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Depuis 2015, Clemity Jane, alias Clémence, parle cosmétiques chics et accessoires girly sur Youtube. Comme tout un pan de frenchies me direz-vous, d’Elsa MakeUp à Dear Caroline, d’Enjoyphoenix à Amivi. Sauf que Clemity a son truc bien à elle : les sextoys. Plugs anaux, canards vibrants, boules de geisha, oeufs de Tenga, galets clitoridiens… Des jouets pour adultes dont elle vante les mérites ou fustige les défauts au fil de ses « Sexy Reviews » aussi pertinentes que déconnantes. Mais l’ambition de cette jeune entrepreneuse ne se limite pas aux tests rigolos. À travers sa chaîne, elle alterne monologue et discussions sur les liaisons singulières entre sexe et handicap, pilosité et féminité, fessée et féminisme, virginité et sadomasochisme, conception du corps et slut-shaming. Non contente de prendre son pied, Clemity se prend la tête. Dans les deux cas, le résultat est tout ce qu’on aime : intime, sincère, déluré et décomplexé. Conversation avec celle que tes benjamin·e·s vont adorer.
Tu t’adresses à une jeune audience en t’emparant des codes des Youtubeuses beauté. Quand les gens s’attendent à voir les produits cosmétiques d’une Enjoyphoenix ou d’une Janice Beauty et qu’ils tombent sur des vibromasseurs, ils réagissent comment ?
En fait, j’ai toujours maté plein de vidéos de meufs sur YouTube. Solange te Parle m’a beaucoup influencé par sa vision du corps, de l’intimité, de la nudité, le regard critique qu’elle porte sur cette nécessité de sexualiser tous les corps. Comme elle, mon désir est de remettre en question ces représentations afin de proposer de nouvelles réponses. Mais avant de me lancer, je visionnais effectivement beaucoup de tutos beauté ! J’ai été imprégnée par ces codes. Je leur emprunte ces gimmicks (le langage, le format, le montage) sans leur emprunter leur discours. Je voulais que ça aille vite, que ce soit efficace et fun, mais en valorisant une autre vision de la féminité, très body positive : tous les corps sont beaux à leur manière.
Je t’avoue que réemployer ce langage-là pour parler de lubrifiants ou de godemichés déroute les gens. Certains se contentent de regarder les miniatures et de cliquer. Forcément, ils sont surpris ! Ils découvrent par exemple que mon « calendrier de l’avent » ne contient aucun vernis à ongles bright, mais des toys Dorcel ! Il y a des réactions rigolotes genre « je me suis perdu sur YouTube ». Mais il y aussi les viewers qui te balancent, outrés, « mais ce n’est pas possible, c’est dégueulasse… t’affiches devant tout le monde que t’es fière de t’enfiler des godes ?! ». Cette hostilité crue, je l’envisage comme une forme de protection et de réflexe. Certain·e·s se sentent heurtées dans leur pudeur. Ils pensent que parler de l’intimité de façon si extravertie et décomplexée est quelque chose de bizarre. Mais peu à peu, ils s’habituent, puis ça les détend.
Clemity se la joue comme Ryan Gosling.
En plus de cela, il y aura toujours cette tournure de phrase un peu ambiguë : « Clemity Jane teste les sextoys sur YouTube ». Alors qu’évidemment, tu testes, puis tu te filmes. Tu rends compte d’une expérience.
Tout à fait. Quand je leur explique ce que je fais dans la vie, les gens pensent que je suis camgirl ! Puis je leur détaille davantage le concept. Je leur raconte que des filles de douze ans me regardent parler de sexualité et de vibromasseurs. Après, c’est vrai qu’à l’instar des camgirls, j’entretiens un rapport assez fort à ma communauté et à mon corps. Sauf que je ne me sexualise jamais. Le rôle que j’assume totalement, c’est celui de la grande soeur qui parle de sexualité à ses cadettes. Après, lorsque tu es une femme sur YouTube, que tu parles d’histoire ou d’astrophysique, tu seras toujours sexualisée. Tu n’y peux rien, j’imagine…
Justement, ces camgirls qui s’emparent de cette « sexualisation » forcée pour en faire une forme de pouvoir, cela te parle ?
Beaucoup. J’aime ce qu’elles font, et ce qu’elles incarnent aussi. J’ai finalement choisi le côté family friendly de la Force, mais je pense que dans une autre vie, j’aurais pu devenir camgirl ! Si c’était à refaire, je me dirigerais vers cette voie-là, et je revendiquerai mon corps comme elles le font. Je m’imagine bien dans la peau d’une camgirl un peu fofolle, celle qui te fait rire tout en restant sexy tu vois (sourire). Je suis pas mal le travail de Charlie Liveshow par exemple. J’adore sa façon de faire et d’être, d’insérer de l’humour et de la dérision autour de tout cela.
