Tout est parti d’une conversation téléphonique. Passés les 25 ans, il semblerait qu’un mécanisme se déclenche dans l’esprit de nos mères : celui de la mère obsessive, qui ne pense qu’à devenir grand-mère. Mécanisme soutenu par une société qui a des objectifs démographiques à remplir. La pression de la grossesse est en marche et il n’y a qu’une attente, qu’on réponde à ce désir qui n’est pas nécessairement le nôtre.
Des enfants pour soi ou pour les autres ?
Tout commence par de simples mots lancés de façon anodine : « Qui sait, peut-être que d’ici deux ans, je serai grand-mère ? ». Premier agacement et tentative de faire comprendre que pour l’instant ce n’est pas un objectif majeur dans notre vie de couple. Mais la bête maternelle ne lâche pas le morceau : « Tu ne sais jamais ce qui peut arriver dans la vie. Et puis tu vas pas les faire à 50 ans tes enfants, ce serait horrible ! » Le sang commence à monter. Tu argues que tu fais bien ce que tu veux de ton corps et que tu ne comprends pas ce délire de vouloir s’immiscer dans la vie sexuelle des gens. Si vous désirez un enfant dans votre couple, cela vous concerne non ? Et en tant que femmes, on fait bien ce qu’on veut de nos ovaires, donc qu’on nous laisse en décider seule !
« Tes ovaires sont comme mes ovaires, car c’est moi qui t’ai engendré. » Voilà ce que ma mère m’a sorti un jour. J’appartiens donc à ma mère. Ou devrais-je dire, mes désirs de procréation doivent être dictés par les siens. Si j’avais voulu un enfant à 16 ans, on m’en aurait empêché. Aujourd’hui, j’en ai 27 ans, on fait tout pour me pousser à en faire un. Et moi j’aimerais savoir, pourquoi cela est-il un sujet qui intéresse tant les autres ? Pourquoi on veut me faire sentir à tout prix que j’approche d’une éventuelle date limite de péremption ?
Nos mères, qui ont dû subir cette même pression par le passé la perpétuent sur nous. Nous devons faire des enfants, pour que la prophétie de la vie suive son cours. Cette prophétie qui indique que la fille doit devenir mère, puis la mère une grand-mère. La vie est et doit rester ainsi. Alors, quand la mère souhaite devenir grand-mère, elle veut que la fille s’exécute et devienne mère à son tour. Sinon, ce n’est pas « normal ». Sinon, c’est l’opprobre sur la lignée familiale. Cela n’est pas forcément exprimé de manière si catégorique, mais les petites réflexions, les questionnements et l’expression de volontés, sont des moyens de pression aussi efficaces que les menaces directes.
La grossesse au cœur de l’économie des pays
Je regardais dernièrement une émission sur le déclin de la sexualité au Japon. Le reportage insistait régulièrement sur la crainte du gouvernement japonais de voir sa population fortement décliner dans les décennies à venir. Une japonaise répondait qu’elle ne se souciait guère de la démographie du pays, quand elle pensait à faire des enfants ou non. Cela était d’abord une question de rapport entre elle et son corps, et sa vie. Cet instant n’était qu’un détail dans le reportage, mais les détails apportent souvent plus de signifiant. Ce passage reflétait le rapport qu’entretiennent les sociétés avec la grossesse.
Avant de constituer un choix de vie personnel, cela est un outil de stabilisation de la bonne santé économique et démographique d’un pays. Pensons par exemple la politique de l’enfant unique en Chine qui a sévi pendant 36 ans, afin d’éviter la surpopulation du pays. Ou encore les mesures de la Cédéao pour limiter le nombre d’enfants par femme en Afrique de l’Ouest 1. Le lien entre économie et procréation n’a rien de nouveau. Au XIXème siècle, le malthusianisme prônait déjà le contrôle des naissances, pour limiter les effets dévastateurs d’une croissance exponentielle de la population humaine. Inciter les femmes à faire des enfants ou à ne pas en faire est avant tout une décision économique. Et nous, en tant qu’outil de production, devons jongler entre ce service rendu à la société et notre volonté propre. Magnifique tableau.
