" De tous les lits où il croyait les avoir enfouies
[ses mauvaises amantes], elles se levèrent les unes après les autres… Celles qui « connaissent l’homme », qui savent exactement où c’est bien, où ce n’est pas bien, c’est une attaque, on a envie de se révolter mais on est pris en main par des gestes précis, inéluctables, c’est atroce… Celles qui tombent à la renverse en offrant un ventre blanc, se laissent prendre comme des bébés au milieu des coussins et s’étonnent qu’on s’endorme sur elles avant d’avoir fini…
Celles qu’on touche à peine, qui partent dans des hauteurs où on ne peut pas les suivre et surtout ne bougez pas, ça risquerait de les déranger, il n’y a pas d’attente, pas d’espoir de réussite, c’est gagné et perdu en même temps, vous n’y êtes pour rien, un souffle de brise aurait fait l’affaire, c’est désespérant mais celles-là après vous remercient…
Celles qui prennent sans donner, qui exigent et ordonnent, qui appellent et insultent, elles
gardent les yeux fermés, tournent seules sans fin dans les ténèbres, cherchant à s’accrocher à une terre de passage, elles battent des mains à plat dans vos reins, on se sent comme un cheval qui n’avance pas, on s’efforce de faire au mieux selon les cris et l’impatience, on ruisselle, on nage, la peau devient du bois et, à la fin, ça fait mal…
Celles qui se trouvent grosses et qui ne s’aiment pas, mais puisque vous le dites, autant que toute cette chair fasse plaisir à quelqu’un, elles sont d’accord pour tout ce que vous voulez, elles compatissent de vous voir dans un état pareil, celles-là en effet, on voudrait bien qu’elles ferment les yeux…
Celles qui disent que vous êtes trop grand pour elles, qui pleurent un peu, boivent beaucoup d’eau et on est engouffré par un con plus large que la mer, elles s’excusent et demandent pardon…
Celles qui crient
non,
non, puisque je te dis non et qui pensent
oui, elles serrent les cuisses, bondissent sur elles-mêmes comme des poissons à sec, plus tard on s’aperçoit qu’elles dorment avec un drôle de sourire, elles font des rêves, attention, elles vous conduisent aux assises… Il en renaissait toujours et toujours, une seule demeurait endormie sans visage au fond de lui, celle-là, si un jour elle venait dans une chambre, ce serait… ce serait un rocher qui serait une jeune fille qui serait des cheveux, des bouches et du ciel, qui serait pour quelques heures une autre forme de vie qui se soulèverait et respirerait dans la pénombre et le tout dans son sang ferait le bruit d’un lac à plusieurs rivages, n’aurait ni mémoire, ni maman, n’aurait pas lu les magazines, n’aurait pas d’amies, pas de montre, et ne redeviendrait une personne sur un gros oreiller que beaucoup plus tard…
Combien de temps il faut pour qu’elle vienne, encore combien de temps à l’attendre ? "
Mes nuits sont plus belles que vos jours,
Marie Billetdoux,
Prix Renaudot 1985