Car le décalage, l’humour, manquent terriblement au porno et au sexe en général. Je ne suis pas friande des pornos qui se prennent trop au sérieux, qui se concentrent sur une vision à la fois vulgos et premier degré du sexe. J’aime quand l’on décèle une forme de méta-langage, que le porno revendique ses codes et en joue. Mais je me sens aussi totalement en phase avec la pornographie éthique d’Erika Lust. Soit tu parviens à filmer le sexe de façon super réaliste, et c’est un succès, soit, si tu n’y arrives pas, autant assumer le « faux » du porno et s’en amuser.
Charlie Liveshow dans toute sa splendeur.
Ce décalage se retrouve dans ta vidéo « Féministe et soumise ? », de façon plus militante et politique. Une vidéo dans laquelle tu affirmes que l’on peut on être féministe et aimer se faire tirer les cheveux, que la « vie sexuelle » n’a rien à voir avec la vie de tous les jours. Tu parles du fait d’ « être une salope », sans jamais attribuer à ce terme une notion péjorative…
C’est clair. Le fantasme, c’est du kiff, quelque chose qui divertit et est parallèle à la vie réelle. C’est un jeu de rôles. On peut être soumise et kiffer prendre des fessées. De façon plus générale, j’exprime l’idée que l’on peut se vêtir de mille costumes à la fois lorsqu’on laisse libre cours à nos fantasmes. Être une bonne sœur et une grande copine, une femme admirable et une salope au lit, une petite chose toute fragile et une dominatrice. Une salope et une sainte dans le même corps, la même journée, au travers du même geste. Dans un lit, tu es à la fois la maman et la putain ! Transgresser cet idéal de pureté dans lequel on t’enferme tout en s’assumant à fond dans son corps, rester sauvage et fougueuse, c’est jubilatoire.
Tu te rends compte parfois que même lorsque tu joues ce jeu, tu ne feins jamais vraiment totalement : il y a toujours une part de vérité dans ce jeu, une phase de ta personnalité dans ton « personnage ». Je crois que lorsqu’on fait l’amour, on se retrouve dans la peau d’un comédien ou d’une comédienne. Ce que l’on feint d’être au lit nous définit en partie. L’idée du « jeu » implique clairement deux choses : d’une part, l’envie de dédramatiser et de désacraliser la sexualité. Mais surtout, puisque c’est un jeu, il y a des règles. Et ces règles il faut les suivre et les respecter, surtout sur la question du consentement…
Mais cet écart entre la « bonne soeur » et la salope, tu le ressens dans ta consommation de pornographie ? Te reconnais-tu à travers ce que tu mates ?
Oui oui, je ne ressens pas de distance flagrante entre ce que je suis ou ce que je pense et le porno que je consomme. Je peux très bien regarder du public punishment hardcore. Bon je t’avoue que je suis très BDSM dans mes tags (sourire). Mais je kiffe ce genre de situations parce qu’à la fin de certaines de ces vidéos, la meuf qui s’est fait humiliée pendant des heures dans un hangar avoue qu’elle a trop kiffé ce qu’elle a vécu. On comprend, en vérité, qu’elle avait le contrôle de son plaisir, de ses émotions et de son corps. Le sadomasochisme est une forme d’empowerment. Le kiff de ce fantasme c’est de comprendre que le mec a l’air de dominer la femme tout le long de la séance… mais en vérité, c’est la femme qui garde le pouvoir, qui décide. C’est donc un fétichisme qui est en accord avec mes valeurs féministes.
Du coup, lorsque Emmanuel Macron déclare que le porno diffuse une image humiliante des femmes, quelle est ta réaction ?
Je crois surtout qu’il n’emploie pas du tout les bons mots. Après, c’est vrai que le porno que je n’aime pas, c’est celui qui réifie la femme, qui en fait un objet à posséder. C’est ce porno mainstream de grande consommation qui représente la femme-trou, la femme poupée gonflable en quelque sorte. Mais je déteste tout autant les vidéos trop borderline qui touchent à la limite du consentement : ça, ce sont mes tags interdits. Quand en tant que spectatrice tu as un doute sur ce que tu vois. Je suis tombée dessus très jeune quand j’étais encore en train de découvrir « la chose ». Je suis tombée sur des images assez intenses d’actrices qui pleurent, qui ont les larmes qui coulent le long de leurs joues. Leurs visages sont totalement crispés par la douleur, et tu as l’impression que la souffrance surpasse le plaisir. Même si l’actrice balance un ou deux « j’aime ça » de-ci de-là, ça ne suffit pas à mes yeux, c’est trop ambigu.
