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Article paru sur le site web du gams.be le 23 nov 2022 – rédigé par LEÏLA EL-MAHI
Venue d’Outre-Atlantique, la chercheuse indépendante Magaly Pirotte de SEX-ED + a investi les locaux du GAMS Belgique durant deux jours et a réalisé dix moulages de vulves de femmes ayant subi une excision dans le cadre d’un projet d’échange financé par Wallonie-Bruxelles International-Québec. Le Centre Médical d’Aide aux Victimes de l’Excision (CeMAViE) du CHU Saint Pierre, le GAMS Belgique et SEX-ED + ont pu collaborer pour réaliser des reproductions d’organes génitaux externes. Le but ? Créer une encyclopédie et des outils pour mieux comprendre les réalités des femmes concernées par les mutilations génitales féminines et mieux accompagner ces dernières. C’est une première mondiale ! Nous revenons sur cette expérience avec la chercheuse Magaly Pirotte et Fabienne Richard, la directrice du GAMS Belgique et sage-femme chez CeMAVIE.
Magaly Pirotte s’est installée quelques jours dans la capitale belge pour réaliser des moulages de vulves de femmes ayant subi une excision. Magaly est chercheuse indépendante et travaille sur l’éducation à la sexualité et la santé sexuelle et reproductive depuis une quinzaine d’années. Elle crée, avec le projet SEX-ED +, du matériel pédagogique qui présente la diversité des anatomies génitales. Son souhait est de contribuer à l’évolution des discours sur les sexualités afin de les rendre plus inclusifs et respectueux de la diversité des corps, des identités et des expériences afin d’alimenter les réflexions et les pratiques pour promouvoir une éducation à la sexualité anti-oppressive et émancipatrice.
Le clitoris 3D d’Odile Fillod : l’un des éléments déclencheurs« Il faut arrêter de proposer des outils hyper normés où l’on parle uniquement de reproduction et de maladies. Ce type d’outils nous enferme dans une certaine façon de parler de la sexualité. »
Après des années de travail comme chargée de plaidoyer en planning familial, Magaly découvre le clitoris 3D de la chercheuse française, Odile Fillod. « Cet outil révolutionne la manière de parler de sexualité. Je l’ai tellement utilisé que j’en ai brisé des tas. C’est là qu’est venue l’idée d’en créer un mou, pour qu’il ne se brise pas. » Durant un voyage à Paris, elle rencontre la chercheuse et des militantes qui travaillent sur la question de l’excision. Magaly a reçu des demandes pour créer des clitoris mous à intégrer dans une vulve pour avoir des supports en consultation pour accompagner les femmes. « Le projet SEX -ED + est parti d’essais, de rencontres et du besoin du milieu. En 2018, j’ai posé ma candidature dans un programme de création d’entreprise pour lancer mon projet. Et depuis, ça continue » raconte la reine du moulage.
La rencontre au QuébecEn janvier 2020, Fabienne Richard et Magaly Pirotte se rencontrent à Montréal lors d’un premier échange Wallonie-Bruxelles International avec Bilkis Vissandjée, professeure titulaire à la Faculté des sciences infirmières de l’Université, chercheuse à l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal (IRSPUM) et le RAFIq, le Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrées et racisées du Québec. Fabienne se retrouve pour prendre un café dans l’atelier de la chercheuse québécoise, elle est subjuguée par tout le travail exploratoire de Magaly. Elle repart en Belgique avec des modèles 3D et plein d’idées.
« Il n’existe aucune structure d’accompagnement qui ressemble au GAMS Belgique au Québec »A Montréal, Magaly a pu faire des moulages de personnes transgenres, cisgenres, non-binaires. Lorsqu’elle a eu envie d’aborder la question de l’excision et de la reconstruction, elle s’est rendu compte qu’il n’existait aucune structure d’accompagnement qui ressemble au GAMS au Québec. « Juste le fait de reconnaitre publiquement d’être excisée est compliqué, les associations communautaires n’étaient pas encore prêtes à me recevoir pour parler du projet. ».
Magaly a alors contacté des partenaires Français et Suisses ainsi que Fabienne Richard pour lui parler de la possibilité de réaliser ce projet à travers le programme d’échange de Wallonie-Bruxelles International. « Le projet s’est fait de façon très organique, là où pour d’autres institutions, c’était plus compliqué à mettre en place. Je n’aurais jamais pu faire ce projet sans l’aide du GAMS Belgique et CeMAViE. Il fallait trouver des personnes qui sont proches des femmes et qui les connaissent. » relate la chercheuse.
