Si vous me lisez c’est que vous avez accepté mon invitation à une danse privée. Excellent choix. Sachez que je ne sollicite habituellement jamais. Lorsque je travaille en club de strip-tease, j’effectue mon show sur la scène, signe mes cartes de dédicaces, et reste sagement assise à siroter mon jus d’orange, profitant de ce moment de trêve pour admirer les danseuses, observer leur public, deviner les liens qui connecte chaque élément de ce microcosme. Je suis alors disponible à ceux et celles qui souhaiteraient partager un moment d’intimité avec moi. Cela arrive rarement, mais au cas où le contact avec la personne ne soit pas à mon goût, je me réserve toujours le droit de refuser. Ce soir, en revanche, c’est moi qui vous prends par la main. Les rideaux viennent de se refermer et personne ne vous voit. Vous serez mon invisible témoin. Je suis seule face à un couple assis dans la tiédeur d’un canapé . Ils me portent ce regard que je retrouve à chacun de mes rendez-vous insolites. Et je jubile de ce moment de doute, d’attente, de désir et de non-dit. Ca m’excite.
Helen et Adam ont la petite cinquantaine. Elle, porte une robe noire décolletée, ses cheveux relevés découvrent une nuque délicate, des boucles d’oreilles en or assorties à son collier. Ses pieds se cambrent dans de ravissantes chaussures à talons hauts. Elle est élégante, coquette, sans doute plus qu’à son habitude. Ce soir n’est pas un soir comme les autres. Elle savait qu’elle s’aventurerait au bras de son mari au milieu des strip-teaseuses qui ont, pour certaines, peut-être l’âge de leur fille. Partagée entre la sensation d’être en danger et l’excitation de la découverte, elle me regarde le visage baissé, la bouche crispée dans un léger sourire qui me dit tout de son embarras mais aussi de son envie d’être là.
Sur son épaule repose, rassurante, la main large et virile de son mari, chemise blanche, veste noire, élégant. Ses pupilles brillent d’une lueur qui n’est pas innocente mais il n’ose soutenir mon regard, se reportant très vite sur le visage de sa femme en faisant un léger détour par mon décolleté dans une expression faussement décontractée. Il tient à honorer sa place d’homme mais aussi de mari. J’ai devant moi un couple qui s’aime et pour qui il s’agit d’une première fois. Je la veux inoubliable. Assis dans la pénombre d’un club de strip-tease à Perth au fin fond de l’ Australie, ce couple est venu voir une femme venue de l’autre côté de la planète et qui sans le savoir les a rejoint plusieurs fois dans le creux de leur lit. Une nouvelle chanson débute. « Love is like a sin my love .. »*
Je les regarde, silencieuse, esquisse un sourire. La danse commence. Je passe mes mains dans mes cheveux, me déhanche ; mes doigts parcourent la soie de ma robe, frôle mes courbes, ma peau, la pointe de mes seins. Mes yeux se ferment. Inspiration lente. Ma poitrine se gonfle. Mes paupières se soulèvent tandis que ma respiration continue d’animer ma chair. Je ne regarde qu’elle. Elle, qui attire toute mon intention, elle qui est le centre du monde, du mien, l’objet de ma conquête, ma proie, ma complice. Je m’approche avec douceur, mon visage est le reflet du sien, je regarde sa bouche, ses yeux, sa bouche. Encore. La distance, ou plutôt, l’absence de distance, devient dangereuse. Son souffle caresse maintenant mes lèvres et je les pose à peine sur son cou, son oreille, son épaule. Je prends mon temps. Ma danse est une déclaration.
Je suis maintenant assise sur l’une de ses cuisses, lui qui nous regarde, hypnotisé par l’ivresse naissante de sa femme. Ma main frôle sa joue tandis que je continue de me perdre dans les yeux de son amante. Je ne vole pas l’homme qu’elle aime, je l’envoûte pour elle.. Elle l’a compris. Elle me sourit, amusée de l’embarras de son mari dont les mains restent inertes. Je suis leur poupée et ils sont mes jouets. « Look at her with a smile like a flame, She will love you like a fly will never love you, again ».