J’aime quand dans le BDSM la femme est soumise, mais je déteste quand elle est asservie. C’est très différent. Ce n’est pas parce que la femme n’a apparemment rien à dire lors des séquences BDSM que c’est réellement le cas, bien au contraire. Le soumis et la soumise ont toujours beaucoup, beaucoup à dire. Mais c’est quand tu flirtes trop avec le consentement que l’on vrille vers une sorte de « porno néfaste » à mes yeux.
« Le BDSM est une forme d’empowerment »
Hormis le BDSM, qu’est-ce qui t’inspire ?
Le porno « artistique », cette pornographie naturaliste qui dépasse les normes. Le « porn art » et le « love porn ». Toute une partie du porno qui te dévoile des meufs tatouées, pas refaites. J’aime contempler les corps que l’on ne voit pas ailleurs : les petits seins, les formes, les meufs qui ont des poils. La passion authentique. Pour moi, le corps de l’actrice importe. Cela compte forcément dans ma capacité d’implication, d’immersion dans une scène porno. Si l’actrice a des mégaseins tout ronds qui tiennent tout seuls… ça va forcément bloquer mon excitation. Cela peut clairement exciter un mec, mais moi, ça ne me fait pas bander tu vois (rires).
Lust Garden : une pornographie naturaliste et différente
Tu t’intéresses à la culture pornographique. Pourquoi ne lui as-tu jamais consacré de vidéo sur ta chaîne ?
… Car c’est comme une « première fois » : j’attends juste le bon moment ! Pour en parler correctement. Je compte beaucoup travailler l’épisode que je consacrerai au porno. J’aimerais rediriger les gens vers du porno de qualité, qui véhicule de bonnes valeurs, tout en trouvant le bon angle d’attaque face à l’ampleur d’un tel sujet, la qualité d’écriture adéquate.
Beaucoup découvrent la pornographie, ou ont leur premier rapport sexuel, avant de tester des jouets. Tu crois qu’il y a un blocage face aux sex toys ?
C’est vrai qu’il y a plein de gens très libérés dans leur sexualité qui affichent une sorte de complexe vis-à-vis des sex toys. Dans mon entourage, il y a des réactions du genre « mais c’est super que tu parles de tout ça sur ta chaîne ! Oui, mais bon tu vois, ce n’est pas fait pour moi, faudrait vraiment que je manque d’un truc pour m’en acheter un ! ». Grosse erreur.
Le sextoy ne comble pas un manque, c’est un bonus. La particularité des sextoys, c’est que l’on n’a a pas besoin d’en avoir besoin ! (rires) C’est un outil de plaisir comme un autre. Or, encore aujourd’hui, on l’associe je ne sais pourquoi à la célibataire endurcie qui n’aurait pas suffisamment de mecs. Ou à la meuf dévergondée qui aurait une sexualité débridée. Derrière cela on décèle une vieille hantise, presque un gag (« où cacher le sextoy si quelqu’un vient ? »). C’est comme si en 2017 le sextoy était encore un secret. Une pratique clandestine. Moi, j’ai envie de normaliser tout cela. Je démontre qu’on peut mater des tests de sextoys comme l’on visionnerait des vidéos sur les rouges à lèvres et les Yankee Candles !
Les Yankee Candles par la vidéaste Jaymfs (« Yankee Candle Haul! ») : autre salle, autre ambiance.
J’ai l’impression que le sextoy est perçu comme une forme de frustration, alors qu’il pourrait très bien être un outil d’émancipation.
Oui c’est exactement cela. Acquérir un jouet, c’est assumer son plaisir jusqu’au bout, et revendiquer que l’on est actif dans l’épanouissement du couple, par exemple, comme de sa sexualité en solo. C’est une étape à franchir. Un premier sextoy fait l’effet d’un premier tatoo : tu essaies et tu deviens très vite accro. Ensuite tu as envie de tester de nouveaux modèles. Le premier pas est hyper dur à franchir : c’est pour cela qu’il est primordial.
Cela m’évoque ta vidéo « Première fois ». J’aime le titre : c’est comme si le premier sextoy était aussi important que la première fois au lit.
