Virginia Johnson et William Masters – 1970
Attention, cet article contient inévitablement des spoilers de l’excellente série américaine Masters of Sex, dont la deuxième saison vient d’être diffusée aux Etats-Unis. Mais cela ne devrait en rien vous gâcher le plaisir de la regarder !
William Masters et Virginia Johnson sont de véritables pionniers de la sexologie qui dans les années 60 et 70 ont révolutionné ce domaine, jusque là boudé par le monde scientifique, en concentrant leurs travaux sur le plaisir sexuel.
Ils se rencontrent en 1956 lorsque Virginia devient la secrétaire du docteur Masters, gynécologue (déjà) réputé pour ces travaux obstétriques, à l’Hôpital Universitaire de Saint-Louis. Virginia est alors une mère célibataire de deux enfants, qui a jusqu’ici gagné sa vie comme chanteuse de night-clubs.
Féministe, indépendante, libérée (plus tard elle même confiera « J’aimais pouvoir être tout ce qu’un homme voulait que je sois »), Virginia est aussi intelligente et agile, et passe rapidement du statut de secrétaire à celui d’assistante du docteur Masters, s’investissant de plus en plus dans les recherches de celui-ci autour de l’orgasme. Sujet que Masters étudie en réalité depuis 2 ans déjà au moment de leur rencontre, après avoir été piqué dans sa curiosité par la publication, d’abord en 1948 du premier « Rapport Kinsey » Sexual Behavior in the Human Male puis en 1953 du second recensement de Kinsey intitulé Sexual Behavior in the Human Female.
Le sujet reste bien sûr pour l’époque, et plus encore pour l’Amérique puritaine, totalement tabou, et Masters fait appel en premier lieu à des prostitués, afin d’étudier leur réactions physiologiques durant le coït. Mais dès que l’étude s’ébruite, le recours aux prostituées est mis en avant pour en décréditer les résultats, prétextant que leur métier les amène à fournir des réponses physiques « automatiques ».
C’est Virginia qui rapidement saura amener des étudiants et des membres de l’hôpital à devenir les cobayes de cette recherche, sous couvert d’anonymat. Contre rémunération, les participants vont soit se masturber soit faire l’amour avec un autre « anonyme », le corps couvert de matériel médical et en présence des deux chercheurs. Au total ce sont quelques 10 000 accouplements in vivo sur 694 individus – 382 femmes et 312 hommes, dont 276 couples mariés – qui vont être observé par le duo au cours de ses 10 premières années d’études.
Ensemble, ils ont mis au point les prémices de la thérapie sexuelle, toujours utilisés aujourd’hui. Au fils des recherches le duo, devenu eux-mêmes sujets de leur étude puis amants et enfin mari et femme, fait des découvertes révolutionnaires, dont les plus célèbres sont qu’il n’y a pas pour les femmes, un orgasme vaginal qui serait une bonne chose (selon Freud) et un clitoridien qui serait mauvais, que la femme est plus apte que l’homme à avoir plusieurs orgasmes (le fameux orgasme multiple), que la longueur du pénis n’a aucune incidence sur la capacité d’un homme à satisfaire sa partenaire et qu’il est tout à fait normal pour les personnes âgées peuvent d’avoir une sexualité active. Grâce à leurs études, Virginia et William établissent également que, pendant l’amour, les êtres humains passent par un cycle sexuel composé de quatre étapes (phase d’excitation, phase en plateau, orgasme et enfin, résolution).
Surtout ils permettent au mouvement féministe une formidable avancée, puisque leur travail anatomique donne aux femmes un droit à l’autodétermination de leur plaisir. Établissant que l’enjeu de l’acte sexuel n’est pas qu’un homme prenne son plaisir sur une femme, Masters et Johnson ont prouvé que les femmes pouvaient jouir seules, et ont de fait remis en question le pouvoir viril comme condition sine qua non du plaisir féminin, ce qui n’était pas tolérable à l’époque.Leurs trouvailles choquent autant le pays que le corps médical qui assimile leur étude de la sexologie à une forme de pornographie, et Masters doit mener un vrai combat pour poursuivre ses travaux.
