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Que devrait-on autoriser et interdire dans la réalisation des films porno ? Interdire les déviances ? Qu’est-ce qu’une déviance ? Comment définir ce que l’on pourrait appeler le “sexuellement correct” ? Suite à ces questions posées dans mon dernier article, vous avez été nombreux à poster vos commentaires, et je vous en remercie. Je tiens à préciser que j’avais centré la question sur la diffusion télé puisqu’un cahier des charges précis est établi pour la diffusion des films X alors que le contenu destiné uniquement au web et au marché DVD est beaucoup moins contrôlé ou censuré. Néanmoins, la question reste la même pour l’ensemble des films X : quand commence le sexuellement incorrect ?
1- Que faut-il interdire dans le porno ?
Parmi vos réactions j’ai pu distinguer quatre réponses principales. Il faudrait donc interdire de diffuser :
- Ce qui est illégal et ne correspond pas à la culture du pays
Commentaire d’Al : “Les scènes de « pseudo viol » devraient être interdites.” Pourtant, les scènes de viol n’étaient pas rares dans les porno des années 70. En revanche, il est vrai que le porno de l’époque ne comportait pas d’actes de violence évidents. Nous pouvions assister à la mise en scène d’une femme agressée et contrainte mais, de ce que j’ai pu voir, elle finissait par s’abandonner à l’assaut de ses agresseurs, submergée par le plaisir. Nous étions alors dans l’image d’un viol fantasmé, idéalisé. Nous avons aujourd’hui des scènes porno où le but est d’exercer de manière flagrante une contrainte physique et mentale sur l’actrice. Son personnage et sa personne ne semblant plus dissociés. Si elle a au préalable accepté de jouer ce jeu et qu’elle y trouve éventuellement du plaisir, le fait est que l’acte sexuel est montré dans sa violence du début à la fin. Tourné de manière réaliste, le porno brouille les pistes et semble sortir de la fiction pour se rapprocher de la vidéo-docu. Argument imparable pour séduire l’audience qui a envie d’y croire, mais dangereuse puisque le fantasme devient réel, au risque de paraître criminel.
Pierre : “Le problème de la loi, c’est qu’elle doit être la même pour tous. Elle ne peut donc prendre en compte l’avis ou les pratiques de chacun et s’adapter. Il n’y a pas de loi ‘à la carte’. Quelqu’un de très libre et très ouvert trouvera ces contraintes insupportables, rétrogrades, désuètes. Un exemple : le bondage à la japonaise (kinbaku, ou Shibari) a une dimension esthétique au Japon. Cette pratique pourrait choquer certains esprits rigoristes en occident. Qui a raison ?” Et en effet, la loi repose forcément ici sur des repères moraux mais ceux-ci évoluent en fonction de la société, de sa culture. Rendre illégal ce qui est « mal » ? Mais qu”est-ce qui est vraiment mal en matière de sexualité ? C’est la deuxième réponse que vous avez apportée…
- Ce qui est « gore, dégueulasse »
Rachel : « Il faut interdire tout ce qui est gore.. la déviance c’est… les zinzins lol »
Opale : “A partir du moment où on voit une femme qui est dégoulinante de sueur et de salive avec son maquillage qui a coulé, qu’elle se fait retourner dans tous les sens sans sourire, en haletant… comme un objet quoi et idem pour l’homme… Là c’est plus montrable.”
Louisa : « Les pratiques citées (en tête du premier article) ne sont pas des déviances puisque la plupart d’entre nous les pratiquons hormis l’éjaculation qui n’est pas à la portée de toutes. » Ceci reste très subjectif. D’autre part cela signifierait-il que la majorité fait nécessairement le « bien » ?
Silvène : « Mais l’éjaculation féminine dégrade aussi la femme ?? » (en réaction à la censure des éjaculations féminines par la télévision anglaise)
Pierre : “Pour le X, la limite pourrait être de ne pas montrer ce qui est réellement dégradant. Mais comment le définir ?”
Nous voyons bien à travers ces quelques commentaires à quel point la définition d’une déviance nous est personnelle et dépend de notre propre sexualité. Or il importe de trouver ici une définition valable pour la communauté. Keithmars repose à mon avis la question avec justesse : “Le porno semble pris à mi-chemin entre le documentaire d’information et le film de fiction, il est bâtard, et on voudrait appliquer au film de fiction qu’est le porno les règles éthiques qui régissent les docu à valeur informative et/ou éducative.” On rejoint ici la même problématique de ce qui doit être légal ou non.
- Ce qui ne prodigue pas de plaisir évident
Anne-So : “Je pense que dès que les partenaires ‘s’aiment’ le temps de la scène ou au-delà tout peut être tenté…!”
Kevin : “Ça devient incorrect à partir du moment où l’un des deux protagonistes n’éprouve aucun plaisir et subit les ardeurs du partenaire.”