Une chaleur semble soudainement m’envahir. Mes doigts saisissent l’attache nouée derrière ma nuque. Je respire profondément. Le plaisir monte, mes yeux se ferment, la robe glisse. Je suis quasiment nue sur mes talons fins. A genoux devant ma maîtresse je lui retire les siens. Son petit pied frémit entre mes doigts. Pour la première fois son corps rentre en contact avec le mien. Délicieuse brûlure. Je la possède. Presque. Ses jambes nues tracent mon chemin. Ma bouche parcourt sa cheville, son mollet, sa cuisse…une question brille dans mon regard alors que j’écarte doucement ses jambes.
Juste quelques centimètres pour que l’envie s’éveille, pour que le « dérapage » soit possible, pour qu’elle réalise que cette possibilité devienne… besoin. Je remonte vers son visage, mes cheveux glissant le long de ses seins. Sa respiration s’arrête. Sa peau s’est imprégnée de mon parfum, je suis tellement proche, infiniment proche. Ma main droite couvre ses yeux alors que l’autre pénètre sa chevelure, alors que ma bouche hésite. C’est alors que je le regarde. « Je ne t’ai pas oublié, bien au contraire. Regarde-moi. J’ai conquis celle que tu aimes. Regarde-la. Elle s’abandonne, prête à se donner. Elle est tellement belle. »
Une deuxième chanson s’amorce. Je poursuis mon voyage entre les corps sans ne jamais permettre l’étreinte. Ce petit salon dont l’étroitesse paraissait contraignante est désormais notre meilleure allié, délicieux huis-clos où le désir jaillit en secret, où le plaisir est un éveil des sens, un appel à la gourmandise. Voir, sentir, écouter, frôler… saliver à défaut de goûter.. Et rien ne s’arrête, jamais. Je suis un mouvement, une caresse, un souffle, un gémissement. Je coule. Entre leurs jambes, sur son torse, sur son ventre, à leurs pieds.. ma danse est aussi la leur. Je suis à eux tout en restant insaisissable. La dernière pièce de tissu s’est envolée. Je suis nue et je les tiens au creux de ma main. « You let me penetrate you, you let me complicate you, I want to feel you from the inside »*
Mon doigt glisse insidieusement entre mes jambes. Une seconde de pause. Et j’ose. L’enfoncer. Quelques centimètres à peine. Ma poitrine se soulève dans un léger spasme, mes paupières se ferment, ma bouche appelle l’oxygène. Je le porte alors humide à mes lèvres, goûtant la saveur de mon sexe. Un délice. La transe prend possession de mes seins, ma bouche, ma cambrure. Je ne suis plus que plaisir, jouissance, sensualité. Je suis là pour vivre, ressentir, partager, telle est ma mission. Je ne souhaite pas diviser, blesser, je veux unir, réconcilier. Frustrer non, réjouir oui. « Help me tear down my reason, help me it’s your sex I can smell, I drink the honey inside your hive »*
Alors je m’assois entre eux, saisissant leurs mains tremblantes, invitant tendrement mes chers amants à enfreindre la règle. Enfin. Mes mains délicieusement coupables posent alors la leur sur chacun de mes seins, les faisant glisser sur ma peau, les unissant, les entremêlant. Je veux être la chair dans laquelle ils fusionnent par laquelle ils s’oublient. Désormais ce sont leurs visages que je rapproche face à face, devant le mien. Ils me regardent. Je leur souris. C’est cet instant que je souhaite plus que tout au monde. Leurs mains entrelacées sur ma poitrine, Adam et Helen unissent leurs bouches dans un langoureux baiser. Ils s’aiment, se désirent, se regardent, passionnément. Vous êtes invisible, je le suis aussi . Il n’y a plus qu’eux désormais. « You are the reason I stay alive ». La chanson s’achève.
Ils me portent ce regard que je retrouve à la fin de chacun de mes rendez-vous insolites. Et je jubile de ce moment de complicité, de joie, de désir et de non-dit. Ca m’excite…
Katsuni
* Première chanson: « Paradise Circus » (remix de Gui Boratto)
* Deuxième chanson : « Closer » de Nine Inch Nails