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Pour que des femmes de classes supérieures puissent prétendre à l'égalité professionnelle avec les hommes, et que les couples puissent résoudre l'inégale répartition des tâches domestiques, d'autres femmes moins favorisées deviennent travailleuses domestiques. A Paris comme à New York ou à Londres, elles sont souvent migrantes et laissent leurs propres enfants au pays pour venir prendre soin de ceux des autres. Elles sont nounous, font le ménage ou s'occupent des personnes âgées dépendantes. Leurs voix participent pleinement de notre compréhension de la division sexuelle et raciale du travail domestique.
Un podcast à soi par Charlotte Bienaimé, le premier mercredi du mois. En partenariat avec le mensuel Causette.
Avec :
Patricia et Mirabelle
Rose Myrlie Joseph, docteur études de genre à l’université de Lausanne et en Sociologie à l’université Paris 7.
Caroline Ibos, docteur en science politique, maître de conférences à l'université de Haute Bretagne (Rennes 2)
Textes :
« Chanson Douce » Leïla Slimani - « Qui gardera nos enfants - les nounous et les mères » Caroline Ibos - « Sister outsider » Audre Lorde - « Zami » Audre Lorde
Remerciements :
Jules Falquet, Zita Cabais Obra, Sylvie Fofana
Lelo a trouvé une muse, et il s’agit d’Amber Rose. Au centre du dernier clip promo de la fameuse ligne de jouets pour adultes, la sculpturale model en profite pour détourner certaines des icônes les plus sensuelles du septième art. Un petit délire aussi ludique qu’érotique.
Masturbation is the safest sex in the world. Have fun! @lelo_official link in my bio #leloxamber
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« Pleasure for all ». C’est ce slogan en forme de bonne résolution que nous chuchote Lelo à l’oreille. Amber Rose n’y est pas insensible et n’hésite jamais à le dire, sur Instagram par exemple, où elle s’extasie à l’occasion sur le modèle Lelo Sona (« bouleversant d’un point de vue clitoridien« ), ou au gré de divers partenariats bien sentis (le temps de sa SlutWalk à Los Angeles, événement prônant l’émancipation sexuelle). Récemment, la diva mondaine a joué à fond le jeu de la bimbo sulfureuse au gré d’un sexy spot limpide très feutré pourvu d’un message émouvant – « la masturbation est la forme de sexe la plus sûre au monde« .
Voyez plutôt : englobée dans un décor oscillant entre virginité blanche et perversion sombre, l’icône blond-platine s’empare le temps de quelques secondes des personnages de Catherine Trammel (Basic Instinct) et Marion Crane (Psychose). La scène du croisé de jambes de Sharon Stone (ou de Tori Black) et celle de la fameuse douche hitchockienne revisitées par Amber Rose, il fallait y penser. Le coup de la James Bond girl qui se sert d’un stimulateur clitoridien comme d’un flingue, aussi. On navigue dans le pur exercice de style parodique, à l’écrin très érotico-chic.
« The best sex i have is with myself » aurait un jour déclaré la star. Au vu de cette ode cinéphile à la masturbation féminine, on veut bien la croire sur parole.
Parce qu’il n’y a pas que Kim Kardashian dans la vie, c’est notre tendre Abella Danger que Kanye West a choisi pour incarner la sixième collection de sa ligne de fripes Yeezy. On dit OUI.
A post shared by abella danger (@dangershewrote) on Feb 3, 2018 at 3:25pm PST
On peut souffler de belles choses sur cette série de fringues. Sa promo, déjà. West a choisi de rendre hommage aux photos de sa dulcinée prises par les paparazzis pour illustrer son sens du stylisme. Un exercice de style ironique et narquois comme il faut. Mieux encore : son casting sulfureux. Aux côtés de Paris Hilton, les porn stars Abella Danger et Lela Star font office d’égéries. Un sacré coup marketing. « Le tournage a duré de huit à dix heures, c’était plus long que pour tourner des films pornos » déplore Danger à AVN, où l’on apprend que West aurait flashé sur le charisme de Danger en tombant sur une parodie estampillée Brazzers de son clip Fade. Résultat ? On est plutôt envoûté par ces photos fashion, leur lumière crue très homevideo, ce décor de parking un peu cracra sur les bords, la teneur fantasmagorique et borderline de la mystérieuse Abella, à la blondeur diaphane si irréelle.
