Question à 1 euro : les hommes et les femmes sont-ils si différents qu’on croit ? Dans “La vie sexuelle en France”, la sociologue Janine Mossuz-Lavau affirme que l’écart tend à diminuer. Les femmes veulent plus de sexe. Et les hommes… plus d'amour.
Sur internet, on trouve
ce bout de dialogue :
«Vous aurez beau faire,
Monsieur, dit la jolie marquise, vous n’aurez jamais mon cœur.
— Je ne visais pas si
haut, Madame.»
«Faussement attribué à
Molière, cet échange résume très bien les milliers de stéréotypes qui courent
sur les différences susceptibles d’être relevées entre les hommes et les
femmes.» D’une plume enjouée, Janine Mossuz-Lavau s’amuse des «certitudes»
(1) qui continuent de courir en France : «en simplifiant, pour faire
l’amour, les femmes devraient nécessairement être amoureuses, tandis que les
hommes tenteraient d’abord d’assouvir leurs besoins sexuels. Les premières n’en
auraient pas tellement, alors que les seconds en connaîtraient
d’irrépressibles. L’opinion publique applaudit. D’après la dernière grande
enquête quantitative sur la sexualité (en date de 2006), […] 73 % des femmes et
58 % des hommes estiment que les hommes ont plus de besoins sexuels que les
femmes. (2)» Même les jeunes partagent cette idée : «La femme veut de
l’amour. Pour en avoir, elle accepte le sexe. L’homme veut du sexe. Pour en
avoir, il accepte l’amour.»
«Ca date de
l’époque préhistorique»
Pour illustrer ce cliché courant, la sociologue cite les propos recueillis auprès d’un nommé Pascal (34
ans) : «Je pense vraiment que, pour schématiser, les hommes sont là pour
trouver un maximum de partenaires sexuelles dans leur vie. Ça date vraiment du
Moyen Âge. Qu’est-ce que je raconte ? De l’époque préhistorique, du côté
animal, de pouvoir polliniser un maximum, pour avoir le plus de descendance
possible. Et que les femmes ont plus tendance à vouloir trouver le reproducteur
idéal. Et du coup, j’ai l’impression, une fois qu’elles ont trouvé un homme
qu’elles aiment, quand elles sont heureuses avec lui, elles vont moins… Quand
il y a un couple, un homme et une femme, la femme va moins avoir envie d’aller
voir ailleurs. Elle va y aller quand elle sera délaissée par son petit copain.
Elle va y aller quand elle est triste. Ça peut arriver de faire des écarts.
Mais je trouve que l’homme, il a plus envie de multiplier les partenaires
sexuelles. Alors que les femmes ont plus envie d’en avoir un seul, du coup
c’est le bon et elles ont moins envie d’aller voir ailleurs. C’est ce que j’ai
pu observer le plus souvent.»
Les mâles modernes
sont-ils «féminisés» ?
Curieusement, ce même
Pascal –pourtant persuadé que l’homme est «programmé» pour aller voir
ailleurs– affirme être devenu fidèle :
depuis qu’il a rencontré la femme de sa vie. Lorsque Janine Mossuz-Lavau mène l’enquête, sur 65 participant-es, elle ne relève qu’un seul et unique cas de
mâle «pollinisateur». Il s’agit d’un célibataire –alcoolique, cocaïnomane– qui
prend plaisir à mépriser les femmes (toutes des putes) parce qu’il a raté sa
vie. A cette seule exception près, les hommes que la sociologue rencontre
affirment tous avoir besoin d’aimer et d’être aimés. Même ceux qui croient que
l’homme est «par nature» un amateur de
sexe. Qu’en déduire ? Que les mâles sont «féminisés» ? Janine Mossuz-Lavau
réfute cette idée : «ce n’est pas un camp qui l’emporterait sur l’autre
(nous sommes loin de la guerre des sexes), mais deux camps qui se
rapprocheraient», explique-t-elle. Autrement dit : «des hommes se
mettent à adopter certains de ces comportements étiquetés “féminins” et des
femmes empruntent à leur tour des traits assignés jusque-là aux hommes.»
La pseudo «féminisation»
de la société
Pour Janine Mossuz-Lavau,
«le soi-disant triomphe des femmes, la féminisation / maternisation de la
société qui réduirait à néant ces pauvres hommes, de même que ces femmes
masculinisées, guerrières à l’assaut de tous les pouvoirs, ce sont des
marronniers, rituellement exploités par les médias lorsqu’ils sont en manque de
copie et d’imagination.» Ce qu’elle observe lors de son enquête –après une
année d’entretiens intimes avec des personnes de tous âges, de tous milieux et
de toutes tendances– c’est que les hommes autant que les femmes ne se
conforment plus vraiment aux attentes relatives à leur genre. Il y a Didier (56
ans), par exemple, qui papillonne beaucoup mais affirme avoir besoin d’admirer
ses partenaires : «j’ai jamais considéré les femmes comme juste un jouet.
