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Les hommes aiment regarder du porno lesbien. A priori, l’affirmation ne choquera personne. C’est un fait publiquement assumé par la plupart des hommes hétérosexuels : une femme + une femme, c’est un fantasme devenu somme toute très classique. Mais l’inverse est-il vrai ? Les femmes hétérosexuelles sont-elles consommatrices de porno gay ? Nous avons voulu en savoir plus.
Alors que le grand public commence à peine à accepter le fait que oui, les femmes peuvent kiffer devant du porno et prendre du plaisir en se masturbant (du sexe sans un sacro-saint pénis ? Oh. Mon. Dieu !), les consommatrices de porn se retrouvent face à un véritable problème : qu’il s’agisse de scènes hétérosexuelles, bisexuelles ou lesbiennes, ces dernières sont en majeure partie réalisées à destination d’un regard masculin.
En soit, cela n’a rien de surprenant. Pendant longtemps, le porno a été considéré comme l’apanage des hommes. En France, selon un sondage sur « la vie sexuelle des Françaises en 2019 », 47% des femmes affirmaient avoir déjà été sur un site pornographique, contre 97% chez les hommes. Le résultat est là : les films porno mainstream sont réalisés par des hommes donc selon le male gaze, à l’intention d’un plaisir très phallocentré. Les performeurs masculins sont généralement des corps sans visages, tandis que les femmes sont affichées en gros plan sous toutes les coutures, et dans la plupart des vidéos mise en position d’objet de plaisir pour l’homme. Or, face à ce manque de représentation, certaines femmes ont trouvé une solution : se tourner vers le porno gay.
La popularité d’un tagMais le goût des femmes pour le porno gay est-il anecdotique ? Loin de là, si l’on en croit les statistiques de ces dernières années. En 2014, PornHub dévoilait dans ses statistiques que le tag « Gay (male) » était le deuxième plus consommé par les femmes sur sa plateforme. Une tendance qui s’est confirmée année après année, notamment avec une étude menée en 2018 par l’University of Leicester en Grande-Bretagne, et qui est la preuve d’un véritable engouement… Sous couvert d’un certain tabou, car les femmes ont parfois beaucoup de mal à admettre regarder du porno gay, mettant en scène uniquement des hommes.
« Franchement, quand j’ai réalisé que les vidéos mettant en scène deux mecs m’excitaient plus que le porno hétéro, je me suis posé plein de questions », confie Margaux, 30 ans. « Ce n’est pas le genre de choses que j’osais évoquer avec mes copines, et encore moins avec mon mec… Alors que le fait qu’il regarde du porno lesbien ne m’a jamais choquée ! » Pour la sexologue et conseillère en santé sexuelle Claire Alquier, ce double standard n’est pas si étonnant : « Ce n’est pas fréquent de l’entendre dire, alors que manifestement, c’est courant, puisque cela ressort dans plusieurs études. On en parle peu, peut-être parce que cela n’a jamais été considéré comme un fantasme « classique » pour les femmes. Là où il est tout à fait normal pour les hommes de regarder du porno lesbien, sans que cela ne remette en question leur orientation sexuelle, le fait que des femmes puissent prendre du plaisir devant du porno gay n’est souvent même pas envisagé comme une possibilité. Il y a une considération normative qui est très forte à ce niveau-là. »
« Hot twink and jock in locker room »La preuve avec le témoignage de Julien, 24 ans, qui a récemment découvert l’attrait de sa compagne pour le porno gay : « Au début, je n’ai pas compris l’intérêt qu’elle pouvait y trouver, et je me suis même posé pas mal de questions. Est-ce que je ne lui suffisais pas ? Est-ce qu’elle rêvait de me voir avec un homme ? On en a discuté, et quand elle a pointé du doigt le fait que je regardais sans complexe du porno lesbien, au début, je n’ai pas trouvé ça comparable. Alors qu’en y réfléchissant, c’est exactement la même chose… »
Une volonté de se dissocier de l’image« Il est difficile pour une femme de trouver un porno hétéro qui soit satisfaisant », regrette la sexologue. Il faut bien l’avouer : sur les tubes, les scènes sont généralement marketées à destination des hommes, dans le porno hétéro comme la majorité du porno lesbien. Difficile alors pour certaines femmes d’y trouver un intérêt, ou même tout simplement de s’y reconnaître. « J’imagine qu’une femme qui voit deux hommes – ou plus d’ailleurs – avoir des relations sexuelles n’a pas de projection possible, car les corps ne sont pas les mêmes », précise Claire Alquier.