#yeezyseason6 pic.twitter.com/YCxQ38LleG
— danger (@Abella_Danger) January 31, 2018
Mais il y a anguille sous roche. Selon le site spécialisé TheFashionLaw.com, évoqué par AVN, une campagne promotionnelle doit, suivant le FTC Act (une loi fédérale) explicitement s’affirmer comme telle – à coups de hashtags (type #ad), officialisant l’événement aux yeux du public sans faux semblant. Mais l’ambiguïté est plus ténue quand la principale source de communication publicitaire consiste à voir les modèles concernés balancer des photos random sur Twitter, sans vraiment préciser leur caractère marketing. « Il suffit qu’une minorité signifiante de consommateurs reste confuse face à la véritable nature d’une campagne pour que le campagne soit trompeuse » nous précise la loi fédérale. Oups.
#yeezyseason6 pic.twitter.com/D43pccF2yj
— danger (@Abella_Danger) January 31, 2018
Mais c’est justement là que réside tout l’intérêt de la chose. Les clichés viraux lâchés par Danger sur Twitter puisent leur force d’un formalisme séduisant : le côté « images volées« , cette transgression tranquille au caractère à la fois esthète et voyeuriste. D’un côté, la mise en scène, très élaborée, de l’autre, cette fausseté du « pris sur le vif ». Une spontanéité travaillée qui fait tout le charme de cette Abella Danger grimée en icône people. On like.
Voici une question sur le sexe anal qui semble triviale mais, comme d’habitude, pas tant que ça… Mais oui au fait, pourquoi se protéger avec un préservatif lors de sexe anal ? Très bonne question, regardons cela ensemble ! La réponse simple est : car la zone anale et les intestins contiennent beaucoup de germes. C’est…
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Saviez vous que le fameux film de Truffaut “Jules et Jim” est tiré d'un roman de Henri-Pierre Roché qui formait en 1915 avec Marcel Duchamp et Beatrice Wood un trio amoureux ? Adepte de l’amour libre, Duchamp n’était ni fidèle, ni jaloux.
Tout commence en 1916 : né dans une famille de petits rentiers parisiens, Henri-Pierre Roché (1879-1959), bourreau des coeurs notoire, peintre, écrivain et marchand d’art rencontre Marcel Duchamp dont il fera le portrait dans un roman à l’eau de rose inachevé (Victor) mais surtout le héros de Jules et Jim, qui raconte donc une histoire vraie. De fait, les deux hommes ont le «coup de foudre». «Le jour même de leur rencontre à New York, la légende veut que Roché ne tarde pas à appeler Duchamp “Victor” puis, trois heures plus tard, “Totor”. (1)» Quant à Henri-Pierre, il est appelé Hachepé par Duchamp, qui phonétise ses initiales. Pourquoi une telle amitié ?
La «métaphysique sexuelle» de Roché
Hachepé est un «tombeur», du genre révolté. Durant ses études à Paris, entre 1898 et 1900, Hachepé mène «une double vie au cours de laquelle il enterre sa vie de garçon avec une rouerie systématique en abusant d’annonces matrimoniales. C’est alors qu’il inaugure le procédé double de l’échange des partenaires (de ses trois maîtresses successives, deux passeront plus ou moins conventionnellement d’un camarade à l’autre) et du compte rendu épistolaire (amants et amantes, parfois à leur insu, font l’objet d’analyses écrites échangées), manipulation sentimentale qui restera une constante de sa vie. Il semble que ce soit là sa façon de se distancier tel un voyeur, par le ravalement de l’objet d’amour à un objet d’échange d’une part, à un objet d’étude d’autre part, de la duperie de la passion en même temps qu’une tentative de ressusciter sinon de réenchanter par l’écriture des fantasmes que leurs réalisations ont galvaudés. L’expérience est assez déstabilisante pour qu’en mars sa mère l’envoie quelques semaines en cure hydrothérapeutique à l’institut Sonnenberg de Carspach en Alsace.(2)» Ci-dessous : photo au miroir de Henri-Pierre Roché.
