Refuser de voir notre monde comme on nous l’explique trop souvent – avec des gentils et des méchants – c’est le pari de Peggy Sastre qui signe avec son dernier livre « La domination masculine n’existe pas. » (un titre provoc’ mais qui fait sens si on lit le texte), une étude qui fait hérisser les poils de certains mouvements féministes.
D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que Peggy s’en prend à ses consoeurs. Son précédent essai s’appelait « Ex Utero – Pour en finir avec le féminisme« . Et pourtant Peggy est foncièrement féministe.
Pourquoi tant de désaccords ? Parce qu’elle part du postulat que les hommes ne sont pas les grands méchants de notre histoire. Eh non ! Ce ne sont que des résidus d’une évolution naturelle, et les femmes ont elles aussi leur rôle à jouer dans leur condition féminine, et donc, « dans leur propre domination ».
Car le but, ce n’est pas de savoir qui domine l’autre, c’est de savoir qui s’en sort le mieux sur le marché de la sexualité, et pour ça, lequel aura la stratégie la plus finement élaborée (et la domination violente et risquée n’est que l’une d’entre elle.)
Pour Sastre la domination masculine n’est pas une finalité en soi mais un moyen d’obtenir « des femmes » et plus basiquement, du sexe. Ce n’est donc pas une domination masculine qui se fait, entre autre, via la femme, mais une domination masculine qui se fait pour la femme, pour obtenir ses faveurs et l’accès aux entrailles de la reproduction. La domination est le moyen, l’enjeu, c’est le sexe.
D’après Peggy « On peut dire que le différentiel d’accès à la reproduction – les hommes produisent des millions de spermatozoïdes par jour, quasiment de leur puberté à leur mort, ne tombent pas enceints et peuvent ou prou mourir après la fécondation que ça ne changera pas grand-chose à la destinée de leurs gènes ; les femmes n’ont en gros qu’un seul ovule par mois, renouvelable pendant une petite trentaine d’années et à chaque ovule fécondé doivent en passer par la grossesse, l’accouchement et l’allaitement, soit a minima trois ans de parenthèse reproductive, pour avoir une semi-garantie de pérennité génétique – est un déterminant majeur de ces rapports. C’est ce que je dis dans mon livre : le gros des conflits entre hommes et femmes a comme moteur et motif le sexe, et le gros des luttes de pouvoir tourne autour de la sexualité et de la maîtrise du marché sexuel. »
Et pour maîtriser ce marché, l’homme (le grand méchant) viole parfois, c’est-à-dire, se passe de l’avis la femme pour avoir une relation sexuelle avec elle. (Quel intérêt d’ailleurs d’attendre l’aval d’une gourdasse qui ne sait jamais rien décider, en particulier sa tenue avant d’aller sortir avec ses copines ?).
Mais contrairement à ce que l’on imagine, le violeur n’est pas forcément un psychopathe qui a perdu le contrôle de ses pulsions, c’est plus un matheux avec option probabilités et statistiques avancées.
Quand on sait que le viol est principalement réalisé dans un cadre où l’agresseur prend un minimum de risques (proche de la victime, ascendant hiérarchique, possibilité de chantage affectif, victime en état d’ébriété etc.) et que le mythe du pervers glauque de la sombre ruelle qui court un gros danger en culbutant une personne aléatoire (mais en minijupe quand même parce qu’elle l’a bien cherchée) contre un mur n’est pas très représentatif de la majorité des cas, on peut aisément comprendre que le viol, n’est qu’une résultante d’un calcul presque intelligent « coût/bénéfice » opéré dans la tête de l’agresseur. Il peut donc s’enclencher chez n’importe qui à tout moment si la personne juge que les conséquences négatives de ses actes sont minimes comparés aux bénéfices (tout comme le crime, le vol etc.)
Mais concrètement, Peggy, c’est important le « oui » ou « le « non » d’une fille biologiquement parlant ?
