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Hier soir, j’ai vu Blade Runner (Ridley Scott, 1982), trois ans après avoir mise en désir sur le sujet par le premier épisode du Fossoyeur de Films :
Je me suis dit OWGAAAAD, ce film a l’air tellement profond et réflexif, et puis de la SF bien foutue, et puis Philip K. Dick, et puis il faut que je le voie avant sa date de péremption chronologique (oui, parce que le film est censé se dérouler dans le Los Angeles de 2019, je devais donc me magner le cul)… J’avais plusieurs contacts – dont des camarades whovians – qui étaient dithyrambiques sur le sujet. Par conséquent, je me suis clairement dit qu’il était nécessaire pour ma culture personnelle que je le visionne.
Suite à ce visionnage, j’ai été non pas déçue, mais perturbée. Alors oui, le film est d’une beauté absolue, et si ce n’était le grain de l’image qui avait vieilli – j’ai regardé la Director’s Cut de 1992, l’image comme le son n’étaient pas encore passés par la moulinette numérique –, l’esthétique inscrite dans la temporalité des années 1980 ne gêne pas le confort du spectateur. MAIS.
Si le film est effectivement symboliquement fort, j’ai eu l’impression que la longueur du film n’a pas permis un développement plus soigné du sous-texte qu’il prétend évoquer. En effet, pour des raisons de production, Ridley Scott a réduit son film à 1h50 alors qu’il aurait mérité une longueur entre 2h30 et 3h00, ce qui aurait permis ne serait-ce que d’expliquer le ressenti des personnages au lieu de nous mettre devant le fait accompli faute de temps.
Ce qui fait qu’on se retrouve devant un film certes beau, certes muni de la contemplation qui invite à la réflexion, mais j’ai eu justement l’impression qu’on se retrouve devant une coquille vide de sens à force de voir le sous-texte survolé et non exploité. Et n’est pas parce que tu fais dire de la poésie au méchant que ton film en deviendra plus profond. Mais surtout, ce qui m’a agacée, ce sont ces moments de lenteur sans nom et sans contenu – pourquoi freezer sur la tête de con de Deckard comme ça pendant 3 minutes sans explication valable, une seule minute aurait largement suffi pour faire comprendre qu’il était choqué parce ce dont il venait d’être témoin. Bref.
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Je voulais donc partir de mon visionnage de Blade Runner pour montrer un écueil du fait et de la consommation de produits culturels en société. La plupart du temps, nos goûts et notre consommation de produits culturels sont influencés soit par les média, soit par notre cercle relationnel. Nous lisons des livres, nous écoutons des disques, nous allons au cinéma non seulement parce qu’on espère trouver des similitudes avec notre vécu culturel, mais surtout pour avoir des sujets de conversation développés avec les personnes qui nous entourent.
Il suffit donc d’être dans un cercle d’amis qui sont dithyrambiques sur un objet de consommation culturel pour envisager son analyse personnelle comme une nécessité. Et il se peut qu’après s’être fait monter la hype, on soit au final déçu de la consommation. Pire, on ne sait pas si on est déçu parce que l’expérience ne correspond pas à nos attentes ou alors si on est en désaccord avec nos relations. Se noue alors un vrai questionnement : lorsqu’on ne comprend pas la même chose que ses amis, faut-il qu’on change d’amis ou alors est-on juste con ?
Car ériger des objets de consommation culturelle au rang de culte est facile, dans la mesure où certains nous offrent une possibilité d’évolution personnelle fantastique. Ne dit-on pas d’une pièce de théâtre, d’un concert, d’un roman qu’il a changé notre vie ? Mais c’est dans cette perspective qu’il est dangereux de ne construire ses cercles relationnels selon ses affinités culturelles. En effet, même si nous éprouvons des sentiments forts envers nos amis, nous n’avons pas forcément la même vision du monde qu’eux, dont pas forcément le même rapport au fait culturel.