Amant-Pygmalion et échangiste
Loin de le calmer, cette cure renforce son désir de désordre. Henri-Pierre Roché fréquente des théoriciens de l’égalité entre les sexes qui luttent contre «l’aliénation de la femme par le mariage». Il lit Nietzsche et accumule les conquêtes, sans jamais cesser de tenir un journal «nihiliste» de ses bacchanales. «C’est une partie de ce journal qui a inspiré L’Homme qui aimait les femmes.» Bourreau des coeurs, il se fait le mécène des femmes artistes qu’il séduit (telle Marie Laurencin, qui deviendra la Marie bien-aimée d’Apollinaire), fréquente le Montmartre du Bateau-Lavoir (Max Jacob, André Salmon, Mac Orlan, Cendrars), prospecte les peintres (Picasso, Le Douanier Rousseau, Brancusi, Soutine, Braque…) avant d’être missionné aux Etats-Unis par le Haut-commissariat de la République française chargé d’encourager l’entrée en guerre des USA. C’est là qu’a lieu la rencontre avec Marcel Duchamp. M.D. est alors la coqueluche des élites à New York. Dans ses textes (notamment Écrits sur l’art), Roché le décrit comme «le français le plus connu avec Napoléon et Sarah Bernhardt (3)» et, surtout,«comme un sourcier innocent» qui agit sur ses amis «à la façon d’un aimant. Sa sagesse s’apparente à celle d’un Lao Tseu…(4)». Ci-dessous : photo au miroir de Duchamp.
Le refus de l’exclusivité sexuelle
Lorsque Roché rencontre Duchamp, celui-ci est connu pour refuser la notion de mariage monogame. Ainsi que l’explique Bernard Marcadé, son biographe : «de la même manière qu’il ne veut pas posséder de femmes, Duchamp ne veut pas posséder d’argent. Il ne veut pas être propriétaire. Il écrit à la fin de sa vie qu’il “veut vivre en locataire”. C’est assez révolutionnaire.» Roché le formule ainsi : «Il a besoin de femmes. Il n’a pas besoin d’une femme. Ni d’enfants. Il doit être seul, c’est un solitaire, un méditant, un penseur. C’est un prédicateur à sa façon. Il travaille pour une morale nouvelle.» La morale de Duchamp se situe à rebours des injonctions sociales propres au système bourgeois qui encouragent les individus à cumuler des possessions pour se donner de la valeur. Duchamp ne veut rien posséder : ni épouse, ni famille, ni maison, ni voiture… Lorsqu’il fait la connaissance de Beatrice Wood, le 27 septembre 1916, par l’intermédiaire d’Edgar Varèse qui s’est cassé le pied et dans la chambre d’hôpital duquel toute la gente artistique se succède, il éprouve, tout de suite, un fort penchant pour elle… ce qui ne l’empêche pas de la présenter à Roché qui devient le premier amant –l’initiateur– de la jeune femme.
Béa : fille de milionnaire en mal de liberté
Bea (Beatrice Wood) est une jeune fille de très bonne famille qui, refusant d’épouser un beau parti, a décidé de devenir peintre, céramiste et actrice. Elle a suivi des cours à Paris et joue les ingénues au théâtre. Duchamp est son premier amour : «Nous nous sommes aimés au premier regard, dit-elle dans ses Mémoires, mais cela ne veut rien dire parce que toutes les personnes qui rencontraient Duchamp tombaient amoureuses de lui. C’était un homme envoûtant.» Duchamp la fait entrer dans un univers où l’on méprise les valeurs bourgeoises. Lui-même s’amuse volontiers à prononcer des calembours pornographiques dans les salons où il est invité. Pour la belle Beatrice –en mal «de danger, d’aventure et d’amour»– cette rencontre fait l’effet d’un séisme : «Marcel me choquait, parce qu’il disait que le sexe et l’amour sont deux choses différentes»… Une fois passé le «choc», Bea se lie avec lui d’une amitié profonde –et qui perdurera toute la vie (5). Elle se veut «aussi proche [de lui] physiquement qu’elle l’était émotionnellement.» Ce qui suppose qu’elle soit tout aussi proche d’Hachepé. Pendant plusieurs années, ils sont inséparables.