Femmes : des machines à procréer ?
Ne pas désirer une grossesse est un fléau que nous ne saurions voir. En tant que femme, nous nous devons de vouloir procréer et beaucoup de voix ne se gêneront pas pour nous le rappeler. La famille, les amis, le cinéma, les journaux, la publicité…
Tout comme on vend l’image du bonheur pour nous faire consommer du Coca-Cola, on nous vend l’image du bonheur familial pour nous pousser à fonder une famille avec enfants.
Derrière cette propagande de société, se soucie-t-on réellement du désir propre de chaque femme ? Face à l’injonction à devenir mère, on peut finir par se sentir obligées d’endosser un rôle qu’on ne se sentait pas du tout prêtes à assumer. On veut nous montrer la grossesse et le fait de devenir mère comme étant l’accomplissement ultime d’une vie. Ce Graal qui nous propulserait au rang de quasi-divinité, une sorte de Vierge Marie, la virginité en moins.
Il est vrai qu’on peut porter la vie en nous et accoucher d’un autre être humain. Derrière le côté « Alien » flippant, il y a une forme de beauté indéniable. On peut concevoir également que voir ce petit être fragile né de nous, puisse procurer une joie indicible. Cependant, l’injonction au bonheur appliquée à la maternité frôle parfois la dictature de pensée. Et si je conçois ma vie autrement que comme une machine à procréer ? Si je ne suis pas encore prête ou que je ne veux pas d’enfants, cela me regarde non ? Or, le corps de la femme reste sujet à morale publique, notamment quand la procréation est en jeu.
Fonder une famille, un choix impactant pour la vie de couple
Faire un enfant n’est pas une décision à prendre à la légère. Donner la vie à un être est une réelle responsabilité. On devient responsable de son bien-être, de sa bonne croissance, d’une partie de son bonheur. Cela a un coût matériel. C’est aussi un coût logistique et émotionnel dans le couple, ainsi qu’un coût corporel pour la femme. À ce sujet, de plus en plus de femmes osent élever la voix sur les difficultés réelles de la grossesse et de l’accouchement. Le sujet de l’épisiotomie devient de moins en moins tabou, notamment grâce à Marlène Schiappa. Sur cette thématique, on vous invite d’ailleurs à lire la planche de BD « L’histoire de ma copine Cécile » d’Emma.
Extrait de la BD « L’histoire de ma copine Cécile »
Je ne crois pas à la publicité du bonheur sans nuages de la vie de famille. Une forme de liberté disparaît avec l’enfant. Le cocon à deux avec son compagnon laisse place à une nouvelle organisation à trois où le troisième élément se place entre vous. La sexualité de couple va forcément s’en ressentir. Je suis enfant et mes parents m’ont parfois déçue, parfois blessée, parfois procurée des joies que personne d’autre ne pourra me procurer. Devenir à mon tour parent, c’est prendre aussi le risque de blesser cet enfant, le décevoir, autant que de lui apporter de l’amour. C’est accepter aussi de prendre le rôle d’adulte face à un plus petit que soi qui attend cela de nous. Il faut être prêt-es à tout cela. Prêt-es à vivre le couple autrement. Prêts à donner de soi à une nouvelle personne qui attend tout de nous.
Il faut prendre conscience des implications. Avoir un enfant et fonder une famille peut être merveilleux. Cependant, je refuse le diktat qui veut qu’il soit normal de mettre la pression à une femme pour que la grossesse arrive. C’est au couple de décider du moment où ils sont prêts à franchir cette étape ensemble, si leur situation leur permet ce choix. Et cela, ni nos mères, ni la société, ni quiconque n’est en mesure de le savoir à notre place. Nous avons la chance d’avoir le choix d’attendre. D’avoir le choix de décider du bon moment. Et je compte bien en profiter. Grand-mère attendra.
1 http://www.20minutes.fr/monde/2108359-20170722-pays-afrique-ouest-veulent-limiter-trois-nombre-enfants-femme
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