Nos liens de sociabilité sont déjà trop fragiles dans leur intensité pour les laisser pourrir par des divergences de goût. Et si on a les mêmes goûts que nos amis, méfions-nous tout de même de la hype de certains objets culturels qui pourraient n’apporter que de la déception dans la mesure où nous n’y trouvons pas les mêmes choses que nos amis.
Relire le Bouillon de Kub’Ture #1 : Karim Debbache et mon rapport à l’image réelle
Relire le Bouillon de Kub’Ture #2 : Arthur prend-t-il le public rock pour des ados attardés ?
Relire le Bouillon de Kub’Ture #3 : Un ministère de la Culture est-il toujours nécessaire ?
Relire le Bouillon de Kub’Ture #4 : La question du goût
Relire le Bouillon de Kub’Ture #5 : Radiohead et le mythe de l’âge d’or
Relire le Bouillon de Kub’Ture #6 : Bécherel, petit paradis
Relire le Bouillon de Kub’Ture #7 : Un artiste a-t-il le droit d’évoluer ?
Relire le Bouillon de Kub’Ture #8 : L’émancipation de la Muse
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Autant la semaine dernière, le Quoi de neuf était court pour des raisons techniques, autant cette semaine il est court parce que j’ai un peu décollé mon nez du porno sur Twitter. Mais ne vous inquiétez pas, j’ai vu l’essentiel de ce qui s’est passé de notable. Ça a gueulé évidemment et il y a même eu un gros clash sur la scène berlinoise. Il y a un nouveau studio en approche et une dénonciation en règle de Mofos. Bref, la planète XXX n’est pas encore le paradis qu’on aimerait qu’il soit, mais c’est en route.
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Chanel Santini gueule contre l’appellation shemale qui est péjorative et irrespectueuse. Écoutons ce que ressentent les personnes transgenres, ce n’est quand même pas compliqué. Et puis le SEO s’adaptera au fur et à mesure. Ceux qui tapent shemale porn dans Google ne méritent pas Chanel de toute façon.
a new VR site started including trans individuals on their site & labeled us once again as “shemales” This is Disrespectful #SorryNotSorry pic.twitter.com/aMFhrk8gf5
— Chanel (@CCSantini) October 8, 2017
Toutes les productions n’ont pas le même comportement. TransAngels par exemple possède un grand respect et travaille sur des films plutôt ambitieux, comme cette adaptation de Wonder Woman avec Chanel et Lance Hart.
BTS Wonder @CCSantini @lancehartfetish @SirTomMoore @Transangelsxxx pic.twitter.com/w8VLjAN1Pa
— demonlustxxx (@demonlustxxx) October 8, 2017
Before she was Wonder @CCSantini with @lancehartfetish directed by @SirTomMoore for @Transangelsxxx pic.twitter.com/vQHVEj33BM
— demonlustxxx (@demonlustxxx) October 8, 2017
Après la fusillade de Las Vegas, les appels au don du sang ont été nombreux. Lena Paul a voulu motiver les troupes à refaire les stocks en promettant du porno contre du O+ ou du O-.
If you're in Las Vegas, send me pix of you donating blood and I'll send you a free hour of porn! Action>>"thoughts & prayers" tweets
— Lena Paul (@lenaisapeach) October 2, 2017
Une autre actrice a tenté de promouvoir son contenu, mais ce n’était pas fait comme Lena, alors elle a pris cher.
No list. Because no one should be promoting themselves off of a terrorist attack. Insensitive, disrespectful, disgusting. pic.twitter.com/DcmAQ5tl4D
— Alexa Grace (@AlexaGraceXXX) October 3, 2017
Uma Jolie dénonce des comportements inappropriés sur un tournage de Mofos avec un réalisateur qui touche l’actrice sans son consentement.
Important message to all fellow porn actresses #rt pic.twitter.com/htljGaoVE3
— Uma Jolie (@umajoliexxx) October 3, 2017
Aiden Riley réagit même à cette courageuse dénonciation, lui qui a plutôt l’habitude de ne pas être sérieux sur Twitter.