Empowerment féminin et réflexion en coursLa mise en place du projet a été retardée par le COVID mais cela a permis d’avoir le temps de bien préparer les femmes. En charge du recrutement, Cendrine Vanderhoeven, sexologue à CEMAVIE a pu leur expliquer en détail toutes les étapes du processus. Du côté du GAMS Belgique, une animatrice communautaire a recruté deux femmes de la communauté somalienne. « Il était important d’avoir des femmes de différentes origines avec différents types de mutilations sexuelles féminines pour montrer la diversité des vécus et des corps. Des femmes ayant bénéficié d’opération de reconstruction clitoridienne ou de désinfibulation ont participé également au projet. » nous explique Fabienne Richard.
Magaly Pirotte est rentrée au Québec avec dix moulages dans ses valises. Notre partenaire les a ensuite scannés en 3D et enregistrés dans une base de données numérique. En ce qui concerne le développement des outils, les chercheuses sont en phase de réflexion. « On constate qu’il n’y a pas de grande distinction entre les moulages de femmes excisées et non excisées. En soit c’est déjà un résultat important car les femmes pensent que tout le monde va directement voir qu’elles sont excisées. En revanche, nous avons trois exemples de moulages de reconstruction de clitoris avec des résultats différents. Il faut également penser à ajouter d’autres supports que ce soit en photo, en vidéo ou en podcast pour documenter le projet » analyse Magaly.
À la grande surprise de Magaly, toutes les femmes ont demandé un double de leur moulage alors que certaines ne se sont jamais regardées ou touchées.
« Le processus en lui-même et le feedback des femmes étaient très positifs. Elles étaient super contentes de pouvoir repartir avec un moulage de leur vulve. Beaucoup de femmes ont honte de leur corps et pensent que dès qu’elles se déshabillent leur partenaire va directement le voir. Cela peut être rassurant pour les femmes qui n’osent pas s’engager dans des relations à cause de leur excision. Le moment de moulage avec Magaly et les femmes engagées dans le projet était une réelle expérience d’empowerment féminin, il y avait une super ambiance entre fous rires et confidences », ajoute Fabienne.
« Il existe des projets artistiques où la démarche est de révéler le corps de l’autre, or le projet SEX-ED + a une démarche où chacun s’approprie le processus. » explique Magaly
Une encyclopédie des organes génitaux ?Magaly a déjà récolté plus d’une trentaine de moulages d’organes génitaux disponibles en 3D stockés sur une plateforme numérique en attente de mise en ligne.
« Mon idéal c’est que toute personne qui aurait besoin d’imprimer des organes génitaux depuis la base de données puisse le faire. Pour cela, il me faut du financement pour pouvoir couvrir mes frais de recherches et d’achat de matériel. Je considère que ce projet doit être financé par les institutions publiques. Il est de leur responsabilité de prendre en charge la question de l’éducation à la sexualité . Il y a une réelle revendication politique dans ma démarche. A travers le projet SEX-ED +, il existe une variété d’outils pédagogiques et inclusifs, il reste maintenant à penser au financement, l’accès et à la diffusion des moulages en 3D sur internet », conclue la chercheuse québécoise.
Affaire à suivre…
Le billet Le moulage comme outil d’empowerment apparaît en premier sur SEX-ED +.
Cet article Lutte contre le VIH/sida : et si la PrEP avait un genre ? provient de Manifesto XXI.
Le 1er décembre, c’est la journée mondiale de lutte contre le sida. À cette occasion, on a décidé de parler de la PrEP : l’efficacité de ce traitement préventif a beau être prouvée, sa démocratisation reste un enjeu majeur de la lutte contre l’épidémie.L’année dernière, le Mucem ouvrait l’exposition VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie !, une première dans une institution de cette importance. Nous avons suivi l’événement de près, en réalisant une série de podcasts en cinq épisodes autour de l’exposition. Dans le cadre de ce projet, nous avons rencontré de nombreuses personnes concernées, artistes, scientifiques, chercheur·ses, et nous sommes fièr·es de publier aujourd’hui l’entretien réalisé avec Hippolyte Regnault. Vous pouvez entendre sa voix dans le 4ème épisode de notre série, dédié à la réduction des risques et à la prévention. Doctorant et chercheur en science politique, Hippolyte s’intéresse à la PrEP, traitement préventif permettant aux personnes susceptibles de contracter le virus de se protéger d’une éventuelle infection au VIH.