« Il est extrêmement important, dans le sens où la femme a tout intérêt à choisir au maximum le géniteur de ses enfants selon ses propres critères. Pendant un temps, cette dimension a été sous-estimée par la recherche darwinienne – mais il faut l’excuser, c’était il y a longtemps et les outils techniques n’étaient pas aussi sophistiqués qu’aujourd’hui –, même si Darwin lui-même soulignait l’importance du « choix femelle » dans sa théorie de la sélection sexuelle qu’il expose dans La descendance de l’homme. Pour le résumé à gros traits, le consensus était le suivant : les mâles se livrent une âpre concurrence entre eux et les victorieux se partagent les femelles. Sauf que depuis la fin des années 1970, on a compris que les femelles étaient en réalité beaucoup moins passives et qu’elles arrivaient à manipuler à leur avantage la compétition sexuelle bien mieux qu’on ne l’imaginait – et, surtout, grâce à des stratégies beaucoup plus subtiles que celles mises en œuvre par les mâles. C’est dans ce sens que le viol est extrêmement délétère pour les femmes, vu qu’il annihile leur pouvoir de décision quant à l’individu qui les fécondera. Et c’est aussi dans ce sens que des stratégies d’évitement ou de minimisation de cette annihilation ont très probablement été développées par les femelles au cours de l’évolution, ce que des chercheurs commencent à mettre au jour depuis une dizaine d’années. »
Bref, messieurs, vous avez compris. Si vous voulez une belle descendance pour notre humanité, laissez tomber la calculette et soyez plutôt attentif à notre consentement…
Peut-on changer notre monde en un claquement de doigt ?Pour vulgariser le livre de Sastre, le but de l’homme est globalement d’avoir une certitude sur sa paternité (et/ou de disséminer un maximum ses gènes) et la femme une certitude d’accès aux ressources via l’homme pour sa propre survie et celle de ses gènes. Mais dans une société où l’on a créé depuis peu des tests de paternité, un accès (presque) équivalent aux ressources économiques et à l’éducation, et un contrôle très fiable de sa contraception : est-ce que ces rapports de force ne vont pas-t-ils brutalement disparaître et se réinventer ?
Pour Peggy, »Rien n’est brutal dans l’évolution, même si on envisage son orientation volontaire, ce qui n’est vraiment pas pour demain. On parle de changements qui mettent à minima des centaines de milliers d’années pour faire réellement souche. Le plus probable en termes de « réinvention » des rapports de force est à chercher du côté des modifications de notre environnement : plus nous gagnerons en prospérité, en développement, plus nous continuerons à nous éloigner de la nécessité, de la précarité, de la survie, plus les femmes seront à même de tirer leur épingle du jeu et plus les hommes devront « repenser » leurs stratégies archaïques s’ils ne veulent pas totalement devenir les déchets de l’histoire. A l’inverse, si on repart dans l’autre sens et qu’on se rapproche des conditions d’existence qui ont été celles de l’humanité pendant l’énorme majorité de son histoire évolutive, alors ces archaïsmes regagneront en efficacité.
Par exemple, si on envisage qu’un homme puisse avoir davantage de propensions à violer qu’un autre, son succès reproductif, et donc évolutif, ne sera pas le même s’il vit dans une société où le viol est réprimé et la contraception répandue que dans une autre où les femmes ne peuvent maîtriser efficacement leur fécondité et où le non-respect de leur consentement sexuel est un des premiers barreaux de l’échelle menant au sommet de la pyramide. »
Bref, c’est plutôt une bonne nouvelle, non ? Il suffit d’organiser une société qui réprimande sévèrement les injustices sexuelles archaïques et qui annihile leur succès reproductif pendant de nombreuses (nombreuses) années, pour faire disparaître ces tendances de l’humanité. On a donc le pouvoir de faire changer les choses !
Ca va prendre du temps les enfants, mais on n’est pas à l’abri d’un succès…
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PS : les réflexions ci-dessus sont celles que j’ai eu suite à la lecture de son livre. Les textes en italique sont de vraies réponses, pas des extraits.
Et sinon, elle dit plein d’autres trucs intéressants dans son bouquin dont je n’ai pas parlé, à commander ici.
RE-PS: Et en plus, elle a de l’humour !