The ONLY person who should be touching male OR female talent is their respective partner(s) in the scene. This shouldn't have to be said. :(
— Aiden Riley (@contentwh0re) October 3, 2017
Greg Lansky fait monter la sauce pour son nouveau projet. Ça s’appelle Blacked Raw et ça vogue encore sur le tag controversé interracial.
. @blackedraw is all I can say now. Stay tuned
— Greg Lansky (@GregLansky) October 4, 2017
À première vue, j’ai cru que c’était le nouveau studio de Lansky, puis en fait non, c’est juste une scène pour le site de Riley Reid.
https://t.co/So3plkjO3X pic.twitter.com/4mHHbDLnYc
— Riley Reid (@rileyreidx3) October 7, 2017
On a eu quelques images de ce Blacked Raw. Je ne vois pas vraiment la différence avec un Blacked normal. Serait-ce la lumière qui semble plus intime, plus sombre ? Ce flash brut qui est en vogue dans le X en ce moment notamment chez Baeb.
New cultures. Passionate sex. Real women. Experience #BlackedRAW by @greglansky on 10/26! pic.twitter.com/dEngHsnmuV
— BLACKED RAW (@BlackedRaw) October 5, 2017
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Le festival des films pornos de Berlin approche à grands pas et la planète indé vibre de plus en plus. Lina Bembe, actrice et réalisatrice, va avoir toute une soirée consacrée à sa personne. Un joli signe de reconnaissance.
It's official! I'm a Filmmaker/Performer in Focus for the coming @PFFBerlin. I'll be showing Fluídos Sudakas! https://t.co/xAIDxb8Pcr pic.twitter.com/eFQNSFFrFA
— Lina Bembe (@linabembe) October 3, 2017
Lina a eu maille à partir avec Lucie Blush qui, depuis quelques semaines, a un discours plutôt violent envers ses consœurs. Je vous mets le clash en lien hypertexte (à l’ancienne). Lina souhaite donc couper les ponts après cette altercation, elle qui a pourtant fait pas mal de réalisation pour Blush.
Just don't make money out of the people you insult and disrespect. Take down my content. I don't want to do anything with you, ever. https://t.co/CW6z3j8tEE
— Lina Bembe (@linabembe) October 3, 2017
Important – To all producers, performers, photographers, journalists & people related to the industry. Please read below: pic.twitter.com/mMsLuKFlBM
— Lina Bembe (@linabembe) October 4, 2017
Après la vidéo sur Vice, Vex réagit avec son style inimitable aux commentaires reçus.
Welcome to: 'Vex reads her VICE interview comments' with me, Vex pic.twitter.com/WcFVGkFDMw
— Vex Ashley (@vextape) October 3, 2017
On salue l’arrivée d’un nouveau couple français chez Lustery, la belle prod de Paulita Pappel.
Meet PATRICK & JUNE: https://t.co/gUnBA03DDv pic.twitter.com/VaGJtZkHgk
— Lustery (@LusteryHQ) October 5, 2017
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Une séance de pegging inspiré de Mad Max que vous n’oublierez pas de sitôt.
I must say, I think my dildo I crafted today has to be a new personally favorite. pic.twitter.com/YscyMlr44k
— Miss Roper (@RaquelRoperxx) October 2, 2017
Moi, je contacte un nouveau FAI pour avoir une meilleure connexion.
WHAT DO YOU DO WHILE PORN IS BUFFERING?!?!
— Missy Martinez (@MissyXMartinez) October 7, 2017
Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu de nouvelles d’Amy Andersen. Elle va bien et fait du vélo comme Hidalgo.
Chicago oct11-14
Boston oct 15-18 https://t.co/DBnc4imucC pic.twitter.com/htH6UIl47l— Amy Anderssen (@AmyAnderssen1) October 8, 2017
Top la casquette de Natalie Mars !
— Natalie Mars (@theNatalieMars) October 8, 2017
Doing doing doing !