Si ce médicament est remboursé par la Sécu et peut a priori être prescrit à tout le monde, sur le terrain, la réalité est toute autre. Les femmes, les personnes trans, mais aussi les personnes migrantes ou les travailleur·ses du sexe n’ont que très peu accès au traitement. Dans son travail de recherche, Hippolyte Regnault étudie l’impact que les rapports de genre, de race, de classe, de sexualité peuvent avoir sur la démocratisation de la PrEP auprès des publics les plus vulnérables face au virus.
Et parce que la prise de ce médicament soulève toujours des controverses à grand renfort de stigmatisations diverses (comme à peu près tout ce qui est lié au VIH), il nous semblait important de mettre en avant sa parole en cette journée mondiale de lutte contre le sida.
La PrEP, ça n’est pas seulement un médicament, mais une prise en soin globale des personnes intéressées, avec des dépistages IST complets tous les trois mois, des consultations médicales, des propositions de vaccination, et même parfois un accompagnement en sexologie, en addictologie…
Hippolyte Regnault
Manifesto XXI – Pour celleux qui n’en auraient pas une idée très claire, c’est quoi la PrEP ? Et dans quel cadre t’intéresses-tu à ce traitement ?
Hippolyte Regnault : C’est une bithérapie préventive qui a pour principe assez simple de proposer à des personnes qui n’ont pas le VIH, qui n’utilisent pas systématiquement le préservatif et sont donc à risque de contracter le virus, un médicament actif contre ce même virus et qui protège de l’infection. J’ajouterais que la PrEP, ça n’est pas seulement un médicament mais une prise en soin globale des personnes intéressées, avec des dépistages IST complets tous les trois mois, des consultations médicales, des propositions de vaccination (hépatites A et B, papillomavirus), et même parfois un accompagnement en sexologie, en addictologie, etc.
Dans ma thèse, je m’intéresse à la PrEP et aux innovations biomédicales de lutte contre le VIH/sida, au prisme des rapports sociaux de genre et de sexualité. L’idée, c’est d’aller renseigner les manières dont la PrEP est structurée par des rapports sociaux de genre et de sexualité et, dans le même mouvement, comment elle contribue à les reproduire. On peut en effet considérer les espaces par lesquels transite le médicament comme des espaces où les normes de genre et de sexualité s’actualisent, se (re-)construisent, mais peuvent aussi être contestées. Autrement dit, la question que je pose, c’est celle du genre de la PrEP. (1)
Pourquoi les femmes cis ne représentent que 3% des utilisateurices de la PrEP, quand elles représentent environ 35% des nouvelles infections par le VIH en Europe ?
Hippolyte Regnault
Qui prend la PrEP aujourd’hui ?
Ce sont en très grande majorité (96,97%) des hommes cis ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH). Les femmes cis, elles, ne représentent qu’une part très faible des utilisateurices de la PrEP, environ 3%. Pour les personnes trans, on ne dispose pas de données nous permettant de connaître la part exacte. Si ces stats ont le mérite d’exister, elles restent probablement inexactes : on sait maintenant que les personnes transféminines sont souvent agrégées aux hommes cis gays dans les donnés, et que les personnes transmasculines passent régulièrement pour cis auprès de médecins prescrivant la PrEP, ce qui les insivibilise. C’est déjà un problème en soi.
Alors pourquoi les femmes cis ne représentent que 3% des utilisateurices de la PrEP, quand elles représentent environ 35% des nouvelles infections par le VIH en Europe ? Il y a un gap considérable entre ces deux chiffres, et le constat est alarmant : il y a un besoin de santé publique, un outil qui fonctionne, mais beaucoup de personnes concernées ne s’en saisissent pas.
Comment peut-on expliquer ce blocage ?
