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Comment parler de la sexualité de jeunes musulmanes à l’heure de la « guerre des civilisations » (c’est Valls qui le dit) ? Samedi dernier, les moins ensommeillés d’entre vous auront pu découvrir « Haramiste » sur Arte. Les autres pourront se rattraper en replay ou le découvrir dans les salles obscures (à Paris au cinéma Les 3 Luxembourg à partir du mercredi 1 juillet).
Je vous en livre le pitch : « Rim, jeune femme voilée de 18 ans, rappelle à sa sœur Yasmina, 17 ans, qu’elle ne doit pas aller parler au garçon qui lui plaît. Mais à force de parler de tout ce qui est interdit, cela donne des envies. Le soir-même, Yasmina surprend Rim sur un site de rencontres. « Pour se moquer des obsédés, serial killers et pédophiles »… Qu’elle dit ! De rappels en conseils, Haramiste raconte l’histoire d’amour/haine entre deux sœurs qui s’adorent, se déchirent, se trahissent, se vengent, se retrouvent, s’abandonnent, s’aiment… s’émancipent. »
Antoine Desrosières s’est intéressé dans « Vanda Spengler… aura ta peau » à une photographe qui questionne le tabou de la nudité dans l’espace public. C’est donc un autre contrôle des corps qui est inspecté dans « Haramiste ». Si Antoine Desrosières l’a réalisé, le scénario et les dialogues ont été écrits de façon collaborative, avec sa comparse Anne-Sophie Nanki et surtout avec ses deux comédiennes.
Les dialogues semblent improvisés, les actrices étaient à l’aise sur la question?
Tout est dans le « semble ». Le jour du tournage nous avions un scénario dialogué de 50 pages qui a été respecté. Cependant ce scénario est issu du développement avec les actrices en répétition, par ma méthode d’improvisations prospectives. Elles étaient donc très à l’aise avec la question. L’une des deux a été voilée pendant trois ans.
D’où est venue l’envie de faire ce film et de traiter ce sujet?
Au départ c’était une commande: écrire un film sur les rencontres internet, j’ai pensé à raconter celle pour qui c’était le plus salutaire, celle pour qui le sexe était le plus interdit et dont l’outil le plus utile, les jeunes femme voilées.
Quel est le sujet du film selon toi?
Il y en a deux: l’émancipation sexuelle de deux soeurs maghrébines et voilées, et l’histoire d’amour haine entre deux soeurs qui s’adorent, se détestent, et s’adorent quand même. D’un point de vue plus large, il s’agit de montrer comment la religion musulmane, comme toutes les autres religions, culpabilise le plaisir.
Pendant tout le film, j’ai eu cette impression que le sujet était très transgressif, car parler de religion musulmane aujourd’hui en France est ultra délicat parler de sexualité des jeunes n’est pas très facile, j’ai l’impression qu’on est là dans une sorte de méga-combo du tabou. C’était voulu?
Ben j’ai rien contre, mais bon, moi j’ai fait ça très naturellement et sans difficulté.
Le film est illustré de chansons des années 60 (« Maman laisse-moi twister »), c’est un clin d’oeil aux germes de libération sexuelle qu’il y a pu avoir à ce moment-là?
Exactement. Je pense que les femmes voilées d’aujourd’hui sont les mêmes que les jeunes françaises des années 60 pour qui le sexe était interdit. A quand leur 68?
Au départ la grande soeur dissuade la petite de contacter le mec (« il va le raconter, tout le monde va le savoir, tu vas passer pour une salope ») et à l’inverse elle s’autorise une aventure via un site de rencontre (« il ne connaît pas mes amis, ils ne le sauront pas ») C’est une façon de montrer que la religion est un outil de pression sociale?
Pas qu’un peu! Mais il n’y a pas que la religion, aussi les relations de voisinage et la pression du qu’en dira-t-on emprunt de culture pudibonde commune. Mais heureusement internet permet aux individus de vivre individuellement, en-dehors de leur famille ou de leur quartier.
Le film reste ouvert à interprétation : si il suggère qu’il y a une vie derrière l’interdit, il ne s’agit pas de généraliser ou de stigmatiser celles qui ne se reconnaîtraient pas dans le film. « Je voulais rendre leur dignité aux femmes condamnées dans leur culture pour ce qu’elles font. Sans pour autant dire que toutes font ça. »
Le film marche donc sur une ligne de crête étroite. Pas étonnant alors qu’un site d’extrême droite comme fdesouche s’en soit fait l’écho. Même si « ça fait mal« , dit Antoine.