Beaucoup de gens se foutent la pression quand il s’agit d’acquérir leur premier sextoy. Ils veulent faire le bon choix et j’essaie de les aider. C’est comme choisir le bon partenaire pour sa toute première fois. D’ailleurs, en général, cette « première fois » -là précède étrangement la première fois avec un sextoy. À mes yeux le sextoy est un outil de masturbation, or la masturbation aide à découvrir son corps : c’est un type d’initiation.
Dans certaines vidéos tu évoques tout sourire ta « collection » de sex toys. Tu nourris un rapport fétichiste avec tous ces jolis objets ?
Fétichiste, je n’irais pas jusque là. Mais j’aime bien les garder tous près de moi, me dire que j’ai l’embarras du choix. Ces accessoires sont comme ma petite bibliothèque si tu veux (rires). Surtout, on le dit rarement, mais ce sont aussi de beaux objets, raffinés du point de vue de design, peaufinés selon la technologie qu’ils intègrent, qui t’offrent une chouette petite déco dans ta chambre. Conserver un sextoy inutilisable, parfois, revient à conserver un téléphone portable vintage : juste pour le plaisir de l’oeil et celui du souvenir. C’est une petite collecte qui me rappelle tout plein d’expériences différentes.
Des tutos pour voir la vie en rose.
Le sextoy est un peu l’expression de ton intimité et de ta personnalité. Tu dis : « un sex toy fait toujours sens par rapport à ce que l’on en fait ».
Oui. Je suis anti « manuel d’utilisation » dans ma recherche du plaisir. Je déteste la notice des Womanizer. Tous ces jouets où l’on t’impose la marche à suivre : voilà, mets-le sur le clitoris, ne fais rien et attend, ça ira tout seul. Bah oui, mais non ! C’est très décevant. On peut faire ce que l’on veut avec un sex toy. Prendre un jouet spécial point G et l’utiliser pour titiller les mamelons… Il faut se libérer de ces contraintes, ne pas limiter un toy à une seule forme de jouissance… au risque d’être déçu·e et de l’enfermer dans le tiroir. Au départ, le sextoy n’est qu’un objet, rien de plus. Il faut s’en emparer puis construire de l’érotisme tout autour.
Pourtant, je ne crois pas que l’on soit tous aussi décomplexés de ce point de vue là. Du côté des mecs, ça se passe comment selon toi ?
Les mecs éprouvent des complexes vis-à-vis des sextoys. Pourtant il y a de super masturbateurs à leur conseiller, des Tenga par exemple, c’est génial. Mais non… Les sex toys, ils en parlent généralement comme des « trucs de puceaux », de « frustrés » qui seraient obligés de se taper une vaginette parce qu’ils ne peuvent pas se « taper de meufs », tu vois le genre. Faire une branlette avec un masturbateur en couple, cela leur parait super bizarre. Et si tu en viens à leur parler de plaisir prostatique, oh mon dieu !…(rires). Ceux qui ont testé disent pourtant à leurs potes à quel point c’est cool comme expérience. Mais non, on te dit qu’il ne fait pas toucher cette zone, que c’est sale, tabou, « gay », et j’en passe. Ces préjugés de merde empêchent de chercher de nouvelles sensations et des plaisirs différents, c’est vraiment dommage. Les choses ont beaucoup de mal à bouger. Les mecs, vous avez un organe génial où prendre du plaisir, il faut en profiter ! Avec un doigt, ou le doigt d’une partenaire… D’ailleurs, je prépare actuellement une vidéo sur la sodomie, et c’est un sujet sensible là aussi.
Des sextoys pour tous les goûts et les couleurs.
Cela m’évoque un autre sujet relativement tabou qui, évidemment, traverse l’ensemble de ta chaîne : la masturbation féminine.
La masturbation pour une femme est toujours source de culpabilisation. De mon côté, je n’ai jamais vécu cela. Ma mère était psychologue. Elle m’a très vite inculqué de façon très sobre une vision naturelle et sans jugement de la sexualité. Sans appréhension. Je ne me disais pas que le sexe était sale, que j’étais trop jeune pour voir du porno par exemple, pour comprendre la sexualité, je faisais mes découvertes de mon côté. Ma mère me parlait de la découverte du corps, elle m’expliquait que ce que je trouvais bizarre était parfaitement normal.
À l’époque, autour de moi, les filles qui en parlaient assimilaient carrément la masturbation à la nymphomanie !…À leur vision de la nymphomanie en fait. Comme si la masturbation masculine était un besoin naturel, celui de « se décharger », mais que la masturbation féminine était aussi utile « naturellement » que le fait de jouir pour enfanter. J’essaie de renverser ces clichés dans mes Sexy Reviews qui, je crois, ont un double effet bénéfique : ouvrir les esprits et participer à une forme d’éducation sexuelle.