Toutes les femmes que j’ai rencontrées m’ont rendu moins con.» Kevin (27
ans) affirme n’avoir «jamais été fan» des coups d’un soir : «autant
me masturber», dit-il. Cédric (25 ans) qui a tenté Adopteunmec, Badoo,
Tinder puis Meetic raconte que «ça change tout» quand il se sent
complice d’une partenaire : c’est moins «fade».
«Aujourd’hui, hommes
et femmes se soustraient aux normes ancestrales.»
L’enquête de la
sociologue met également au jour des changements sensibles dans les parcours
d’homosexuels : bien qu’ils soient souvent présentés comme de «pur baiseurs»,
beaucoup ont besoin d’un ancrage affectif. Certains vivent en couple longue
durée. «Serge (54 ans) est en couple avec Philippe depuis vingt-sept ans.
Ils s’aiment. Ce qui ne les empêche pas d’avoir “des histoires libertines”.»
D’un côté les plans culs. De l’autre la vie à deux. Beaucoup de couples
hétérosexuels adoptent des contrats similaires : ceux qui pratiquent
l’échangisme ou le poly-amour, bien sûr, mais aussi ceux dont la vie sexuelle,
usée par 10 ou 20 ans de vie commune, a fini par disparaître. Ils s’aiment
toujours. Ils ne font plus l’amour ensemble. Ils se laissent libre, plus ou
moins tacitement, d’avoir des partenaires à côté. Bien qu’il s’agisse d’un
tabou –peut-être le «dernier vrai tabou» en France, ainsi que l’affirme Janine
Mossuz-Lavau– elle en a relevé un grand nombre d’occurrences.
«Le principe
du bon plaisir et du “je prends, je jette”»
Du côté des femmes, il y
a aussi des cas éclairants de personnes qui échappent aux stéréotypes, sans
états d’âme. Certaines étudiantes, par exemple, accumulent les plans culs pour
se «décharger». Elsa (23 ans) recrute ses sex-friends sur des sites de
rencontre, accordant la priorité à sa future carrière : «Je me vois pas
faire des masses de concessions au niveau travail pour la vie amoureuse, quoi.
De la même façon que ça me paraît impensable d’avoir des gamins.» Adrienne
(21 ans) affirme avoir besoin d’amour, mais ne s’interdit pas d’aller sur
Internet pour rencontrer des inconnus. Si jamais elle trouve le bon, parfait,
mais pas question de «se sacrifier» pour lui : «Je ne veux pas me fermer des
opportunités professionnelles pour un mec.» Anaïs (27 ans) non plus ne
s’interdit rien. Elle a compris que «l’amour et la sexualité étaient deux
choses bien dissociées». Aujourd’hui, conclut la sociologue, les aventures
sans lendemain sont devenues une composante essentielle de la vie des filles.
Elles ont leur «réserve opérationnelle» d’amant-es.
«Hommes et femmes
diffèrent-ils dans leur vision/pratique de l’amour ?»
Au fil de cette enquête
construite comme un roman d’initiation, Janine Mossuz-Lavau donne la part belle
aux confidences de ses 65 témoins. On sent le plaisir qu’elle a de recueillir
leurs expériences. Certaines ne sont pourtant pas heureuses. Au tout début de
l’ouvrage, notamment (dans les chapitres consacrés à l’enfance et à «l’entrée
dans la danse»), les hommes et les femmes victimes de viol, d’agressions
sexuelles et d’inceste livrent des aperçus glaçants de leur passé. Ils et elles
sont nombreux. Leurs récits, d’ailleurs, sont en tous points similaires, que la
victime soit une fille ou un garçon. La même horreur s’en dégage. Ce qui
confirme les propos de la sociologue : en bien comme en mal, nous sommes de
plus en plus égaux face au sexe.
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A LIRE : La vie sexuelle en France. Comment s’aime-t-on aujourd’hui ?, de Janine Mossuz-Lavau,
La Martinière, 2020.
NOTES :
(1) Sa première enquête
sur la vie sexuelle en France est parue en 2002 aux Éditions de La Martinière.
(2) Nathalie Bajos et
Michel Bozon (dir.), Enquête sur la sexualité en France, p. 554.
POUR EN SAVOIR PLUS :
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