Les femmes laides «font l’amour avec humilité»
Cette histoire de trio –une parmi bien d’autres– résume bien la philosophie de vie de Duchamp. Il refuse de s’arroger un droit exclusif sur les femmes, autant que de leur être «fidèle». Mieux : il préfère les femmes laides comme partenaires sexuelles. Pourquoi ? Par refus de participer aux combats de coq que suscitent toujours, dans les cercles virils, le désir d’être estimé en s’exhibant avec une beauté comme si c’était une montre de luxe… Beatrice Wood raconte : «Généralement, il me disait de venir ; si ce n’était pas le cas, j’en déduisais qu’une femme était avec lui. Il est vrai que Marcel excellait dans ce domaine, même si mes amis me disaient, en rigolant, que les amies femmes de Marcel étaient le plus souvent tout à fait communes. Plus tard, Marcel remarquera que les femmes peu attirantes faisaient mieux l’amour que les femmes belles.(6)» Peggy Guggenheim avait aussi remarqué ce trait caractéristique. On trouve dans le Journal de Michel Leiris ce propos : «Duchamp disait, paraît-il, qu’il aimait les femmes laides “parce qu’elles font l’amour avec humilité”.(7)»
Faire le choix d’une femme belle relève de l’onanisme
Pour Alain Boton, qui consacre 30 pages à la vie amoureuse de Duchamp dans son livre (Duchamp par lui-même, ou presque), il n’est pas anodin que celui-ci ait toujours accordé sa préférence à des femmes sans attraits. Faire le choix d’une femme belle relève de «l’onanisme qui est, chez Duchamp, la métaphore de l’amour-propre. L’onanisme est le plaisir que l’on se donne à soi-même. Par analogie, il représente l’amour que l’on se porte à soi-même, l’amour-propre. Ainsi il est un fait assez révélateur, c’est que Duchamp durant la période New-yorkaise de 1915, où c’était la teuf tous les jours, avait comme maîtresses le plus souvent des femmes laides. Alors qu’il était courtisé par de belles américaines canons. C’était sa manière à lui d’afficher ostensiblement son refus d’utiliser ses conquêtes comme signe de réussite dans le combat de coq que constitue toujours la séduction.» S’il faut en croire Alain Boton, Duchamp se joue des conventions sociales. Dans les cultures individualistes, chacun est tenu de se distinguer : acheter des oeuvres d’art qui font scandale, parader au volant de voitures d’exception ou s’afficher en compagnie d’une mannequin font partie des moyens les plus courants de s’imposer dans la compétition des égos.
Faut-il «croire» en l’amour-passion de Marcel Duchamp pour Maria ?
Sachant à quel point Duchamp avait en horreur ce système, comment croire qu’il ait pu succomber à la beauté d’une femme ? Difficile de l’imaginer en victime d’une passion sans retour… A-t-il pu écrire sérieusement des lettres d’amoureux transi à Maria ? Rien ne l’empêchait de partir à Paris la rejoindre. Dans ce cas, pourquoi se contentait-il de gémir : «Je trouve affreux de compter presque sur les doigts le nombre de fois que je te verrai encore dans ma vie» (9 novembre 1950) ? Dérouté par toutes ces contradictions, Alain Boton échafaude une théorie : «L’amour-passion que Duchamp porte à Maria Martins […] est une création scénarisée de Duchamp avec la complicité de l’artiste brésilienne.» Boton en veut pour preuve qu’il n’existe aucune preuve de cet amour. Plus précisément : aucune autre preuve que les lettres elles-mêmes, qui peuvent très bien relever du «faux». «Il n’y a aucun témoignage direct qui concerne cette relation amoureuse. C’est uniquement à partir de la correspondance que les deux artistes entretinrent que les historiens ont reconstruit cet amour, supposant qu’il était clandestin avant le 6 avril 1946, sa première trace : Duchamp offre à Maria le Paysage fautif, évidemment compris immédiatement comme signe codé de l’amour qu’il lui porte.» Paysage Fautif : un tableau «peint» avec du sperme, mais pourquoi ?