Cette notion de « trop tôt » est intéressante, car il me semble que ton audience en moyenne est très jeune. Il y a des sujets que tu refuses d’aborder ?
C’est vrai, il y a pas mal de collégiens et lycéens-lycéennes, entre 15 et 18 ans. La tranche des « 18-25 ans » est le coeur de mes stats, mais tu te doutes que plein de gamins s’inscrivent sur YouTube en indiquant « dix-huit ans » évidemment. Mais « c’est trop tôt » ne veut rien dire à mes yeux. L’âge est quelque chose de trop subjectif. J’ai vécu une sexualité assez tôt, à quatorze ans, mais elle a été très saine et bienveillante.
Ces plus de 65 000 abonnés, tu ne crains jamais de leur en dire trop ? Tu évoques parfois ta séparation, tes doutes, ton quotidien. Là, une autre forme d’« intimité » s’insinue. Tu lui fixes des limites à cette impudeur ?
Mes limites, je les fixe selon le degré « d’intimité » : cela ne sert à rien à mon public de savoir combien de fois je me masturbe par semaine par exemple – je ne suis pas un modèle sur lequel il faudrait se calquer ! L’idée c’est de rester décomplexée, mais sans être voyeuriste. J’entretiens un rapport singulier avec mes abonné(e)s. Ils m’envoient énormément de messages privés entre mes vidéos. Je fais la gynéco, voire la conseillère conjugale ou la psy… cela les rassure. Les jeunes filles me parlent de leurs lèvres et de leurs vulves, pensent qu’elles sont anormales après avoir vu les « petits abricots tout roses » des films pornos mainstream… Il y a même des gamines de quinze ans qui pensent déjà à se faire une vaginoplastie ! Ce qu’elles voient de leur corps leur inspire des complexes et les fait culpabiliser. Les vulves, c’est un sujet dont on ne parle pas assez, qu’on ne met jamais en discours. On ne fait que bombarder les gens d’images qui sont parfois si loin du réel…
Finalement tu leur apportes une sorte d’« éducation sexuelle » alternative. Quitte à affirmer que la notion de « virginité », elle aussi, est absurde.
On accorde à la virginité une dimension avant tout plastique, au niveau de l’hymen, c’est très réducteur. L’idée que la perte de virginité égale à la pénétration, aujourd’hui, cela paraît archaïque. J’imagine des lesbiennes dire qu’elles n’ont jamais fait l’amour… (rires)
Justement, dans tes vidéos, il n’agit pas simplement de parler d’homos et d’hétéros. Tu dis toujours « les personnes », les « gens », pas « les mecs » ou les « filles ». Tu parles des « hommes qui ont des vagins » et des « femmes qui ont des pénis »… tu as du fuir de vieux réflexes bien ancrés pour en arriver à cette conscience transgender ou c’était plutôt spontané ?
Au fil de mes vidéos, je me suis effectivement rendu compte à quel point j’étais hétérocentrée. J’envisageais les situations uniquement par le prisme de ma propre expérience. J’avais du mal à parler de ce que je ne vivais pas, tout simplement. J’ai progressivement décidé d’adapter mon discours à la diversité, et d’etre incluvise. Peu à peu, je me suis énormément documenté, j’ai écouté parler des personnes trans, j’ai regardé les vidéos de plein de vidéastes lesbiennes, gays, gens non-binaires. Le langage est nécessaire pour l’évolution des mentalités et de la perception que l’on accorde aux sexualités. Le langage permet de modeler les pensées, on ne peut pas s’en émanciper pour penser. Afin d’évoquer ceux qui ne se retrouveraient pas dans les cases de ce langage, il faut en inventer de nouvelles, quitte à briser les anciennes !
Le langage des tags en ce sens est tout de même assez cloisonné, catégorisé, il impose des cases. Tu n’es jamais dérangée par tout ça ?
C’est sûr, mais c’est important de le replacer dans un contexte d’imaginaire ou de divertissement. Tiens, j’ai envie de voir quoi ce soir ? Un thriller ? Une comédie romantique ? Une brune ? Une rousse ? Catégoriser ce n’est pas forcément objectifier. Puis on peut très bien construire son identité en se servant de ces cases, s’en servir pour mieux en sortir. Les catégories ne définissent qu’une partie de ton identité, et c’est tout. Les genres sont fluides…
L’ultime question : tes meilleures et tes pires expériences-sextoys ?