Parfois, dans la pornographie, l’image renvoyée par les femmes n’est pas celle à laquelle les consommatrices de films pour adultes veulent s’identifier, d’où leur volonté de se tourner vers des corps qui ne leur ressemblent pas. Et donc, en l’occurrence, des corps masculins. C’est en tout cas la raison pour laquelle Mélissa préfère ce genre de scènes : « Le porno gay me plaît dans le sens où ça m’est totalement extérieur. Quand je regarde du porno lesbien ou hétéro, il y a une partie qui joue sur l’identification, sur le « Si j’étais à leur place » qu’on ne retrouve pas dans le porno gay. C’est ça qui me plaît : une partie de jambes en l’air où je ne peux être que spectatrice. » Un côté spectateur qui avait d’ailleurs été évoqué dans le monde de la pop culture dans la série Sense8, avec des scènes ou Daniela se masturbe en regardant et en filmant le couple gay formé par Lito et Hernando.
Pour Claire Alquier, ce rapport aux corps est l’une des principales raisons qui fait que les femmes s’intéressent tant au porno gay : « L’image à laquelle on est confrontée n’est pas à même de nous rappeler une situation vécue, par rapport aux corps comme aux pratiques. Car c’est ça qui est difficile avec le porno mainstream, c’est que la vision de la femme est particulièrement normée, des rapports qui n’ont parfois pas l’air plaisant, ni même consentis. Des rapports où la femme est dans une situation de soumission, voire d’humiliation. Ce sont des jeux qui sont totalement acceptables à partir du moment où les pratiques sont consenties, mais comme les spectateurs et spectatrices ne sont pas forcément au courant de ce qui a été « consenti » à l’avance, et que l’on sait qu’il y a eu des dérives sur certains tournages, je pense qu’il y a beaucoup de femmes qui ont du mal à regarder ce genre d’images, car elles peuvent être potentiellement violentes. Le fait de regarder deux hommes leur évite de se projeter, et donc aussi bien de complexer que de se sentir en danger. » Le côté « spectatrice » permet donc à ces dernières de se protéger d’une scène qui pourrait les faire complexer, ou leur rappeler de mauvais souvenirs.
Extrait des données Pornhub 2017 « Girls who like boys who like boys » Une autre forme de plaisirMais la volonté de se dissocier de l’image ne fait pas tout dans l’engouement des femmes autour du porno gay. « C’est difficile d’apporter une réponse qui ne fasse pas vérité immuable, parce que chaque femme est différente et peut voir un intérêt différent à ce type de pornographie », affirme la sexologue. « Je pense qu’il y a aussi quelque chose de l’ordre de la curiosité, pour commencer. Une forme de fascination aussi, car c’est quelque chose de très différent de ce qu’elles ont l’habitude de vivre. » Une différence liée au fait de ne pas pouvoir s’y reconnaître : « Cette espèce de « neutralité » permet d’accéder à une autre forme de plaisir, de regarder différemment le plaisir masculin. »
Et c’est justement cette autre forme de plaisir qui a su séduire Émilie, grande consommatrice de porno mettant en scène uniquement des hommes : « Ça paraît souvent moins « fake », moins simulé », estime-t-elle. « On a ce sentiment que l’excitation est vraiment présente, notamment avec les sexes en érection, mais il y a aussi ce côté où les hommes en font moins des caisses. Dans le porno hétéro mainstream, les femmes ont toutes le même modèle de geignement, et ça me coupe le plaisir. » Lucy est également attirée par le côté « sonore » du porno gay : « Si les gémissements de femmes ne me font ni chaud ni froid, un mec qui grogne, qui gémit, qui parle… Ça me rend folle de désir. Alors forcément, je trouve plus facilement ce que je cherche dans le porno gay. » Un son et un visuel différent, aussi, ainsi que le rappelle Émilie : « J’aime la bite, plus j’en vois, plus ça me plaît. Et j’aime l’anal. Donc forcément, le porno gay, ça me parle. » Aussi simple que ça.
Quand une femme porte un pantalon, c’est normal. Quand un homme porte une jupe, c’est un travesti. Pourquoi le mot «travestissement» ne s’applique-t-il qu’aux hommes ? La réponse dans un ouvrage qui parle pêle-mêle de saints à seins et des Cendrillons à moustache.
Le monde est injuste : alors que les femmes peuvent sans problème emprunter des vêtements aux hommes, les hommes en robe se font regarder de travers. De cette anomalie, la chercheuse Elizabeth Fischer fait la matière d’une petite enquête aux origines du pantalon. Mais de quand date ce vêtement ? Et pourquoi les femmes peuvent-elles le porter sans passer pour des «perverses» ? Son article est le premier d’une série de recherches rassemblées sous le titre Travestissements. L’ouvrage, dirigé par Anne Castaing et Fanny Lignon réunit les travaux d’historiennes ou d’anthropologues sur des sujets aussi variés que l’histoire d’un moine du XIIe siècle appelé Joseph mais (de son vrai nom) Hildegonde et la description de drag-comédies TV brésiliennes. Chaque chapitre offre l’occasion de rappeler cette vérité : que les vêtements sont des signaux codés et que les codes fluctuent dans l’espace/temps. Prenez la robe, par exemple : jusqu’au XVIe siècle, en France, c’est un vêtement masculin aussi bien que féminin.