La foire aux vanités dans la mire de Duchamp
Pour beaucoup d’exégètes, c’est forcément une déclaration. Pour Alain Boton –qui s’appuie sur de nombreux textes de Duchamp– le sperme est la métaphore d’une activité onanique, «une manière de se caresser l’orgueil» : l’homme qui se masturbe ne fait jamais que posséder en vision quelque chose. Parce que «posséder», c’est «être», il veut posséder plus, toujours plus. «Dans nos sociétés, ainsi que l’expliquent Brigitte Derlon et Monique Jeudy-Ballini (en conclusion de leur ouvrage La Passion de l’art primitif), la qualité de ce que l’on possède revêt une dimension identitaire et l’avoir –surtout celui dont on fait montre– participe de l’être. Pour le dire schématiquement : on est ce que l’on a.» Or c’est justement ce que Duchamp dénonce : le goût de la possession, le jeu de la compétition, la foire aux vanités… Lui qui n’a jamais voulu rien avoir en propre, comment est-il possible qu’il écrive à Maria une phrase telle que : «Je pense aussi à l’atelier voisin du mien qui serait vraiment le commencement du monastère. Tu pourrais t’y isoler avec moi et personne ne saurait l’existence de cette cage hors du monde» (20 juin 1949). Lui qui refuse les conventions sentimentales, comment peut-il reprendre à son compte les ritournelles dont un de ses meilleurs amis –Denis de Rougemont– a disséqué les mécanismes dans L’Amour et l’Occident ? Pour Alain Boton qui met en vis-à-vis des extraits de cet ouvrage avec les lettres «énamourées» de Duchamp, cette correspondance relève du pastiche.
Une oeuvre qui nous force à la regarder en voyeurs
«“Mourir d’aimer”. C’est le fantasme halluciné de notre époque (8), l’amour-passion, affiché à tous les coins de rue, là pour vendre un parfum ou une bagnole, ici pour nous amener à voir un film ou lire des potins glamours, qui se trouve épinglé par la machination de l’ironiste.» Alain Boton est dubitatif : il semble évident à ses yeux que M.D. a détourné le mythe de Tristan et Iseut. Dans quel but ? Plusieurs interprétations sont possibles. Au-delà d’une moquerie, Duchamp a peut-être voulu nous prendre au piège du contre-sens que représente Étant donnés. Pour beaucoup d’exégètes, cette oeuvre posthume –le corps de Maria aux cuisses écartées– incarne l’amour impossible. Pourquoi ne pas la voir comme une boîte à se masturber ? Chacun y trouve le sens qui lui convient. C’est un piège herméneutique (9), comme il existe des pièges à souris. Toutes les projections sont possibles… Celle d’Alain Boton fait partie des plus séduisantes, parce qu’elle rétablit une forme de cohérence entre la vie et l’oeuvre de Duchamp. Il semble en effet difficile de croire que ce froid calculateur normand ait pu brusquement craquer pour une chaude femme des tropiques : tellement caricatural ! Réduire Étant donnés à un drame passionnel, c’est passer à côté de cette oeuvre, trop maligne pour être honnête. Elle force le spectateur à regarder par un trou de porte, comme font les voyeurs et les onanistes. Elle agit en révélateur de nos fantasmes de possession. Son gaz d’éclairage, ce sont nos pathétiques projections.