Shooting porn is serious business. pic.twitter.com/o69c439Riv
— Ham Cannibal Sammich (@thecamdamage) October 7, 2017
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C’est marrant comme je ne sélectionne jamais vraiment de photos très explicites pour cette rubrique. J’aime la poésie de la nudité.
Dans la même série "sucrée" pic.twitter.com/oCFCuYqEZm
— Philyra (@missphilyra) October 3, 2017
Super close to 80K, can we get there today? pic.twitter.com/Jjr3BaDFrn
— Anna de Ville (@AnnadeVilleXXX) October 3, 2017
I myself am strange & unusual 🥀 pic.twitter.com/CMFymMnrGo
— $pooky$lut (@RabbitMagick) October 3, 2017
obsessed with this entire set thank you @isabeldresler pic.twitter.com/3N2CdQcJBN
— charlotte sartre (@GothCharlotte) October 3, 2017
✨ [[ https://t.co/iRJEcxxjUH ]] ✨ pic.twitter.com/vRAYTeoFIP
— ✨Ashe Maree✨ (@AsheMareexoxo) October 5, 2017
This is why we can’t have nice things @kinkdotcom pic.twitter.com/Z2RkkYnMTW
— Olive Glass (@Olive_Glass_) October 7, 2017
Enjoy your we! I will be working on the new Video! https://t.co/XZcUZxbz7K pic.twitter.com/mWVuU6gIBN
— LeoLulu (@LeoLulu_XXX) October 7, 2017
#NewProfilePic pic.twitter.com/sN2vljAImM
— Cecilia Lion (@officialcclion) October 7, 2017
If you guys like the photos I've been posting from my shoot with @dickavery check out https://t.co/Q1eUchp4Tr for some more pic.twitter.com/iPtuwko5aC
— Ivy Lebelle (@IvyLebellexxx) October 8, 2017
bein xxxtra pic.twitter.com/hRdDAZhWNA
— Kylie Maria (@kylieluvsyouuu) October 8, 2017
Think I’m starting to live LA minus the traffic pic.twitter.com/KvjU9pjJc4
— Jason Luv (@iamjasonluv) October 7, 2017
I mean, it’s pure gold. pic.twitter.com/ZQpy0CTZ6x
— ryan bread (@ryanbreadd) October 3, 2017
Photo de une : Ashe Maree la fascinante.
En Occident, un nombre croissant de femmes célèbrent la Terre-Mère, au cours de rituels bricolés mêlangeant shamanisme new age et magie wicca. Faut-il en rire ou s’en méfier ? Ni l’un ni l’autre, répond une écoféministe.
Par une nuit de pleine lune, neuf femmes forment un cercle sur une colline. A l’ouest, soleil couchant ; à l’est, la face de la lune commence à scruter l’horizon... Une femme verse un gobelet de vin sur la terre, le remplit et le soulève bien haut. «Je te salue, Tana, Mère des mères !». Dans un article intitulé «Pourquoi les femmes ont besoin de la Déesse» (publié dans l’Anthologie écoféministe Reclaim, aux éditions Cambourakis), une chercheuse écoféministe –Carol P. Christ– explique pourquoi il faut célébrer la Déesse-Terre. Il ne s’agit pas, dit-elle, de ressusciter un culte ancestral car ce culte n’est pas avéré. Même s’il a jamais existé, rien ne permet de savoir comment il était célébré… Il s’agit, plus modestement, de créer une religion nouvelle, afin qu’advienne une société moins destructrice.
S’agit-il de ressusciter un culte ancestral disparu ?
