Nous avons récemment beaucoup parlé de culture du viol et Le nouvel observateur nous fournit ces jours ci de merveilleux exemples de ce qu’elle peut être.
Dans un premier article, analysé par Gaelle-Marie Zimmermann, un homme – on ne tentera pas de le qualifier de journaliste – se masturbe romance la relation pédocriminelle entre une professeure et une enfant de douze ans. L’agression sexuelle devient une relation d’amour racontée avec force détails complaisants.
Nous aurions pu supposer qu’il s’agissait d’un cas isolé, qui avait malencontreusement échappé à la sagacité de la rédaction si :
- un rectificatif et des excuses avaient été faites suite aux nombreuses réactions face à ce torchon. Bien au contraire, une note a été ajoutée où l’auteur nous expliquait faire preuve de « compassion » face aux « parcours singuliers ».
- si un second article ne nous avait pas alerté.
Dans ce nouvel article, Marie-France Etchegoin qui a visiblement conservé son esprit primesautier de midinette à play boys, se vautre dans la complaisance la plus abjecte face à un homme accusé de viols avec circonstances aggravantes et d’actes de torture. Gageons que s’il n’avait pas été l’héritier de la maison du caviar (je vous laisse compter le nombre de fois où le mot est prononcé sous les formes les plus diverses ; Etchegoin possède apparemment un dictionnaire des synonymes), les mots – et le premier jugement d’ailleurs mais c’est un autre sujet – auraient été différents. Encore une fois, la presse – mais elle n’est qu’un symptôme, cela n’est pas pour rien qu’on parle de culture du viol – excuse toutes les violences sexospécifiques à coups de romance, d’amours contrariés, de passion dévastatrice, d’homme pris par son tempérament et autres fadaises visant au final à nous expliquer que ces violences sont quasi inévitables et naturelles. Ainsi ces violences ne sont plus vues comme des phénomènes sur lesquels on peut et on doit travailler, mais des événements contre lesquels on ne peut pas grand chose, et qui sont au fond aussi peu inquiètantes et aussi naturelles que « la passion » (pour un meurtre conjugal) ou le sexe (pour un viol).
On nous parle donc d’un homme accusé de viol avec circonstances aggravantes et d’actes de torture.
On peut tout à fait admettre qu’il ait droit à la présomption d’innocence qui ne signifie pas pour autant qu’on se vautre dans un vocabulaire laissant entendre qu’il est tout à fait innocent et juste victime d’une sexualité certes un peu trash mais finalement commune aux « gens de la Haute ».
Ce qui tue chaque jour un peu plus les victimes de viol et les empêche de porter plainte, c’est la perpétuelle confusion entretenue entre le sexe et le viol. Ici, dans un cas où l’acte d’accusation porte sur un viol, avec circonstances aggravantes, avec actes de torture, on arrive à nous parle de sexe ce qui entretient la confusion entre les deux actes. Ce qui entretient l’idée qu’au fond le viol n’est pas si grave puisqu’on en parle comme du sexe et que si un tel viol, aussi violent, aussi grave, accompagné de tortures peut être raconté comme s’il s’agissait d’une partouze un peu hard, alors tous les autres viols seront, eux, qualifiés comme des actes sexuels tout à fait normaux, tout à fait ordinaires.
La journaliste qui ferait mieux de s’orienter vers une carrière à Points de vue est très fan de d’ »esturgeon« , d’ »or noir« , de « béluga« , (si quelqu’un peut se dévouer pour envoyer une boite d’œufs de lump à la rédaction de l’obs… cela semble les obséder) d’ »appartements huppés« , de « suites raffinées« . Rappelons tout de même qu’on parle d’un procès avec des accusations très graves (enfin, non, notez on n’en parle que très peu dans la presse) et pas de la dernière soirée où il fallait être vu.
L’accusé a connu « une descente aux enfers« . Il pratique des « marathons sexuels » et des « bacchanales hallucinées« . Il vit un « roman trash » à travers ces accusations. Les femmes dont il a été l’ »amant » succombent à ses « charmes« .
Avec un tel vocabulaire, comment encore se souvenir qu’on parle d’un procès pour viol ? Comment ne pas induire l’idée qu’on parle juste de soirées trash dont on lit le récit avec avidité et complaisance ?
On ne peut pas parler de « roman trash » lorsqu’il est question de telles accusations. On ne peut pas parler de « marathon sexuel » ou de « bacchanale » face à des accusations de viol. Observons un instant les sous-titres de cet article ; est-il question à un quelconque endroit du procès et des accusations ? On sent la fascination de la journaliste pour le personnage et le milieu, on y parle de sexe mais, à aucun instant, on y parle de viol. Le titre de l’article est lui-même éloquent puisqu’il parle de sexe et non pas de viol ou de crimes. Tout est d’ailleurs mis au même niveau : la prise de drogues, le sexe (le viol donc) et le caviar. Ce ne sont pas les victimes supposés qui ont connu une descente aux enfers, mais l’accusé.
Celle qui l’accuse est « celle par qui le scandale arrive« . La journaliste met le mot sévices entre guillemets car après tout, on n’est pas totalement sûr qu’une brûlure au chalumeau en soit un au fond. Il est très curieux que ce soit ce mot-là qui ait été mis entre guillemets alors que, pas un fois, toutes les expressions faisant référence à la sexualité ne le sont. Le parti-pris journaliste est clair ; il y a eu sexe et pas sévices.
Il ne s’agit pas – je le répète – de faire le procès avant l’heure de cet homme. Mais il ne s’agit pas non plus de systématiquement décriminaliser toutes les personnes accusées de violences sexistes. En mélangeant sexe et viol, on dit, clairement, que le viol n’est pas si grave que cela puisque le sexe ne l’est pas. En sexualisant le viol, c’est à dire en parlant du viol comme s’il était un acte sexuel lambda, on tend à instiller dans l’esprit des gens qu’il n’est au fond pas si grave, pas si condamnable.
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