Cereales Gigolo : “L’interdit tourne autour de l’argent. Proposer une petite somme à une femme qui n’a pas d’argent pour lui mettre ‘la misère’, à elle, sa dignité et son envie, ça devrait être interdit.” Oui, mais il faut aussi admettre que toutes les actrices ne sont pas des femmes soumises et exploitées et que beaucoup tirent du plaisir de leur métier. La vraie question que je pose touche la diffusion en images de formes de sexualités, pas ses motivations.
Antoine Gael : “Ce qui est intéressant, c’est la dédramatisation totale de ce que l’on vient de voir quand les acteurs commentent. Ce qui pouvait sembler totalement “déviant” ou trop extrême se révèle beaucoup plus comme un jeu, et donc beaucoup plus acceptables. On ne ferait pas la même chose soi-même (enfin, pas tout !) mais on comprend et on apprécie de voir que ceux qui « subissaient » l’ont fait avec plaisir et en ont retiré du plaisir… » Voilà un véritable élément de réponse. On accepte en effet que le porno nous piège par son réalisme mais on demande qu’il nous rassure en jouant de son côté film-docu.
- Il ne faut pas d’interdit. Sinon le film porno n’a plus de sens.
Darklinux : « Si ont interdit les déviances dans un porno, celui ci n’a plus aucun intérêt ; la déviance ? basiquement, tout ce que la ‘morale’ réprouve, mais je veux des films épicés. »
Guillaume : “(…) Il faudrait tabler sur le plus petit dénominateur commun pour arriver à une production consensuelle, autrement dit : un produit aseptisé ! (…) C’est un genre qui est déjà soumis à forme de censure (par rapport à l’âge). Pourquoi vouloir en plus restreindre le champ des possibles ? Ça n’a pas de sens !”
2- Le porno, une affaire d’adultes
On pourrait se contenter de dire que libre à chacun de disposer de son corps et donc de sa sexualité, que la seule limite serait le non-consentement de l’autre ; c’est le discours que j’aime avancer le plus souvent. Cependant, on se rend bien compte que ce n’est pas si simple. Car si le porno est immoral et provocateur par essence, que la clé de son succès réside aussi ici dans cette part d’ombre, de tabous et d’interdits, il est aussi un produit qui se commercialise, s’échange, se regarde, se partage… et parfois se pratique. Que les films porno puissent influencer les nouvelles générations pour leur éducation sexuelle, qu’ils soient accidentellement exposés aux yeux d’un public trop jeune ou non averti (essentiellement par le web et son contenu gratuit) n’est cependant pas le centre de ma question.
C’est un fait : nous ne tournons pas les films X pour les enfants. Lorsque je tourne une scène porno je ne suis pas en train de me demander si la scène sera demain piratée et exposée à la vue d’un mineur. Je pense à mon public qui a fait la démarche de regarder ma vidéo pour répondre à un besoin précis, celui de fantasmer, de se masturber et si possible, de jouir. Mais c’est aussi un fait, le contenu porno et sa diffusion sont difficilement contrôlables et il peut être vu par le mauvais public, pouvant créer de mauvaises interprétations, laisser potentiellement des séquelles. C’est un fait et c’est regrettable. Le cinéma et en particulier les fictions ont pour intérêt de pouvoir tout raconter puisqu’ils ont par définition une distance à la réalité, mais ils sont piégés par leur pouvoir de séduction : ils influencent. Or le porno est sans doute le genre cinématographique (j’utilise plus ce terme comme terme de classification que comme revendication à appartenir au 7e art) le plus réaliste, il ne bluffe pas, l’acte sexuel a lieu.
Je vous avoue une chose, je ne regarde que très rarement mes scènes. Me regarder ne m’excite pas, je suis critique, je ne vois que les défauts et je les vois nombreux. Et puis il y a quelques années, j’ai eu la curiosité d’en regarder certaines. On m’avait fait remarquer ma réputation très « hardcore » et j’étais sincèrement tombée des nues. Je ne comprenais pas pourquoi. J’ai donc décidé de vérifier par moi-même. J’avais d’excellents souvenirs de toutes ces scènes alors tournées aux Etats-Unis. Chacune se terminait par un grand éclat de rire, des remerciements. Mes partenaires se préoccupaient toujours de mon bien-être et nous nous quittions épuisés, souriants, ravis d’avoir travaillé ensemble, nous séparant avec un « A la prochaine » et une bise amicale. J’ai regardé ces scènes et j’ai ressenti un sentiment étrange. Mais je vous garde ces confidences pour la prochaine fois…
Katsuni
A suivre : “Dans la peau d’une actrice porno… De la différence entre vivre le sexe et le regarder”
Photo : “Enter The Void” de Gaspar Noé
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