En termes de recherche, de promotion et de communication, la PrEP a été pensée avec et autour des HSH. Des hommes cisgenres, blancs, plutôt citadins et surtout de classe moyenne ou aisée. Pour promouvoir la PrEP auprès de cette catégorie de personnes, les décideurs publics ont insisté sur l’adaptabilité et la flexibilité du traitement : si la PrEP peut se prendre en continu, comme une pilule, on peut aussi la prendre « à la demande », c’est-à-dire de façon ponctuelle, avant et après un rapport à risque. (2)
Si ce schéma de prise permet d’adapter le médicament à sa sexualité, son efficacité n’a été démontrée que pour les personnes assignées « homme » à la naissance, pour la raison assez simple que la très grande majorité de participant·es de l’étude étaient des hommes cis gays. En fait, on n’a pas pu tester la protection de la PrEP « à la demande » dans les muqueuses vaginales. Autrement dit, aujourd’hui en France, on ne prescrit pas la PrEP « à la demande » aux personnes ayant des relations vaginales réceptives. Ce n’est pas possible pour les femmes cis, les personnes transmasc et non-binaires assignées « femme » à la naissance, et c’est encore très flou pour les personnes transfem ayant effectué une vaginoplastie. En pratique, ces personnes ne peuvent pas passer d’un schéma de prise continu à un schéma discontinu, pour adapter le médicament à leur propre sexualité. À mon sens, c’est l’un des éléments centraux permettant d’expliquer que les hommes cis gays soient presque les seuls à utiliser la PrEP comme moyen de protection de l’infection par le VIH.
Il semble parfois que les politiques de santé publique tentent d’appliquer la stratégie de prévention ayant fonctionné chez les hommes cis gays à d’autres catégories de population, sans prendre en compte leurs spécificités.
Hippolyte Regnault
Donc ces schémas de prises pourraient fonctionner pour d’autres groupes que les hommes cis gays, mais la recherche ne nous permet pas encore de l’affirmer ?
Tout à fait, et c’est une des questions que je pose dans ma thèse. Je pense que les inégalités d’accès à ce traitement se construisent au moment de la recherche, et la question du genre n’est pas toujours posée, ou pas assez justement. J’en donnais un exemple juste avant : la prise intermittente de la PrEP est interdite aux personnes ayant des relations vaginales réceptives. Mais cette restriction d’utilisation est basée sur des connaissances en biologie qui restent très parcellaires. On postule sans l’avoir établi que le médicament serait moins bien absorbé dans les muqueuses vaginales. On se rend compte maintenant que c’est finalement les hormones dites « féminisantes », et non pas les muqueuses qui pourraient jouer sur l’absorption… Enfin bref, pour le moment, c’est l’ignorance quasi-totale. Et c’est sur la base de cette ignorance scientifique qu’on restreint l’utilisation de la PrEP à certaines catégories de sexe et de sexualité.
Aujourd’hui, les personnes qui prennent la PrEP sont essentiellement issues de classes moyennes et supérieures : pour quelles raisons ?
C’est impossible d’extraire les rapports sociaux de genre et de sexualité d’autres rapports sociaux, notamment de race, de classe, de précarité et de nationalité. C’est le principe du concept d’intersectionnalité. On voit par exemple que la proportion de bénéficiaires de la CMU ou de l’Aide médicale d’État parmi les utilisateurices de la PrEP est faible (respectivement 7,4% et 1,1%), alors que ce médicament est relativement disponible en France. Il est remboursé à 100% par la Sécu pour toute personne résidant sur le territoire depuis plus de trois mois. Les raisons qui permettraient d’expliquer ce différentiel sont assez similaires à celles qu’on a évoquées plus tôt, notamment en termes de promotion et de communication, destinées à des HSH, cis, blancs, citadins et aisés. Il semble parfois que les politiques de santé publique tentent d’appliquer la stratégie de prévention ayant fonctionné chez les hommes cis gays à d’autres catégories de population, sans prendre en compte leurs spécificités.
Pourtant, tu le disais, la prescription de la PrEP est censée être assez simple…
La PrEP est homologuée en France depuis 2016, et si au départ elle ne pouvait être prescrite qu’à l’hôpital, depuis juin 2021, elle peut être initiée par n’importe quel·le médecin généraliste. Cette extension est encourageante, il est a priori plus facile d’accéder à la PrEP en France, mais on manque de recul pour savoir si cette mesure aura un impact direct. En effet, ça n’est pas toujours facile de trouver un·e généraliste avec qui on peut parler de sexualité, de consommation de drogues, d’identité de genre ou bien de travail du sexe (sujets qui peuvent être abordés dans le cas des suivis PrEP). Il y a aussi des médecins qui ne connaissent pas la PrEP et ne sont pas formé·es à prescrire ce médicament, avec tout ce que ça demande en connaissances communautaires sur les parcours des personnes, mais aussi en capacités d’écoute et de non-jugement. Dans les faits, je crois que pour le moment, très peu de généralistes acceptent de se mouiller et d’initier des suivis PrEP chez d’autres catégories de populations que les hommes cis gays.