Les sextoys cheapos et dangereux au niveau de leur fabrication, mal soudés. Les sextoys bas de gamme. Mais au rayon des épiphanies, je dirais… les stimulateurs sans contact, complètement. Quand tu y as goûté, tu ne peux pas t’en passer ! (rires)
Clemity Jane n’a besoin de personne en Harley Davidson
« L’exposition interdite aux moins de 18 ans« . C’est l’avertissement qui nous est mis sous les yeux avant de pénétrer Intimité, sulfureuse rencontre entre un photographe et deux artistes plasticiens. A découvrir à la Galerie d’art Sylvie Adaoust (Marseille) ce vendredi 8 décembre.
Intimité – exposition
Au devant de la scène, on retrouve Alex du tandem Alex et Niko – auteurs de l’épique clip « I’m a man » de Nasser, avec Dany Verissimo et François Sagat. Ses clichés argentiques ont en eux quelque chose d’instantanément fétichiste et charnel. Réunissant à ses côtés les travaux plastiques très contemporains de Manyoly et Jean-Christophe Thorez, Intimité se targue de caresser et provoquer le regard d’un même geste, d’ébranler les frontières de l’obscénité en mettant sur un même plan cul cru et sensualité à fleur d’épiderme. « L’érotisme pour fil rouge, suggéré parfois, visuel toujours » nous précise-t-on.
Intimité-exposition
Le grain chic du noir & blanc confère à ces photos des allures de rêve éveillé, convoquant les désirs, souvenirs et fantasmes fertiles qui traversent notre imaginaire commun – ces bouches, ces mains, ce cuir – pour mieux unir « la mémoire de la peau et la mémoire du regard« . On aime cette façon qu’a Alex de dévoiler l’acte avant, pendant et après, quand les draps sont encore chauds ou humides. Miam.
« Intimité » – Vernissage vendredi 8 décembre – 19h – 21h30
Galerie d’art Sylvie Adaoust
60 rue Edmond Rostand 13006 Marseille
Exposition visible du 8 au 23 décembre sur rdv
Elles sont grosses et discriminées pour cela. Ce sont des remarques, des regards, des insultes, des commentaires. C'est un patron de restaurant qui, lors d'un entretien, vous annonce qu'il ne peut vous embaucher parce que vous dissuaderiez les clients de commander un dessert. C'est un médecin qui passe à côté du bon diagnostic, car il estime que tout est lié à votre poids. C’est un amant qui n’ose pas s’afficher à vos côtés.
Dans ce troisième épisode d’Un podcast à soi, elles racontent avec puissance leur quotidien et leur recherche de liberté. Leurs récits bouleversants interrogent notre rapport aux normes esthétiques et alimentaires, et donnent à comprendre pourquoi la grossophobie est un enjeu féministe.
Un podcast à soi par Charlotte Bienaimé, le premier mercredi du mois. En partenariat avec le mensuel Causette.
A retrouver sur la chaîne YouTube ARTE Radio.
Avec : Lucie (@lucie_larousse) - Olga (@theutoptimist) - Daria et Eva, du collectif Gras Politique - Solenn Carof, sociologue (ses publications).
Lectures : « Coup de gueule contre la grossophobie » d'Anne Zamberlan - « Rapetisse » de Lucie Larousse.
Livres : « Le poids : un enjeu féministe » de Susie Orbach (Marabout, 2017) - « On ne naît pas grosse » de Gabrielle Deydier (Gouttes d'or, 2017)
Liens : les bandes dessinées de Lucie Larousse - le jeu vidéo « Regarde » de Lucie Larousse - la chronique dessinée « Ta copine grosse rigolote » de Lucie Larousse - le blog de Olga
Remerciements : Amandine du collectif Gras Politique
Il est courant de penser qu’on ne se marie pas par amour dans l’Europe rurale pré-moderne. Le mariage d’amour serait une invention de la bourgeoisie. Que dire des caresses, des baisers et des gestes tendres ? S’agit-il d’inventions récentes ?
Les paysans aux mains calleuses sont-ils capables de caresser ? «Dans le monde rural, selon les observateurs bourgeois et les folkloristes, l’amour s’exprime rarement par des mots, mais par des bourrades, des serrements de main, de lourdes claques sur l’épaule, on se tord les poignets, on se frotte les joues ou les cuisses, on se pince, on arrache les fichus. Il s’agissait aussi dans les jeux amoureux de vérifier la robustesse de la future compagne qui pour être une bonne épouse devait pouvoir être dure à la tâche.» Dans un ouvrage intitulé Histoire sensible du toucher, l’historienne Anne Vincent-Buffault souligne à quel point les paysans pâtissent d’une image de lourdauds. Pour les bourgeois du XIXe siècle, les travailleurs de la terre ont des mains trop abîmées pour être tendres : «insensibilité, caresse rugueuse et sans raffinement, le peuple ne pouvait que caresser rudement. La séduction implique l’empoignade, les bourrades, les pinçons, les torsions de main.»