Que la religion de la Grande Déesse relève du mythe ou pas, peu importe (1). C’est aux historiens de trancher. Quand Carol P. Christ parle de la Déesse, elle ne fait pas allusion à un culte ancien (si tant est qu’il ait existé) mais au mouvement néo-païen, dérivé de la mouvance Wicca apparu en Angleterre dans les années 1930 et importé aux Etats-Unis au sein du New Age… C’est une religion inventée, dit-elle, ce qui en fait tout l’intérêt. Pour elle, tout commence en 1976 : elle assiste à un spectacle de Broadway (2) à la fin duquel une actrice s’écrie : «J’ai trouvé Dieu en moi et je l’ai aimée». Traduction : Dieu est une femme ; cette femme, c’est moi. Pour Carol P. Christ cette phrase fait l’effet d’un électrochoc. La voici, comme des milliers d’autres femmes, «qui se rassemblent spontanément en petits groupes à la pleine lune, aux solstices et aux équinoxes, pour célébrer la Déesse comme symbole du pouvoir de la vie et de la mort et des énergies qui croissent et décroissent dans l’univers et en elles-mêmes»… On pourrait bien sûr se moquer de cette démarche : pourquoi inventer une religion alors que les traditions chrétiennes (pour ne citer qu’elles) sont riches de messages similaires sur notre «devenir-Dieu» ? Jésus a montré la voie. Pourquoi se tourner vers une déesse de bric et de broc ?
Pourquoi remplacer le Dieu mâle judéo-chrétien par une Déesse païenne ?
«Afin de répondre à cette question, nous devons d’abord […] considérer l’effet du symbolisme mâle de Dieu sur les femmes», explique Carol P. Christ. Elle cite l’anthropologue Clifford Geertz, pour qui les symboles religieux façonnent un ethos culturel (2), autrement dit le système de valeurs et de symboles qui régissent les normes sociales. «Les symboles ont des effets à la fois psychologiques et politiques, puisqu’ils créent leurs conditions internes (des attitudes et des sentiments profondément enracinés) qui conduisent les gens à se sentir à l’aise ou à accepter des arrangements sociaux et politiques qui correspondent au système symbolique», résume Christ., qui assène : «Puisque la religion a une emprise aussi puissante sur les psychés […], les féministes ne peuvent pas se permettre de la laisser entre les mains des pères. Même ceux qui ne peuvent plus “croire en Dieu”, ni participer à la structure institutionnelle de la religion patriarcale, peuvent encore se révéler être sous le joug de la puissance symbolique de Dieu le Père. L’effet d’un symbole ne dépend pas de son acceptation rationnelle, puisqu’un symbole opère également à des niveaux de la psyché autres que rationnels.
L’inadéquation du corps de la femme à celui des instances divines dirigeantes
Même les personnes qui se considèrent comme laïques sont affectées par le système des valeurs qui structurent la société. Même ceux et celles qui les rejettent… «Les systèmes symboliques ne peuvent pas simplement être rejetés; ils doivent être remplacés. Là où aucun remplacement n’a eu lieu, l’esprit va revenir à des structures familières en temps de crise, de perplexité ou de défaite», insiste Carol P. Christ. Il s’avère que le système qui domine notre société est celui d’un Dieu mâle qui, tout blessé et féminisé qu’il soit, n’en reste pas moins «le fils de Dieu le père». Ce système est nocif, dit la chercheuse, car il maintient «les femmes dans un état de dépendance psychologique par rapport aux hommes et à l’autorité masculine, tout en légitimant l’autorité politique et sociale des pères et des fils au sein des institutions sociales. Les systèmes symboliques religieux focalisés autour d’images exclusivement masculines de la divinité donnent l’impression que le pouvoir féminin ne peut jamais être tout à fait légitime.» Une femme ne peut y rester insensible. «Elle ne peut s’envisager comme identique à Dieu (créée à l’image de Dieu) qu’en niant sa propre identité sexuelle et en affirmant la transcendance de l’identité sexuelle de Dieu.»
