Depuis le début de l’automne, vous pouvez trouver chez vos libraires le coffret des éditions In8 qui propose 4 nouvelles écrites par Didier Daeninckx, Marc Villard, Marcus Malte et Dominique Sylvain.
Extraits choisis :
D’abord, elle les a obligés à se déshabiller. C’était le soir, en plein hiver. Dehors, la terre gelait et dedans ce n’était guère mieux. Le hangar n’était pas chauffé. Ils se sont retrouvés nus, les deux, complètement nus, debout devant elle, à essayer de se cacher derrière leurs mains. Pudiques, tout à coup. Comme si elle ne les avait jamais vus. Ils tremblaient comme des moineaux. Comme des kikiwis, elle disait. Mais c’était autant la peur que le froid. Ensuite elle les a forcés à se fixer les chaînes aux pieds. Peut-être qu’ils ont commencé à se douter de ce qu’elle avait en tête parce qu’ils se sont mis à la supplier, à lui demander pardon. On ne les reconnaissait plus. On n’aurait pas dit que c’étaient eux. Elle, ça ne lui faisait même pas du bien de les voir comme ça. On aurait pu croire qu’elle en aurait tiré un certain plaisir, mais non. [...]
In Tamara, suite et fin, Marcus Malte
[...]
Elle entre dans le bar et commande un jaune. Sans eau, précise-t-elle. Plus tard, elle dit que le Ricard ça bouge pas, c’est du béton. Elle dit qu’il existe des alcools de pédés qui changent d’un bar à l’autre. Elle commande trois autres Ricard. À minuit, elle chante Sag Warum avec sa voix de mauvais bourbon. Puis elle glisse dans la sciure.
Allongée par terre, on dirait une petite fille mais elle vient de fêter ses 43 ans. Sa peau est trop blanche, ses cheveux trop longs et ses vêtements trop pourris. Elle s’habille chez Emmaüs. Freddy, le patron des Trois Boules se penche sur le zinc et essaie d’apercevoir ses cuisses. Mais la robe en batik s’interpose. Du coup, Freddy compose le numéro des flics : il a compris qu’elle ne paiera pas ses consommations.
[...]
In Kebab Palace, Marc Villard
[...]
La rage, c’est un sabre planté dans ton œsophage. Une lame brûlante qui irradie. Ce sabre te fait souffrir. Chaque minute, chaque seconde. Mais en échange, il te donne une grande force. Celle d’aller jusqu’au bout de ce que tu as décidé. Non, ils ne savent pas. Ni elle, ni lui. Surtout lui.
Je te connais si bien. Chaque centimètre de ta peau, et ton odeur imprimée dans ma tête. Cédric, tatoué partout, en moi. Je te porte dans mon ventre mental. Comme un enfant haï.
[...]
In Disparitions, Dominique Sylvain
Il avait plu des cordes une bonne partie des journées qui nous séparaient de notre initiative, et je n’avais pas mis le nez dehors que contrainte et forcée. Les courses, le dentiste, des papiers à fournir à l’administration, l’entretien de la tombe au cimetière. Le film de ce que j’avais prévu ne cessait de se dérouler dans ma tête, bien que je sache que dans ce genre d’aventure, rien ne se passait vraiment comme on l’avait imaginé. J’introduisais quelques variantes, je me faisais peur, je me rassurais… Le soleil avait refait son apparition dès les premières heures du mercredi, noyant dans sa luminosité le coin de cuisine où je prenais mon café. J’y avais vu un signe. Après la douche, j’avais enfilé un survêtement, lacé mes baskets, puis passé un imperméable couleur crème. Pas de sac à main, pas de papiers d’identité, rien qu’une enveloppe remplie de feuilles photocopiées. [...]
In La sueur d’une vie, Didier Daeninckx
Avis :
Dans ces nouvelles noires, pas de Femen aux corps badigeonnés de slogans chocs ou de marches revendicatives mais des histoires de femmes vraies, meurtries par la vie. A un moment donné, celles-ci osent dire stop - en bandes organisées ou seules - et donnent un nouveau sens à leurs vies en se rendant justice.
Daeninckx, Villard, Malte et Sylvain racontent du noir bien noir. Et c’est tant mieux puisque c’est ce qui est vendu par l’éditeur. Chaque auteur a choisi un axe différent : la politique espagnole contemporaine et ses dérives pour Didier Daeninckx qui base Fidelia à Santa-Maria de Cicéro ; l’alcoolisme et la pauvreté pour Marc Villard qui situe son intrigue dans un champ de mobil-homes coincés entre une bretelle d’autoroute et une cité à Ritsheim ; l’obsession d’être parent pour Dominique Sylvain qui entraîne le lecteur à Bangkok sur les traces d’Elsa la femme trompée et abandonnée ; le transgénérationnel et le racisme pour Marcus Malte qui place Tamara dans un village français.
Un grand merci à ces écrivains chevronnés pour m’avoir permis de lire des nouvelles qui m’ont prise aux tripes. Toutefois, mes préférences vont à Tamara, suite et fin et Kebab Palace, pour leur noirceur et leur violence « ordinaires » parfaitement rendues. A quand l’adaptation cinématographique ?
Quoi qu’il en soit, les fervents du noir ne devraient pas hésiter à acquérir Femmes en colères, un très beau coffret pour un très joli cadeau, à s’offrir ou à offrir.
Femmes en colère, Didier Daeninckx, Marc Villard, Marcus Malte et Dominique Sylvain, éditions In8, 18 €.
Nouvelles également disponibles à l’unité (4 €)