Quand une jeune épouse arrache son pantalon au mari…
De fait, les témoignages de brutalité sont nombreux. Lorsqu’on consulte d’autres ouvrages pour en avoir un aperçu, on tombe des nues. Martine Segalen évoque (dans Histoire du mariage) «une certaine coutume qui consiste, le jour des noces, à lutter pour s’emparer d’un pantalon ou d’un balai, symboles des pouvoirs respectifs dans le ménage.» Le mari et sa jeune épouse s’empoignent sans ménagement. C’est à qui aura le pantalon. Martine Segalen ajoute que les femmes peuvent d’ailleurs parfois, sans trop d’efforts, se l’approprier : «“Qui se marie par amour a bonnes nuits et mauvais jours”, dit un proverbe populaire, sachant que ce qu’on recherche en mariage dans une société fondée sur le travail manuel, c’est une femme bien solide et courageuse. «La beauté, c’est d’être en bonne chair, bien luisant, gros et gras. une femme “ben groussière”, un homme “bien rougeaud”, voilà le critérium du beau. (1)» Raison peut-être pour laquelle la «séduction» à la paysanne implique des simulacres de combat. On se cherche une femme costaud ?
Peut-on jeter des pierres à celle qu’on aime ?
Alain Corbin, dans Histoire de la vie privée, confirme : «L’amoureux est avare de paroles ; il ne sait guère avouer son penchant que par antiphrase : il le signifie par de souriantes injures ou par de grossières plaisanteries. Une série de gestes balisent l’itinéraire amoureux. On se sert la main à craquer, […]. De lourdes claques sur l’épaule, des bourrades, voire des jets de pierre manifestent clairement le penchant réciproque.» Anne Vincent-Buffault émet cependant une réserve : s’il faut en croire «les archives judiciaires, les approches gestuelles ne sont pas que des manifestations de force physique. En Provence, à la fin du XIXe siècle, les garçons font des agaceries aux filles», dit-elle. Entendez par là : des gestes fort intimes ou des caresses, et de quelle douceur… Certaines sont «prolongées durant des heures». Citant la pratique du maraîchinage vendéen (2), l’historienne évoque ces couples qui s’isolent sous un parapluie violet afin de se livrer, en public (quoique à moitié cachés), à des échanges buccaux appelés baisers colombins : le baiser avec la langue.
Comment faire jouir une fille à travers ses dessous
Les garçons qui «mignotent» et « bichonnent» une fille le font au vu et au sus des familles qui surveillent, mais de loin, les travaux d’approche entre jeunes. Il faut bien se tester avant de s’épouser. La pratique est répandue dans les cultures septentrionales. «Dans les Deux Sèvres, on l’appelait le migaillage. Les filles se laissent “bouchonner” en abandonnant aux garçons le “haut du sac” bien que l’on ne sache pas les limites exactes de ses pratiques d’approches. Il existe des témoignages sur l’albergement savoyard qui datent du XVIIe siècle. Elle serait liée à un mouvement d’émancipation à l’égard de la famille, de la communauté villageoise et des prescriptions religieuses qui s’affirme à partir du XVIIe siècle. C’est le concile de Trente qui le dénonça jusqu’à la menace d’excommunication.» Pour en savoir plus, il faut –là encore– consulter le texte de Martine Segalen : dans Histoire du mariage, elle donne plus de détails. Connaissez-vous, en Savoie, la coutume dite de la tressaz ou trosse ?
Flirts collectifs très poussés chez les montagnards
«Dans certaines parties de la Savoie […], un jeune homme pouvait mettre une échelle à l’extérieur de la maison de sa bien-aimée, grimper jusqu’à la chambre de celle-ci, passer la nuit dans son lit, à condition de ne pas se déshabiller. Ce qui révolte le plus les prêtres, c’est que les parents sont d’accord. Rite de courtoisie très ancien, l’église n’a cessé de le dénoncer en lançant contre lui des interdits, inefficaces, puisqu’on pratique encore cette coutume à la fin du XIXe siècle.» Martine Segalen cite un document de 1609, signé par l’archevêque de Chambéry qui dénonce l’“usage infernal” de la tressaz : «De jeunes paysans ont l’habitude […] de prolonger les veillées jusque tard dans la nuit avec des jeunes filles nubiles et, […] de leur demander l’hospitalité avec l’intention de se coucher, ce que dans le langage habituel, on nomme alberger. […] Chacune, gardant cependant ses vêtements de dessous, s’abandonne d’une façon irréfléchie dans le même lit à la discrétion de l’un des jeunes gens. Là, sous le coup de la passion amoureuse, malgré le vain obstacle des vêtement, il arrive très fréquemment que soient rompus les promesses bien frêles et les hymens de la virginité.»