En 1964, finalement congédiés de l’hôpital Universitaire de Saint-Louis, et désireux de prendre leur indépendance, ils fondent leur propre institut, toujours à Saint-Louis, d’abord baptisé the Reproductive Biology Research Foundation, le centre devient en 1976 le Masters and Johnson Institute. Ils y proposent notamment un programme pour résoudre les troubles sexuels des couples, une thérapie expresse en deux semaines, basée sur la communication entre les 2 partenaires pour laquelle ils affirment obtenir un taux de 80% de réussite. Sur le fond, l’essentiel du processus d’accompagnement des couples est centré sur une « focalisation sensorielle » du langage corporel – le fameux sensate focus – étape cruciale de réadaptation à la fois affective et comportementale. La sexothérapie voit ainsi le jour. Avant cela le seul « traitement » aux problèmes de couple était la psychanalyse individuelle, et encore il était généralement admis que les problèmes inhérents à la sexualité devaient se régler dans la chambre uniquement. Deux ans après l’ouverture de leur institut, les cliniques de thérapies sexuelles prolifèrent à travers tout les Etats Unis.
En 1966, après douze années de compilation d’observations cliniques et d’explorations para cliniques de l’excitation sexuelle et de l’orgasme, d’expérimentations et d’interviews, la publication de leur livre, Human sexual response, est un best-seller aux Etats-Unis, tant au niveau critique que public. Grâce à leur capacité à mêler vérités scientifiques et conseils accessibles, les grands médias s’intéressent à Masters et Johnson et aux thèses qu’ils défendent. William et Virginia s’exprime également dans les médias, et publient notamment à plusieurs reprises pour le magazine Playboy. Virginia a par ailleurs amené leur travail jusque sur les plateaux de télévision, via le « NBC’s Today show » et le « ABC’s stage’67 ».
Leurs travaux sur l’homosexualité divisèrent grandement en revanche, et ce tant chez les anti que chez les défenseurs de la cause homosexuelle. Dans leur livre, Homosexuality in Perspective, paru en 1974, ils expliquent avoir aidé 84 patients gays dans leurs problèmes sexuels. Mais ils racontent aussi en avoir traité 67, «à leur demande», pour les aider à «redevenir» hétéro. Avec, comme ils le racontent, un succès tout relatif (un tiers). Dans la réalité, s’ils n’étaient pas des défenseurs acharnés de la cause homosexuelle, ils n’avaient rien contre non plus. Mais Virginia reconnaîtra par la suite, et ce bien après le décès de Masters qu’elle n’était elle même pas convaincue par leur résultat dans la « reconversion » des patients homosexuels.
A propos du virus du sida, là encore leurs études comportent des erreurs, qui leur valurent de nombreuses critiques. Dans leur ouvrage Crisis: Heterosexual Behavior in the Age of AIDS, pourtant écrit en collaboration avec un spécialiste du sujet, ils jugent que la maladie peut se contracter de multiples façons, comme par exemple par des lentilles de contact infectées ou une salade préparée par un séropositif dans un restaurant.
Même si leurs noms resteront éternellement liés par leur oeuvre, le couple divorça à l’amiable en 1993, après vingt ans de mariage. William Masters a alors 77 ans. Durant plus de 20 ans, des années 70 à 90, ils furent ensemble l’auteur le plus cité au monde.
En 2001 William Masters décède des suites irrémédiables de sa maladie de Parkinson, à l’âge de 85 ans. Le New York Times écrira alors à son sujet « Le docteur Masters a dédié plus d’un demi-siècle de sa vie à observer, mesurer, pondérer et démythifier les mécanismes de la relation sexuelle et il a déterminé comment améliorer l’expérience sexuelle pour les couples qui pensaient que le plaisir était inatteignable ».
Après le décès de Masters, Virginia entreprend de témoigner de leurs années d’étude ainsi que de leur vie commune auprès de Thomas Maier, qui publiera en 2009 la biographie du couple sous le titre Masters of Sex: The Life and Times of William Masters and Virginia Johnson, the Couple Who Taught America How to Love. Le scénario de la série Masters of Sex repose entièrement sur cette biographie.
Virginia Johnson quant à elle s’éteindra en février 2013, à l’âge de 88 ans, l’année même où la première saison de la série sera diffusée…
Mickael Sheen et Lizzi Caplan, dans la série Masters of Sex – 2013
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