D’un pavillon de chasse, le jeune Louis XIV fait une garçonnière pour y abriter ses premières amours avec la timide Louise de La Vallière, déflorée à 17 ans. Un ouvrage érudit retrace l’histoire de ce château, prétexte à parler des mœurs étonnantes du «Grand Siècle»… et de l’initiation du future Roi-soleil par une «vieille pute».
«Versailles fut, pour commencer, la garçonnière lointaine et faussement discrète du jeune Louis XIV, âgé de 23 ans. Un lieu de plaisirs et de libertinage à moins de vingt kilomètres de Paris. Un lieu pas forcément de vraies débauches mais de vraie liberté.»
«D’où d’ailleurs la fureur de Colbert quand il vit le jeune roi transformer son lieu de plaisir en centre du pouvoir politique. Colbert, si froid qu’on le baptisa «le Nord» d’après Mme de Sévigné, Colbert, le ministre austère vêtu de noir, Colbert, le rigoureux comptable des deniers du royaume, ne voulait pas que son souverain passe à la postérité pour avoir aménagé le lupanar «de ses jeunes années».
Dans un ouvrage intitulé Une Histoire érotique de Versailles – publié le 6 mai chez Payot-Rivages –, Michel Vergé-Franceschi (professeur d’histoire moderne à l’Université de Tours, spécialiste de l’Ancien Régime) et Anna Moretti (docteur en esthétique de l’Université de Corse, spécialiste de la féminité en littérature) retracent par le menu la vie sexuelle et amoureuse des monarques qui se succédèrent entre les alcôves accueillantes des appartements de Le Brun ou dans les bosquets propices des jardins de Le Nôtre… C’est l’occasion d’apprendre d’où vient la chanson «Auprès de ma blonde», entre mille anecdotes mêlant le masque de fer, les journaux intimes des dames de la Cour et les histoires de filles qui sortent glorieusement du ruisseau… le temps d’un bal.
Tout commence de façon austère : Louis XIII, «fort peu porté sur les femmes, pas plus que sur les hommes d’ailleurs» se fait bâtir un pavillon de chasse dans un coin de campagne giboyeuse. C’est un manoir champêtre si «chétif» qu’«un simple gentilhomme» ne pourrait en tirer «vanité». «Versailles est né sans «chambre de la reine «! Versailles est un rendez-vous de chasse purement masculin ! «Un grand nombre de femmes me gâterait tout «, déclarait Louis XIII.» Néanmoins, il y invite Anne d’Autriche sa femme en novembre 1626. «Mais il ne garda pas la reine à coucher malgré ses 25 ans…». Il ne s’intéresse pas au sexe. Il s’y intéresse si peu que lors de sa nuit de noce, il mange comme un ogre – sans tenir compte des conseils qu’on lui donne – puis marque sur son journal «rien» au lendemain de sa première nuit conjugale. Marié en 1615, il ne devient le père de Louis XIV qu’en 1638… Anne d’Autriche, la Reine mère, craint pour son fils la même inappétence. Elle désigne une «professionnelle» de 38 ans pour initier le jeune Louis aux plaisirs de la chair. Il n’a alors que 14 ans.
Cette «vieille pute», ainsi que le disent Michel Vergé-Franceschi et Anna Moretti, est «connue dans l’Histoire sous le nom de «Cateau la Borgnesse». Son vrai nom est Catherine-Henriette Bellier. Fille d’un marchand d’étoffes, elle est devenue la femme de chambre préférée d’Anne d’Autriche. Comment ? Pourquoi ? Les auteurs du livre hésitent. Cateau est très habile dans l’art de pratiquer le lavement anal : «elle excelle en effet dans l’introduction des clystères, alors fort prisés.» Par ailleurs, Cateau jouit «d’un atout : sa lubricité, doublée de la complaisance d’un mari peu jaloux. Ce dernier, Pierre Beauvais, lui-même marchand de rubans à Paris, est suffisamment fier d’être l’époux de la servante-confidente préférée de la Reine pour accepter les écarts de celle-ci.» Cateau, disent-ils est une «sorte d’infirmière diplômée à la cuisse hospitalière». C’est donc cette femme qui est chargée de déniaiser Louis XIV.
«Elle s’y emploie avec délectation et finit par atteindre son but – enfin ! – pour ses 16 ans, d’où deux mille livres de pension, l’octroi d’un château et une foule d’autres privilège». Louis dépucelé, Pierre Beauvais voit ses terres érigées en baronnie et, de modeste marchand de mode, le voilà promu «conseiller du roi». Quant à sa femme, elle devient, sous le nom de «baronne de Beauvais», une femme que Louis protégera jusqu’à sa mort, survenue à 76 ans, en 1689, preuve qu’elle l’avait bien initié et que ce premier souvenir sexuel lui était plutôt agréable… «Il faut dire que Cateau était femme de grande expérience, si l’on en croit Saint-Simon qui la définit ainsi : «Créature de beaucoup d’esprit, d’une grande intrigue, fort audacieuse, qui eut le grappin sur la Reine mère, et qui était plus que galante. Habituée aux «grands», Cateau – pourtant fort laide et borgne si l’on en croit le mascaron féminin de l’hôtel de Beauvais qui la représenterait édentée et aux lèvres négroïdes – était une femme experte, couverte d’amants parmi lesquels Mgr l’archevêque de Sens».
Si vous voulez savoir la suite… il faut lire le livre.
A LIRE : Une histoire érotique de Versailles, de Michel Vergé-Franceschi et Anna Moretti. Paru le 6 mai chez Payot-Rivages.
ILLUSTRATION : Nathalie Shau.