Dans le cadre des controverses liées à la promotion du traitement, la PrEP a exposé certaines populations minorisées à une stigmatisation homophobe et misogyne, prenant appui sur des stéréotypes socialement et culturellement genrés.
Hippolyte Regnault
Il y a donc encore de nombreux freins à cette prescription ?
Oui, les recherches sur la PrEP aux États-Unis et en France ont suscité des réticences et des résistances, une sorte de panique morale qui ressurgit sous différentes formes selon le contexte. On avait peur que l’utilisation de la PrEP entérine l’abandon du préservatif. Force est de constater qu’aujourd’hui, après près de quarante ans de lutte contre l’épidémie, le préservatif et les stratégies de promotion qui y sont liées ne suffisent pas à enrayer la course de l’épidémie. Là où en 2018, on observe pour la première fois en France une inflexion de la courbe des nouvelles infections par le VIH, qu’on peut vraisemblablement attribuer à un premier « effet PrEP ».
L’un des principaux arguments des détracteurices de la PrEP, c’est de dire que le déploiement du médicament conduit à une recrudescence des autres IST – les hépatites, la chlamydia, la gonorrhée, la syphilis… C’est aussi de dire que l’argent public finance une sexualité « débridée » chez certaines catégories de population. Dans le cadre des controverses liées à la promotion du traitement, la PrEP a donc exposé certaines populations minorisées à une stigmatisation homophobe et misogyne, prenant appui sur des stéréotypes socialement et culturellement genrés. C’est notamment le cas de l’expression « putes à Truvada » qui, aux tout débuts du médicament, et notamment sur les réseaux sociaux, cherchait à pointer du doigt les hommes cis gays ayant fait le choix de la PrEP (Truvada étant le nom du médicament princeps breveté pour la PrEP).
Le préservatif ne suffit pas, c’est un fait établi sur plus de quarante ans. La PrEP fonctionne, c’est aussi un fait établi.
Hippolyte Regnault
Alors, si on va dans le sens de ces argumentaires conservateurs, on a effectivement observé une recrudescence des IST. Mais ce n’est pas possible de dire que c’est uniquement à cause de la PrEP. Dans le cadre du suivi médical auquel se plient les personnes sous PrEP, sont dépistées toutes les IST de manière trimestrielle. On effectue alors davantage de dépistages, et logiquement, plus on cherche, plus on trouve. Il y a bien sûr d’autres facteurs qui entrent en jeu pour expliquer cette recrudescence des IST, comme le changement des mœurs sexuelles en lien avec la démocratisation de l’utilisation des applications de rencontre, qui aurait amené à une multiplication des partenaires sexuel·les. Mais de manière générale, il n’est pas possible de condamner la PrEP en agitant le drapeau rouge des IST, ou bien de la dépense publique. Le préservatif ne suffit pas, c’est un fait établi sur plus de quarante ans. La PrEP fonctionne, c’est aussi un fait établi. Est-ce qu’elle est la solution miracle ? Probablement pas : on a vu qu’elle ne suscitait pas ou peu de demande auprès de populations spécifiques. Mais c’est une arme supplémentaire dans la lutte contre une épidémie qui, rappelons-le, n’est pas près de finir.
On a évoqué tout à l’heure les personnes migrantes, un des groupes les plus touchés par le VIH. Comment expliquer qu’iels accèdent si peu à la PrEP aujourd’hui ?
En effet, le ralentissement global des nouvelles infections VIH observé en 2018 en France ne concerne pas les personnes nées à l’étranger. À côté de ça, on sait maintenant que pour les femmes originaires d’Afrique subsaharienne, l’infection au VIH se produit dans 40% des cas après l’arrivée sur le territoire français. On pourrait se dire qu’il y a encore un gros travail de prévention à faire à destination de ce public-là, mais c’est mal considérer la réalité de ces personnes, leurs parcours, leurs priorités, qui bien souvent relèguent la santé sexuelle à un rang secondaire. Il faut qu’on puisse comprendre ça en premier lieu, plutôt que de se positionner comme des éducateurices dont ces personnes auraient besoin. Ce dont ces personnes disent nécessiter, c’est un logement salubre, manger à leur faim, se protéger d’éventuelles grossesses. On n’est pas là pour faire du prosélytisme sur la PrEP, il faut donc adopter une approche globale de la santé sexuelle. On observe d’ailleurs que les assos qui suivent les personnes migrantes ne peuvent plus faire exclusivement de la prévention car elles font ce que l’État n’est pas en mesure de garantir : de l’accompagnement pour l’accès aux droits.