La robe comme vêtement pour homme ?
«Jusqu’au XIVe siècle, hommes et femmes portent une même robe longue (cotte) descendant jusqu’aux pieds, et couverte d’un vêtement long de dessus (surcot, houppelande). À l’origine, le terme «robe» désigne un long vêtement couvrant, porté indifféremment par les deux sexes.» Cette robe, bien sûr, n’est pas ajustée de la même manière. A partir du XIIIe siècle, les hommes la portent avec une ceinture sur les hanches, alors que les femmes portent une robe serrée à la taille ou sous la poitrine. Au XIVe siècle, la tenue raccourcie des combattants, conçue pour ne pas gêner les mouvements, généralement portée sous une armure, est adoptée comme «tenue de cour» par les nobles qui s’exhibent en pourpoints courts et en chausses. Cette mode du vêtement «bifide», très ajusté aux fesses, rembourré à l’entrecuisse, se répand parmi les hommes : plus seyant.
Noblesse d’épée, noblesse «de robe»
L’ancêtre du pantalon n’est d’abord réservé qu’aux gens d’arme, bien sûr. Pour les personnes exclues du métier de la guerre – les femmes, les clercs, les prélats, les administrateurs – la robe reste de mise et jusque de nos jours ainsi qu’en témoignent certaines tenues portées par les avocats ou les universitaires. Longtemps, le mot robe reste d’ailleurs associé au prestige et à l’honneur d’une fonction. Elizabeth Fischer cite pour preuve ces expressions toujours en usage dans la langue française – «gens de robe», «charge de robe» – pour désigner les magistrats et les avocats. A partir de la Renaissance, cependant, la «silhouette bifurquée» s’impose comme une forme de géométrie virile (suivant la belle expression de Georges Vigarello), marquant avec ostentation le masculin comme bastion de la force. Au XIXe siècle, alors que le partage des rôles s’accentue, la «syntaxe vestimentaire» oppose de façon radicale des mâles moulés dans des uniformes ultra-collants et des femelles aux jambes dissimulées sous les multiples couches duveteuses de leurs crinolines.
Les femmes ont TOUT pris aux hommes…
Avec l’entrée graduelle des femmes sur le marché du travail, et sous l’influence du sport, tout change. D’abord en jupe-culotte, puis en pantalon, les femmes s’approprient peu à peu l’intégralité du vestiaire masculin : pull-over, T-shirt, smoking, bottes, training… Dans les supermarchés, aucune pièce de vêtement masculin n’est refusée aux femmes. Le contraire n’est pas vrai. Il n’existe dans la penderie des hommes aucune pièce empruntée à la garde-robe féminine. Pas de quoi se réjouir, assène Elizabeth Fischer. Il serait naïf de croire que les femmes ont de la chance, comparées aux hommes. «Le féminin peut emprunter au masculin, alors que le contraire est moins bien toléré socialement, voire rejeté. Si les fillettes peuvent porter du bleu, pourquoi les petits garçons ne peuvent-ils être vêtus de rose ?» Réponse : parce que les filles sont encouragées à s’approprier les attributs masculins, «dans une visée d’empowerment», alors que les garçons sont, au contraire, invités à rejeter le féminin, perçu comme un affaiblissement.
… parce que la société place le bien du côté de l’homme
Un pantalon rend la femme forte. Une jupe avilit et dégrade l’homme. Pour le dire autrement : le masculin est une qualité, le féminin un défaut. Voilà ce que signifie le fait qu’on perçoive l’homme en robe comme «travesti» (transgressif) et la femme en pantalon comme… une femme (normale).
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A LIRE : Travestissements. Performances culturelles du genre, sous la direction d’Anne Castaing et Fanny Lignon, Presses Universitaires de Provence, 2020.
ILLUSTRATION : Place de la Concorde (8e), les Parisiennes adoptent la mode du pantalon lancée par Marlène Dietrich, années 1930. Photo : Keystone-France
Quand une femme porte un pantalon, c’est normal. Quand un homme porte une jupe, c’est un travesti. Pourquoi le mot «travestissement» ne s’applique-t-il qu’aux hommes ? La réponse dans un ouvrage qui parle pêle-mêle de saints à seins et des Cendrillons à moustache.