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A LIRE : Marcel Duchamp par lui-même (ou presque), d’Alain Boton, Editions Fage, 2013.
Marcel Duchamp. La vie à crédit, de Bernard Marcadé, Paris, Flammarion, coll. Grandes biographies, 2007 // Système D, Jacques Caumont et Françoise Le Penven, Fayard, 2010 // Un échec matrimonial. Le cœur de la mariée mise à nu par son célibataire même, de Sarazin-Levassor Lydie, Les Presses du Réel, 2004 // I Shock Myself, de Beatrice Wood, San Francisco, Chronicle Books, 1992 // Duchamp, A biography, de Tomkins Calvin, New York, Henry Holt, 1996 // L’Empreinte, de Georges Didi-Huberman, Paris, Éd. du Centre-Pompidou, 1997.
CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER EN TROIS PARTIES : «Duchamp : «une horreur presque maladive de tout poil»» ; «Marcel, martyr de l’amour ?» ; «Jules et Jim : une histoire vraie»
EN SAVOIR PLUS : «Art contemporain, le scandale comme moteur ?»
NOTES
(1) Système D, Jacques Caumont et Françoise Le Penven, Fayard, 2010.
(2) Biographie de Henri-PIerre Roché par gmcceda sur le site de la médiathèque entre dore et allier.
(3) Henri-Pierre Roché, Victor, in cat. L’œuvre de Marcel Duchamp, Paris, MNAM, Centre Georges Pompidou (4 tomes), 1977.
(4) Henri-Pierre Roché, «Hommage à Marcel Duchamp», 1952, repris dans Écrits sur l’art, Marseille, André Dimanche éditeur, 1998.
(5) En 1917, Beatrice devient l’éditrice d’une revue dadaïste (The Blind Man). On la surnomme Mama of Dada. Duchamp l’incite à présenter ses oeuvres, lors d’une exposition de la Société des Artistes Indépendants, à laquelle il participe, ou plutôt tente de participer avec… son urinoir, qui est refusé. Plus tard, la vie sépare Beatrice de Duchamp et Roché : elle est forcé d’épouser un homme qu’elle n’aime pas et dont elle finira par divorcer quelques années plus tard. Entre-temps Roché est rentré en France.
(6) Beatrice Wood, I Shock Myself, San Francisco, Chronicle Books, 1992, p. 24. Cité par Alain Boton (Duchamp par lui-même, ou presque).
(7) Michel Leiris, Journal, (4 juillet 1977), Paris, Gallimard, 1992, p. 511. Cité par Alain Boton (Duchamp par lui-même, ou presque).
(8) En 2017, «l’immense amour de Marcel Duchamp fait l’objet d’un documentaire», réalisé au Brésil sous le titre «Maria. Don’t forget I come from the tropics». Pour la plupart des experts, ça ne fait pas l’ombre d’un doute : Marcel Duchamp, le libertin, «le plus cynique et farceur artiste du XXe siècle», a certainement succombé aux charmes de Maria Martins (1894-1973), épouse de l’ambassadeur du Brésil aux Etats-Unis : une femme mariée, certes «mais très libre et frondeuse», comme l’explique Judith Benhamou qui a vu le documentaire. «Maria est l’archétype de la femme fatale qui va ensorceler le glacial Duchamp. Dans une poésie elle lui écrit en français : “Longtemps même après ma mort / Longtemps après ta mort/ Je veux te torturer/ Je veux que ma pensée comme un serpent de feu/ S’enroule autour de ton corps sans te brûler/ Je veux te voir perdu, asphyxié, errer dans le brouillard…” Et Marcel va errer puisque le plus grand hymne à l’amour pour Maria est la création pendant 20 ans de son œuvre ultime, Étant donnés, visible aujourd’hui au musée de Philadelphie. Le corps de femme représenté en trois dimensions est celui de Maria Martins.» (Source : article de Judith Benhamou, Les Echos.fr)
(9) J’emprunte l’expression «piège herméneutique» à la sociologue de l’art Nathalie Heinich (un échange en septembre 2017).