Créée en 1967, Natacha hôtesse de l’air fait partie des premières héroïnes libérées de la BD franco-belge. A la même époque, un homme se rend célèbre aux USA, lors d’un procès retentissant pour l’égalité des droits : il veut être hôtesse de l’air.
L’histoire de Natacha, la célèbre héroïne de BD,
commence en juillet 1963 : encore en culottes courtes, le jeune François
Walthéry (16 ans) est conduit par sa mère à la rédaction du Journal de Spirou
où le seul petit croquis qu’il a avec lui, dans son portefeuille, attire
l’attention d’Yvan Delporte, le rédacteur en chef. Le voilà embauché comme
assistant du créateur des Schtroumpfs (Peyo). Deux ans plus tard, François
Walthéry se met à dessiner une pin-up au regard aguicheur. Elle lui trotte dans
la tête. En 1967, il la montre à Yvan Delporte, qui la voit en hôtesse de
l’air. «En 1967, celles-ci jouissent d’un statut particulier dans
l’imaginaire masculin, comme en témoigne la chanson L’hôtesse de l’air de
Jacques Dutronc, sortie quelques mois plus tard». Bingo, Natacha est née.
L’histoire est racontée dans la préface (1) d’un ouvrage
intitulé François Walthéry Une Vie en dessins. Ce Beau Livre cartonné,
magnifiquement mis en page, présente plus de 200 fac-similés de planches
originales, des couvertures et des croquis présentant le travail de l’artiste,
depuis ses débuts jusqu’à 2018 (lorsqu’il publie le 23e album des aventures de
Natacha). En vedette, l’hôtesse de l’air occupe plus de la moitié du livre, en
mini-jupe, en uniforme et parfois même… en bikini, mais de dos : «Si le journal consent à accueillir des héroïnes décomplexées, il
convient toutefois de ne pas trop bousculer la morale maison au-delà de ce
qu’elle s’est imposée comme bienséance depuis sa création, cent ans plus tôt.»
De fait, François Walthery nie avoir jamais montré
les dessous de son héroïne : «Certains ont prétendu avoir vu sa culotte.
Honnêtement, c’est moi qui dessine, et je ne me souviens pas pas avoir dessiné
sa culotte» (entretien Circus, 1982). Sexy mais pas potiche, Natacha est
d’ailleurs présentée comme une «féministe», «célibataire endurcie»,
«indépendante», «avec un métier» : «c’est un personnage qui travaille»,
insiste son créateur. Et même si Natacha fait figure d’idiote comparée à
Barbarella (Forest, 1962), Valentina (Crépax, 1965) ou Laureline (Christin
& Mézières, 1967), il faut tout de même reconnaître qu’au sein du Journal
de Spirou, qui s’adresse à des enfants de 14-15 ans, sa présence détonne.
Dans la maison Dupuis, Natacha fait même un peu
scandale. L’historien de la BD, Thierry Groensteen,
raconte que Charles Dupuis, «dans les années 1950, refusa d’employer une
femme mariée, la place de celle-ci étant au foyer». On mesure bien le
chemin parcouru lorsque Spirou publie la première aventure de Natacha. Une
blonde en mini-jupe qui prend les décisions, et qui relègue son équipier
stewart (Walter) au rang de faire-valoir ? Elle apparaît pour la première fois
dans le numéro du 26 février 1970. Soit trois ans après le lancement du projet…
juste avant que le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) voit le jour en
France. L’hôtesse de l’air tombe à pic.
.
Quel rapport avec cet
homme qui voulait être hôtesse de l’air ? La réponse mercredi.
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A LIRE :
François Walthéry Une Vie en dessins, éditions Dupuis, mars 2019, 384 pages en couleur.
NOTE 1 : La préface de la monographie a été établie par Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault en charge des Archives du Journal de Spirou.