La religion de «Dieu le père» comme légitimation du pouvoir masculin
Mais il y a pire. Que se passe-t-il quand une femme se voit exclue du groupe qui domine symboliquement ? Elle en déduit qu’il est normal d’être dominée réellement, ainsi que le démontre la théologienne féministe Mary Daly (dans Beyond God the Father) : «Si Dieu dans “son” ciel est un père dirigeant son peuple, alors c’est dans la “nature” des choses et conformément au plan divin et à l’ordre de l’univers que la société soit dominée par les hommes. Dans ce contexte, une mystification des rôles a lieu. Le mari dominant sa femme représente Dieu “lui-même”. Les images et les valeurs d’une société donnée ont été projetées dans le royaume des dogmes et des “articles de foi”, et elles justifient à leur tour les structures sociales qui leur ont donné naissance et assurent leur caractère plausible.» Simone de Beauvoir, elle-même, a écrit quelques textes cinglants à ce sujet (4) : «L’homme a tout avantage à faire endosser par un Dieu les codes qu’il fabrique : et singulièrement, puisqu’il exerce sur la femme une autorité souveraine, il est bon que celle-ci lui ait été conférée par l’être souverain. Entre autres chez les juifs, les mahométans, les chrétiens, l’homme est le maître par droit divin : la crainte de Dieu étouffera chez l’opprimée toute velléité de révolte.»
Créer une théalogie, en réaction à la théologie des hommes ?
Les effets psychologiques et politiques de la religion de Dieu sont donc délétères, affirme Carol P. Christ, qui insiste sur l’importance du symbole de la Déesse pour les femmes. Il s’agit d’inventer d’autres récits des origines, d’autres mythes, d’autres modèles afin de combattre l’imaginaire dominant à l’aide de récits neufs, ou inspirés de contes «ré-aménagés». C’est ce à quoi s’attelle par exemple la romancière Monique Wittig quand elle écrit Les Guérillères : «il y a eu un temps où tu n’as pas été esclave, souviens-toi. Tu t’en vas seule, pleine de rire, tu te baignes le ventre nu. Tu dis que tu en as perdu la mémoire, souviens-toi. [...] Tu dis qu’il n’y a pas de mots pour décrire ce temps, tu dis qu’il n’existe pas. Mais souviens-toi. Fais un effort pour te souvenir. Ou, à défaut, invente» (5). «Je crois que les femmes doivent développer une théorie du symbole et une théalogie qui soient en harmonie avec leur expérience, et qu’elles doivent simultanément “se souvenir et inventer” de nouveaux systèmes symboliques», conclut Carol P. Christ qui suggère, notamment, de créer des cérémonies relatives à l’accouchement. «L’iconographie religieuse ne célèbre pas celle qui donne la vie, et il n’existe pas de théologie ni de rituel qui permette à une femme de célébrer le processus de la naissance comme une expérience spirituelle. Donner naissance est traité comme une maladie nécessitant une hospitalisation, et la femme est considérée comme un objet passif et anesthésiée pour s’assurer de son acquiescement à la volonté du médecin.»
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A LIRE : Reclaim, recueil de textes présentés par Emilie Hache, éditions Cambourakis, 2016.
Reclaim contient la traduction du texte «Pourquoi les femmes ont besoin de la déesse. Réflexions phénoménologiques, psychologiques et politiques», extrait de Why Women Need the Goddess: Phenomenological, Psychological, and Political Reflections, publié dans l’ouvrage Womanspirit Rising: A Feminist Reader in Religion (1979), de Carol P. Christ & Judith Plaskow, HarperOne, 1992.
CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER SUR L’ECOFEMINISME : «L’écoféminisme peut-il sauver la terre?» / «Une bénédiction mondiale de l’utérus?» / «Pourquoi avons-nous besoin de la grande déesse?»
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NOTES
(1) L’ouvrage de référence sur la grande déesse est La Mère des dieux. De Cybele à la vierge Marie, de Philippe Borgeaud, éd. Seuil, 1996.
(2) Le spectacle s’intitulait «Pour les filles de couleur qui ont pensé au suicide quand l’arc-en-ciel suffit».
(3) «Religion as a Cultural System» de Clifford Geertz, in William L. Lessa et Evon V. Vogt, (ed.), Reader in Comparative Religion, seconde édition, Harper & Row, New York, 1972, p. 206.
(4) Le Deuxième sexe, de Simone de Beauvoir, Gallimard, Paris, 1949, tome 2, p. 507.
(5) Les Guérillères, de Monique Wittig, Minuit, Paris, 1969, p. 126-127.