Le monde est injuste : alors que les femmes peuvent sans problème emprunter des vêtements aux hommes, les hommes en robe se font regarder de travers. De cette anomalie, la chercheuse Elizabeth Fischer fait la matière d’une petite enquête aux origines du pantalon. Mais de quand date ce vêtement ? Et pourquoi les femmes peuvent-elles le porter sans passer pour des «perverses» ? Son article est le premier d’une série de recherches rassemblées sous le titre Travestissements. L’ouvrage, dirigé par Anne Castaing et Fanny Lignon réunit les travaux d’historiennes ou d’anthropologues sur des sujets aussi variés que l’histoire d’un moine du XIIe siècle appelé Joseph mais (de son vrai nom) Hildegonde et la description de drag-comédies TV brésiliennes. Chaque chapitre offre l’occasion de rappeler cette vérité : que les vêtements sont des signaux codés et que les codes fluctuent dans l’espace/temps. Prenez la robe, par exemple : jusqu’au XVIe siècle, en France, c’est un vêtement masculin aussi bien que féminin.
La robe comme vêtement pour homme ?
«Jusqu’au XIVe siècle, hommes et femmes portent une même robe longue (cotte) descendant jusqu’aux pieds, et couverte d’un vêtement long de dessus (surcot, houppelande). À l’origine, le terme «robe» désigne un long vêtement couvrant, porté indifféremment par les deux sexes.» Cette robe, bien sûr, n’est pas ajustée de la même manière. A partir du XIIIe siècle, les hommes la portent avec une ceinture sur les hanches, alors que les femmes portent une robe serrée à la taille ou sous la poitrine. Au XIVe siècle, la tenue raccourcie des combattants, conçue pour ne pas gêner les mouvements, généralement portée sous une armure, est adoptée comme «tenue de cour» par les nobles qui s’exhibent en pourpoints courts et en chausses. Cette mode du vêtement «bifide», très ajusté aux fesses, rembourré à l’entrecuisse, se répand parmi les hommes : plus seyant.
Noblesse d’épée, noblesse «de robe»
L’ancêtre du pantalon n’est d’abord réservé qu’aux gens d’arme, bien sûr. Pour les personnes exclues du métier de la guerre – les femmes, les clercs, les prélats, les administrateurs – la robe reste de mise et jusque de nos jours ainsi qu’en témoignent certaines tenues portées par les avocats ou les universitaires. Longtemps, le mot robe reste d’ailleurs associé au prestige et à l’honneur d’une fonction. Elizabeth Fischer cite pour preuve ces expressions toujours en usage dans la langue française – «gens de robe», «charge de robe» – pour désigner les magistrats et les avocats. A partir de la Renaissance, cependant, la «silhouette bifurquée» s’impose comme une forme de géométrie virile (suivant la belle expression de Georges Vigarello), marquant avec ostentation le masculin comme bastion de la force. Au XIXe siècle, alors que le partage des rôles s’accentue, la «syntaxe vestimentaire» oppose de façon radicale des mâles moulés dans des uniformes ultra-collants et des femelles aux jambes dissimulées sous les multiples couches duveteuses de leurs crinolines.
Les femmes ont TOUT pris aux hommes…
Avec l’entrée graduelle des femmes sur le marché du travail, et sous l’influence du sport, tout change. D’abord en jupe-culotte, puis en pantalon, les femmes s’approprient peu à peu l’intégralité du vestiaire masculin : pull-over, T-shirt, smoking, bottes, training… Dans les supermarchés, aucune pièce de vêtement masculin n’est refusée aux femmes. Le contraire n’est pas vrai. Il n’existe dans la penderie des hommes aucune pièce empruntée à la garde-robe féminine. Pas de quoi se réjouir, assène Elizabeth Fischer. Il serait naïf de croire que les femmes ont de la chance, comparées aux hommes. «Le féminin peut emprunter au masculin, alors que le contraire est moins bien toléré socialement, voire rejeté. Si les fillettes peuvent porter du bleu, pourquoi les petits garçons ne peuvent-ils être vêtus de rose ?» Réponse : parce que les filles sont encouragées à s’approprier les attributs masculins, «dans une visée d’empowerment», alors que les garçons sont, au contraire, invités à rejeter le féminin, perçu comme un affaiblissement.
… parce que la société place le bien du côté de l’homme
Un pantalon rend la femme forte. Une jupe avilit et dégrade l’homme. Pour le dire autrement : le masculin est une qualité, le féminin un défaut. Voilà ce que signifie le fait qu’on perçoive l’homme en robe comme «travesti» (transgressif) et la femme en pantalon comme… une femme (normale).
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A LIRE : Travestissements. Performances culturelles du genre, sous la direction d’Anne Castaing et Fanny Lignon, Presses Universitaires de Provence, 2020.
ILLUSTRATION : Place de la Concorde (8e), les Parisiennes adoptent la mode du pantalon lancée par Marlène Dietrich, années 1930. Photo : Keystone-France