Quand on pense féminisme, on évoque souvent Simone de Beauvoir, mai 68… C’est à dire le XXème siècle. Et pourtant, c’est dès le XVIIIème siècle que l’on trouve les pionnières de ce mouvement. Parmi elles : Olympe de Gouges, plus connue aux États-Unis ou en Allemagne qu’en France, où elle voit pourtant le jour et meurt guillotinée durant la Terreur.
Née sous le nom de Marie Gouze en mai 1748 à Montauban, Olympe de Gouges est mariée de force à Louis-Yves Aubry, avant de devenir mère puis veuve un an plus tard. Elle a alors 18 ans, et se trouve dans une situation malheureusement ordinaire pour l’époque. Ce qui l’est moins, c’est sa capacité à rebondir, à prendre sa vie en main pour s’imposer dans la bourgeoisie et la vie publique, en dépit des considérations à l’égard de son sexe.
Refusant d’être la simple « veuve d’Aubry », elle monte à Paris avec son jeune fils et devient « Olympe de Gouges ». Son éducation dans l’aristocratie de Montauban lui permet de s’adapter à la vie bourgeoise parisienne, où elle à une réputation de courtisane. Malgré ses liaisons, elle ne se mariera jamais afin de garder sa liberté. Notamment à cause de l’écriture : à l’époque, la publication d’un ouvrage nécessite le consentement du mari. Hors, sans époux, elle n’est pas soumise à cette autorisation de publication. Elle rédige un grand nombre de tracts et de brochures audacieuses, engagées politiquement, défendant les Noirs, les femmes, les pauvres… Les laissés-pour-compte.
Au-delà du papier, elle monte sa troupe de théâtre, et milite sur la scène contre l’esclavagisme avec sa pièce la plus connue : L’esclavage des noirs, mise à l’affiche sous le nom L’heureux naufrage. Bien qu’écrite en 1785, elle ne peut la jouer qu’en 1792, après la chute de l’Ancien Régime.
Olympe de Gouges, la Révolution et le féminisme qui s’ignore
Engagée politiquement, elle plaide en 1788 dans sa Lettre au peuple, ou Projet d’une caisse patriotique ; par une citoyenne pour un impôt patriotique afin de combler la dette (déjà !), ainsi que pour de nombreuses réformes sociétales. À la Révolution, elle voit la possibilité d’établir l’égalité homme-femme, mais déchante vite. Suite à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle couche sur papier son pendant féminin, adressé à Marie-Antoinette en 1791, et qui ne sera jamais ratifié : la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne dont la première phrase de l’article premier résume son combat et celui des féministes presque deux siècles plus tard :
La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits.
On peut également citer l’article X, criant de bon sens de notre point de vu, mais tellement inconcevable à l’époque :
Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la Loi.
Tout le document va dans ce sens, et certains passages sont encore aujourd’hui d’actualité. L’article XIII prône notamment une égale distribution du travail, et une place identique à celle de l’homme dans l’industrie. Plus de 220 ans plus tard, le temps partiel reste majoritairement une affaire de femmes, et les emplois industriels principalement l’acabit des hommes.
Dans le postambule de sa déclaration, Olympe de Gouges dresse une alternative au mariage très proche du pacs. Le partage égal des biens en cas de séparation, et leur mises à disposition auprès des enfants « de quelque lit qu’ils sortent » sont les piliers de ce contrat social. La progéniture peut d’ailleurs porter le nom des parents, père comme mère, les ayant reconnus. Autrement dit, elle encourage ici la reconnaissance des familles recomposées, et donc le droit à la séparation. Sa proposition de contrat social commence d’ailleurs comme suit :
Nous N et N, mus par notre propre volonté, nous unissons pour le terme de notre vie, et pour la durée de nos penchants mutuels [...].
À faire frémir ceux qui ne jurent que par l’engagement à vie du mariage religieux. Mariage qu’elle qualifiera de « tombeau de la confiance et de l’amour ». Une posture presque surréaliste en 1791.
Entre autre propositions, elle défend le mariage des prêtres, l’éducation des filles et la participation des femmes à toute activité impliquant des hommes.
Malheureusement, sa fougue, ses idéaux, et sa grande gueule lui coûtent la vie. Partisane d’une monarchie constitutionnelle, s’opposant à l’exécution de Louis XVI, soutien des Girondins ; elle critique de manière acerbe les Montagnards. Sentant approcher la dictature, elle interpelle Robespierre à plusieurs reprises, et publie, le 20 juillet 1793, un manifeste : Les Trois urnes ou le Salut de la patrie, par un voyageur aérien. Elle est arrêtée le jour même, reniée par son fils menacé de mort, et guillotinée quelques mois plus tard.
Et maintenant ?
Visionnaire, en avance sur son temps, Olympe de Gouges n’a pourtant qu’une reconnaissance limitée.
Peu connue du grand public, oubliée voire décriée au début des mouvements féministes, il aura fallu attendre la biographie de l’historien Olivier Blanc, publié en 1981, pour que l’on commence à bien connaître cette femme historique. Anne Hidalgo, actuelle maire de Paris, a proposé de la faire rentrer au Panthéon où, sur 71 personnalités, deux seulement sont des femmes…
Pour encore beaucoup de personnes, le combat d’Olympe de Gouges est probablement dépassé. Hélas, même si la situation s’est améliorée, il est encore brûlant d’actualité. J’en veux pour preuve le nombre impressionnant de personnes mobilisées contre l’enseignement de l’égalité des sexes à l’école, ou l’instauration d’un statut de beau parent. À quelques jours de la publication de ces lignes, ces gens défileront encore dans la rue, armés de leurs drapeaux bleus et roses. Pour porter le souhait du maintient d’un modèle unique et traditionaliste de la famille, pour s’opposer à l’apprentissage de l’égalité des sexes aux enfants de la République, pour conforter la femme dans une posture de soumission. Et avec eux, tous les conservatismes qui font mal à notre société.
On est en 2014, et tant que des collectifs comme La Manif Pour Tous auront autant d’ampleur, nous aurons besoins de personnes qui perpétuent la vision d’égalité homme-femme qu’avait Olympe de Gouges.
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