La panique morale que tu évoquais tout à l’heure est-elle aussi un enjeu pour ce public-là ?
Panique morale, le mot est ici trop fort, mais des réticences et des résistances, ça oui, c’est ce qu’on est en train d’observer avec FASSETS, un des projets sur lesquels je travaille en ce moment et qui cherche à favoriser la santé sexuelle des travailleuses du sexe immigrées à Marseille. On se pose la question des freins et des leviers au déploiement de la PrEP chez ce public-là en particulier.
Il y a déjà un facteur conjoncturel. Depuis les lois de 2016 visant à lutter contre le système prostitutionnel et depuis le début de la crise sanitaire, on assiste à une précarisation incroyable du travail du sexe en France. Ça s’est notamment traduit par l’interruption de certaines interventions associatives, ce qui a souvent entraîné une rupture de lien entre les assos et les personnes auxquelles elles s’adressent. Mais il y a d’autres facteurs, comme le fait que les pouvoirs publics aient tendance à faire l’amalgame entre traite humaine et travail du sexe : on considère ces femmes commes des victimes qui ne seraient pas à même de reconnaître leurs besoins, les manières d’y répondre, notamment de suivre un traitement journalier comme la PrEP. Cet amalgame prend racine dans des représentations racistes et sexistes, et il se fait au détriment d’une analyse plus complexe de la réalité vécue par ces femmes dans leur diversité. C’est pourquoi on observe des réticences au niveau institutionnel et médical à ne serait-ce que présenter la PrEP à ces femmes TDS immigrées. Alors de là à le leur proposer… Résultats des courses, sur le terrain, on observe qu’elles ne connaissent pas ce médicament ou le confondent avec le TPE, qui est le traitement préventif d’urgence à prendre à l’hôpital dans les 72 heures après avoir été exposé·e à une infection éventuelle par le VIH.
Il est urgent d’inclure davantage les femmes TDS immigrées des systèmes de production et de partage de connaissances sur la santé sexuelle.
Hippolyte Regnault
Finalement, à l’éclairage de nombreux travaux de sciences sociales, on peut interpréter cette méconnaissance de la PrEP. L’ignorance n’est pas qu’une absence de savoir, ou bien un simple trou dans la connaissance : elle est socialement située. C’est-à-dire qu’elle est produite par un certain nombre de facteurs, dépendant de rapports sociaux comme la race et le genre, qui excluent les femmes TDS immigrées des systèmes de production et de partage de connaissances sur la santé sexuelle. Au vu des statistiques épidémiologiques, il est pourtant urgent de les y inclure davantage, notamment dans le cadre de projets de recherche communautaire.
Justement, tu es investi dans un projet de recherche communautaire avec des travailleuses du sexe. Est-ce que tu peux nous parler de la façon dont vous travaillez ?
Dans le cadre de FASSETS, des médiatrices en santé sont salariées. Elles sont parfois des travailleuses pairs, c’est-à-dire qu’elles ont eu une expérience de TDS, mais elles sont surtout issues des communautés de nationalité les plus représentées dans le travail du sexe à Marseille (Nigéria, Afrique du Nord, Amérique du Sud, Europe de l’Est). Dans le cadre de ce projet de recherche communautaire, on essaie aussi de faire participer les femmes concernées aux processus de production et de partage des connaissances. C’est encore à l’état d’hypothèses pour le moment, mais leurs perspectives permettent d’établir des systèmes de représentation et d’appropriation du médicament très différents de ceux qu’on avait pu observer chez les hommes cis gays. Chez les travailleuses du sexe, ça permet de délimiter des frontières dans leur sexualité entre le travail et le plaisir. Ça permet aussi de diversifier les services proposés en fonction du type de protection utilisé.
Car oui, la PrEP peut être utilisée comme un outil de travail : le travail du sexe est un travail, et dans le cadre de ce travail, la santé sexuelle est un bien privé qu’il est possible de mettre en marché. Ce n’est pas seulement un bien public qu’il s’agit de promouvoir via des politiques de santé : à la fin du mois, s’il manque 50€ pour payer le loyer, certain·es TDS acceptent déjà des prestations non protégées par le préservatif pour augmenter le prix du service. Ces perspectives, on n’aurait pas pu les avoir sans impliquer les personnes concernées dans les projets de recherche.
