Marin Ledun est docteur en sciences de l’information et la communication. Installé dans les Landes, il a choisi de vivre de sa plume en cultivant son jardin. Il est, entre autres, l’auteur de Les Visages écrasés (Seuil 2011), Zone Est (Fleuve Noir) 2011), La guerre des vanités (Gallimard Série Noire 2010), Un singe en Isère (Baleine Le Poulpe) et Le Cinquième clandestin (La Tengo Mona Cabriole).
Résumé
En Ardèche, le village de Thines est détruit par une mystérieuse explosion.
Dépêché sur place, le commandant de police Vincent Augey découvre 90 cadavres qui n’ont plus vraiment une apparence humaine. Leurs corps sont modifiés, comme mélangés avec le minéral et le végétal. Le médecin légiste n’a jamais rien vu de tel.
Quelques jours plus tard, une survivante est repérée dans les décombres. Cette jeune femme s’enfuit. Augey va la poursuivre, persuadé qu’elle est responsable de tous ces morts.
Extrait
Prologue
Riesi, Sicile, 15 août 2008.
Sous les assauts du vent, l’herbe haute frémit autour du bruit de Laure Dahant. Le chant assourdissant des cigales couvre le bruit de ses pas. Son corps s’offre à ce moment attendu depuis si longtemps. Elle sourit. Une esquisse sous un soleil de plomb. Pantalon de toile, baskets, chemise noire. Légère, très légère. Une goutte de sueur perle le long de son cou. Une veine, presque palpitante de vie.
Durer, faire durer.
Ses bras délicats, ouverts, en croix, le tissu légèrement froissé au niveau de la taille, le noir. L’échancrure révèle la naissance d’un sein rond et ferme. Sous la poussière, une fine pellicule de sueur. Une odeur forte de pin et de fougère. Une fragrance légère de lavande. Un parfum de vengeance. Le tonnerre gronde, à quelques kilomètres. Bientôt là.
Durer, c’est la règle imposée.
Sa silhouette est gracile. Sa jeunesse, éternelle. Ses cheveux de jais balaient son visage par vagues successives. Elle se tient au milieu d’une clairière et peu importe le jour, peu importent l’heure et le moment : belle dans sa gangue solaire, désirable dans ce noyau de nature, gorgée de chaleur. Comme le sont toutes les femmes de son âge.
Comme le sont toutes les mères qui s’apprêtent à embrasser leur enfant pour la première fois.
Sa fille.
Envie d’exploser. Elle frissonne. Elle chasse un insecte de la main, puis un autre. Elle a l’impression qu’ils sont des centaines autour d’elle. Sur elle. En elle. Elle promène le dos de l’index sur son ventre, infinie de douceur. Puis son doigt rencontre une protubérance spongieuse et elle souvient. A partir de là, ses yeux grands ouverts sur le ciel ne voient plus que les flammes de l’enfer. Celui de son trouble, le souvenir de sa virginité volée et les expériences de Peter Dahan sur son corps au cours des vingt-huit dernières années. Les violences, la folie et les visages déformés par la douleur. Son équilibre est instable mais il perdure. Les puces à ADN implantées dans son tronc cérébral et son système nerveux s’agitent un bref instant, mais elle parvient à rester maîtresse de ses cellule. Presque femme, pas tout à fait machine. Humaine. Ou plutôt : mi-humaine. Etre de chair et de sang puisant à la source du Progrès. Utopie calcinée. Elle voit la pourriture, les taches brunes sur son abdomen et le long de ses cuisses. Elle est consciente de la destruction progressive de son système immunitaire sous les coups de boutoir des nanomachines. La lente dégradation de ses organes vitaux, en même temps que son cortex connaît une expansion vertigineuse. Elle sait qu’il ne lui reste plus longtemps.
Elle ne doit pas craquer.
Pour elle.
Pour sa fille.
Pour la serrer enfin dans ses bras.
Sa fille dont elle ne connaît même pas le prénom.
Elle surmonte une nouvelle bouffée d’angoisse et reprend sa progression en direction d’un massif de ronces d’où émergent des pins parasols. Après un rapide coup d’œil jeté en arrière, elle escalade le tronc du pin le plus imposant. Moins de vingt secondes plus tard, elle laisse glisser de l’autre côté des broussailles, dans la partie la plus escarpée de la propriété de Ralph et Sophia Bishop.
Un seul objectif en tête quand elle s’élance sur la pente : reprendre sa fille. Et trouver un moyen de la mettre à l’abri, là où ils ne la retrouveront jamais.
Ni eux, ni personne.
Avis
Si Zone Est, projetait le lecteur dans un monde futuriste, Le ventre des mères l’amène à regarder le présent et l’avancée du « progrès », notamment dans la biotechnologie.
Définition de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique), organisation internationale regroupant des pays pour la plupart développés qui ont un système de gouvernement démocratique et une économie de marché :
La biotechnologie est l’application des principes scientifiques et de l’ingénierie à la transformation de matériaux par des agents biologiques pour produire des biens et services.
La biotechnologie, c’est la technologie de la bioconversion, le mariage entre les êtres vivants (biologie) et tout un ensemble de techniques telles que la biochimie, la biologie moléculaire, l’informatique, la génétique, la microbiologie et j’en passe.
Que pourrait-il se passer si on implantait des puces électroniques contenant, entre autres, un virus dans le corps d’êtres humains ? Quels humains en particulier ? Les femmes, les filles. Parce qu’elles sont le noyau de la guerre. Ce sont elles qu’on torture et qu’on viole pour faire plier tout un peuple, ce sont elles qui donnent la vie.
Les chercheurs internationaux ont la possibilité de mettre en place cette idée.
Qu’est-ce qui empêche aujourd’hui les gouvernements des pays développés de se servir de la nanotechnologie couplée à la biotechnologie pour asservir d’autres pays ? Peut-on être certain que cette guerre n’a pas déjà commencé ?
La force de Marin Ledun, c’est de raconter une histoire complexe avec des mots simples.
Nul besoin d’être ingénieur pour lire Dans le ventre des mères. Ni de dictionnaire pour chercher la signification d’un terme difficile. L’intrigue est si captivante qu’une fois la lecture commencée, le lecteur n’a envie qu’une envie : la terminer !
Ecriture cinématographique, rythme soutenu, Dans le ventre des mères est un des meilleurs thrillers que j’ai lus si ce n’est LE meilleur depuis plusieurs mois.
Etant une femme, depuis, certains jours, je flippe à mort ! Merci Marin Ledun !
Merci à Ombres Noires !
Dans le ventre des mères, Marin Ledun, éditions Ombres Noires 464 pages 18,90 €