur relation est platonique et leur vie métronomique. Il part à 7h (il dispose d’un bureau à l’extérieur pour écrire ses romans) et revient le soir à 21h. En attendant, elle s’occupe des taches ménagères. La réalisation fait écho à ce mode de vie : cadrages parfaits, mise en scène posée, musique classique en trame sonore, caméra statique.
Mais voilà qu’Izumi souhaite s’émanciper. Elle trouve un boulot d’animation dans une supérette. Elle doit faire goûter des échantillons de saucisse aux clients. Elle est bientôt repérée par la directrice d’une agence de mannequin. Par le biais de photos où elle se retrouve de plus en plus nue, Izumi accepte son corps et découvre qu’il peut avoir un attrait pour les autres, et que son mari ne lui montre peut-être pas toute la passion qu’il décrit si bien dans ses bouquins.
A première vue, on pourrait penser à un discours simple sur l’émancipation de l’épouse japonaise. Il est vrai que nous participons avec plaisir à voir cette jeune femme coincée de partout, se libérer progressivement pour devenir au final une bête de sexe. Mais attention, au final cette émancipation est utilisée pour des besoins masculins. Les photos de charme, les vidéos érotiques soft, sont destinés principalement aux hommes. Ainsi, même si Izumi se découvre finalement un but dans la vie grâce à son corps, il ne s’agit ni plus ni moins d’exploitation. En vrai, Izumi ne contrôle plus grand chose et elle se retrouve rapidement dans le quartier des « love hotels » où un psychopathe finit par la séquestrer. Un peu perdue, elle rencontre Mitsuko, une femme de dix ans son aînée, représentant la sagesse. Mitsuko devient le mentor d’Izumi. Elle lui apprend que le sexe sans amour se paye en liquide. Les deux femmes pratiquent alors une prostitution positive.
Alors que l’on croit comprendre le film, qu’il ressemble fortement à un pamphlet pro-sexe pro-féminin, Sion Sono explose tout en replaçant ses personnages dans une intrigue de thriller. Toutes ces remises en cause, tous ces jugements moraux révolutionnés, ne serait en fait dû qu’au caractère schizophrène et psychopathe des deux héroïnes. Voilà qui rassurera tous les machistes. Le fait que la femme puisse prendre en main sa sexualité, exercer un contrôle sur les hommes, n’était finalement que l’oeuvre de deux folles ! Néanmoins, l’intrigue est plus complexe que cela et l’on ne pourra probablement jamais la saisir totalement.
A l’instar de Nagisa Oshima avec l’Empire des sens, Sion Sono aborde la sexualité de manière frontale. Bravant le tabou de la censure japonaise, il montre la nudité avec ses poils, sans pixellisation. Les mosaïques sont pourtant encore très répandues dans les productions pornographiques, qu’elles soient soft ou hard. Le film a reçu un classement « interdit aux moins de 18 ans » au Japon, ce qui implique une distribution très limitée. Sion Sono joue au provocateur. En brisant les tabous, en montrant la sexualité sans fausse pudeur, il interroge nos propres valeurs morales. Qu’est-ce qui est normal ou pas pour une femme ? Sion Sono montre que le point de vue masculin est, sinon opposé, différent du point de vue féminin.
Aavnt tout, Guilty of Romance est un film très beau. Comme toujours avec l’artiste japonais, la forme est originale et haute en couleurs, comme si le film contenaient plusieurs oeuvres entremêlées. La mise en scène change également, s’adaptant aux multiples changements de ton et de direction. Il faut évidemment s’accrocher un peu, aimer être surpris. Le réalisateur déploie une étonnante palette de couleurs. Le vert et le rouge des quartiers chauds évoquent le giallo. Lors des scènes d’enquête policière dans des lieux glauques, le réalisateur construit une atmosphère glauque qui rappelle la photo de thrillers comme Seven par exemple. A l’inverse, il y a des scènes hyper-lumineuses lorsque Mitsuko déclame de la poésie. Puis on passe à une atmosphère chaude lors des nombreux passages « érotiques ». Entre guillemets, car l’érotisme est presque constamment contaminé par la haine, la violence et la folie. Si Lynch et Cronenberg sont artistiquement à l’agonie, Sion Sono reprend leur flambeau avec une énergie enthousiasmante. A l’instar de Twin Peaks : fire walk with me, Guilty of Romance enveloppe très souvent le spectateur dans des ambiances étranges et sulfureuses avec des personnages hystériques.
Guilty of Romance est donc un film très riche, bourré de paradoxes. Sion Sono semble affectionner les personnages à deux facettes : l’une publique et innocente le jour et l’autre sombre et dangereuse la nuit. Et si Kafka est directement cité, on retrouve effectivement la folie qui menace les personnages de l’écrivain. Philosophique et gore, érotique et poétique, Guilty of Romance remue le ventre et la tête.
Koi no tusmi (Japon, 2011). Réalisé par Sion Sono. Avec : Miki Mizuno, Makoto Togashi, Megumi Kagurazaka
Le film est disponible au Royaume-Uni en blu-ray chez l’éditeur Eureka! Excellente nouvelle, il sort chez nous en salles le 25 juillet 2012. Ne le manquez pas !