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(1) La thèse d’Hippolyte Regnault est financée par l’Agence nationale de recherche sur le sida et les maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE), il dépend de l’IRISSO à l’Université Paris Dauphine, et du laboratoire SESSTIM (rattaché à Aix Marseille Université).
(2) Depuis 2015, les résultats de l’essai clinique français Ipergay ont permis de démontrer l’efficacité d’une prise ponctuelle de la PrEP : il s’agit en somme de prendre deux cachets de médicament au moins deux heures avant un éventuel rapport à risque, puis un autre cachet 24 heures après le rapport, un dernier 48 heures après, et ainsi de suite si d’autres rapports sexuels ont lieu entre temps.
Interview réalisée en février 2021 par Soizic Pineau, mise à jour en novembre 2022 par Hippolyte Regnault
Édition et relecture : Anne-Charlotte Michaut et Soizic Pineau
Visuel à la une : Dana Galindo
Retrouvez notre série de podcasts VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie !
Épisode 1 – Une histoire sociale et politique au musée
Épisode 2 – Luttes d’hier et d’aujourd’hui
Épisode 3 – Stigmatisation : une épidémie à la marge ?
Épisode 4 – Prévention et réduction des risques, des outils pour la lutte
Épisode 5 – Transmettre : un devoir de mémoire
Épisode bonus – Art et luttes : quelles mises en récit ?
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Depuis 2012, les cas de viol, d’esclavage sexuel, d’enlèvement ou encore de mariage forcé sont utilisés comme armes de guerre dans le cadre du conflit au Mali. À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et Avocats […]
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Pourquoi je ne veux pas d’enfant, est-ce que ça a toujours été le cas ? Est-ce que c’est définitif ? Pourquoi j’évite d’en parler ? Dans cette vidéo je réponds à vos questions.
L’article Rose Poudré : Je ne veux pas d’enfant, pourquoi ? est apparu en premier sur 50 - 50 Magazine.
Dans la langue comme dans notre société, les hommes sont considérés comme étant la norme. Pourtant, cette façon de mettre le masculin au centre en permanence n’est pas naturelle pour notre cerveau. Parce qu’elle influe sur la manière dont on perçoit la réalité, une langue aussi genrée que le français véhicule des stéréotypes aux effets bien concrets dans nos vies, et participe aux discriminations sexistes.
De quelle manière les clichés formulés dans notre langue influencent nos représentations du monde ? Que faire pour déconstruire les stéréotypes de genre ? Quelles pourraient être les alternatives linguistiques au “masculin générique” ? Est-ce élitiste de vouloir rendre la langue plus inclusive ?
Pour en parler, Victoire Tuaillon reçoit les psycholinguistes suisses Sandrine Zufferey et Pascal Gygax. Dans leur ouvrage Le cerveau pense-t-il au masculin ? (éd. Le Robert, 2021 ; co-écrit avec Ute Gabriel), les invité·es montrent à travers de nombreuses études et expériences scientifiques comment mesurer les effets de ces pratiques langagières excluantes. Leur but : démasculiniser notre langue, et donc notre perception du monde.
RÉFÉRENCES CITÉES DANS L’ÉMISSION
Retrouvez toutes les références citées à la page https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/masculin-neutre-ecriture-exclusive-1-2
CRÉDITS
Les couilles sur la table est un podcast de Victoire Tuaillon produit par Binge Audio. Cet entretien a été enregistré le mardi 11 octobre dans le studio de la webradio Loose Antenna à Pôle Sud (Lausanne, Suisse). Générique : Théo Boulenger. Identité graphique : Sébastien Brothier (Upian). Prise de son : Ella Stürzenhofecker, Elys Jones et Camille Evêquoz. Réalisation et mixage : Paul Bertiaux. Production et édition : Naomi Titti. Marketing : Jeanne Longhini. Communication : Lise Niederkorn et Justine Taverne. Direction des programmes : Joël Ronez. Direction de la rédaction : David Carzon. Direction générale : Gabrielle Boeri-Charles.
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Sans avoir mené de grande étude anthropologique sur le sujet, il me semble pouvoir affirmer
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