Mettre la charrure avant les boeufs
De telles pratiques de visites nocturnes s’observent fréquemment dans les alpes bavaroises ou suisses sous le nom de Kiltgang, Fernstern ou Schläfen, Fensterlen. Ces relations sexuelles, qui relèvent le plus souvent de la masturbation réciproque, sont d’autant plus tolérées qu’en cas de «dépassement», le garçon est tenu d’épouser celle qui porte un enfant. Pourvu que la mariée ne soit pas enceinte de plus de trois mois (que cela reste discret), le mariage est toujours prononcé à temps pour officaliser l’union. «D’une grossesse prénuptiale, on dit: “mettre la charrue avant les bœufs”, mais aussi “casser sa noisette” (3)», raconte Marine Segalen avant de conclure : «D’amour, comme seul fondement de l’union, il n’en est certes pas question dans ces sociétés paysannes. Il ne sera légitimé qu’entre les deux guerres. Cependant, si l’intérêt des parties a le dernier mot, l’inclinaison amoureuse n’en est pas pour autant absente et rien n’interdit que se forme une relation amoureuse.» La notion d’amour n’est donc pas étrangère aux filles et aux garçons des champs. Quant aux caresses…
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A LIRE : Histoire sensible du toucher, d’Anne Vincent-Buffault, L’Harmattan, 2017.
Histoire du mariage, dirigé par Sabine Melchior-Bonnet, Catherine Salles, coll. Bouquins, éditions Robert Laffont, 2009. Martine Segalen a signé le chapitre intitulé «Un Long XIXe siècle», qui se trouve dans le chapitre 4.
Histoire de la vie privée, dirigé par Philippe Ariès et George Duby, Seuil, 1987. Alain Corbin, a signé le texte intitulé «coulisses», qui se trouve dans le tome 4: «De la révolution à la grande guerre».
NOTES
(1) Martine Segalen cite ici : Hugues Lapeire, Le Berry vu par un Berrichon, gamber, 1928, p. 59.
(2) Dans Histoire du Mariage, Martine Segalen explique ainsi le maraîchinage : «Il s’agissait d’un flirt public, aux gestes codifiés. Les jeunes gens, soit à l’auberge, soit le long des talus, échangaient de longs baisers — dit baiser colombin, avec la langue — et des déclarations très directes, protégés des regards indiscrets par un grand parapluie. La séquence est ritualisée en plusieurs étapes: le garçon aborde la jeune fille en lui tirant sur son jupon, puis il cherche à s’emparer du parapluie qu’elle porte sous le bras. Si celle-ci est consentante, elle l’emmènera «maraîchiner», sous son parapluie.»
(3) «Les noisettes sont également symboles de sexualité et de fécondité, et l’on voit les jeunes gens offrir à leur galante des provisions de ces fruits. même en Basse-Bretagne, où le contrôle religieux sur la morale sexuelle était très strict, lors des pèlerinages — eux aussi lieux de rencontres favoris de la jeunesse — les jeunes filles mettaient des noisettes et des pommes au fond des grandes poches de leurs tabliers et les garçons les recherchaient avec une grande ardeur. en breton, ces jeux sexuels s’appelaient «Fouil Jakot». plusieurs expressions populaires se réfèrent à leurs conséquences.» (Martine Segalen,HIstoire du Mariage).
La deuxième édition du Salon de la Littérature Erotique avait lieu le 26 novembre dernier, au 153, dans le 3è arrondissement de Paris. Entre conférences, dédicaces d’auteurs, jeux-concours et papotages entre amis, la journée fut dense et passionnante aussi bien pour les amateurs de littérature érotique que pour les curieux.
Organisé par Polissonneries qui crée régulièrement différents événements, dont le plus connu est Les Ecrits Polissons, le Salon de la Littérature Erotique 2017 fut une belle occasion pour moi de découvrir des ouvrages que je ne connaissais pas, de rencontrer en vrai des écrivains, artistes et blogueuses sexo, mais également de recroiser des personnes que j’apprécie.… Lire la suite
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