Online Romance – flickr/Don Hankins
La sacro-saint Valentin arrive à grand pas, et si vous ne succombez pas au merchandising 50 nuances de Grey ou au film qui promet d’être un flop faramineux, les entreprises de sites de rencontres ne manqueront pas de vous suggérer de vous y abonner contre espèces sonnantes et trébuchantes. Dimanche dernier, sur France Info, le directeur de Meetic s’affirmait d’ailleurs comme le leader de la rencontre entre célibataires cherchant une relation exclusive. « Meetic est fait pour les célibataires, ce n’est pas un positionnement moral, c’est un choix de cible« .
J’ai interviewé à ce sujet la sociologue Marie Bergström, dont la thèse s’est intéressée aux rencontres en ligne : « Au bonheur des rencontres : Sexualité, classe et rapports de genre dans la production et l’usage des sites de rencontres en France ». Elle nous explique pourquoi la rencontre en ligne « sérieuse » se transforme souvent en rencontre charnelle, au grand dam de monsieur Meetic?
Pourquoi avoir choisi ce sujet de thèse ?
Je voulais travailler sur la sexualité et l’entrée dans la conjugalité. J’ai commencé ma thèse en 2008, peu après la publication en 2007 des premiers résultats de l’INED et l’INSERM sur la sexualité des français. Cette enquête montrait qu’environ 10 % de la population avait déjà fréquenté un site de rencontres, chiffre qui montait à 1 personne sur 3 chez les jeunes de 18 à 24 ans. Cela m’a semblé un bon terrain pour mon sujet : les changements induits par la diffusion de l’usage des sites de rencontres étaient un bon prisme.
Votre thèse s’est basée sur une « recherche empirique originale », de quoi s’agit-il ?
J’ai mêlé des entretiens qualitatifs à une étude quantitative. J’ai contacté Meetic qui m’a autorisée à accéder à sa base de données, qui plus est j’ai aussi réalisé un questionnaire qui a reçu plus de 7000 réponses. Je me suis aussi intéressée aux plateformes de rencontres en elles-mêmes, en interviewant des concepteurs de sites.
Vous parlez d’ailleurs de « standardisation des plateformes »…
Oui, les concepteurs de sites distinguent fortement les sites « sérieux » des sites « pas sérieux ». Ils ont une vision très différenciée de la sexualité homme/femme : les hommes auraient une sexualité débordante, les femmes rechercheraient des histoires d’amour. Aussi ils cherchent à créer des sites aseptisés et pudiques susceptibles de plaire aux femmes, qui deviennent la matière première du site.
Tous les entrepreneurs de sites de rencontres se positionnent par rapport à Meetic, qui est l’archétype du site « sérieux ». Adopteunmec se positionne comme décalé, comme une exception qui confirmerait la règle en affichant un site destiné aux femmes qui seraient les consommatrices d’hommes. Mais c’est un positionnement de façade, la conception différenciée de la sexualité des femmes et des hommes persiste. Par exemple, les profils féminins contiennent un encart « sexo » qui ne figure pas dans les profils masculins. La description des goûts sexuels est censée attirer les hommes mais faire peur aux femmes, comme me l’a expliqué un responsable de site. Dans les profils masculins, l’encart est donc remplacé par un volet où les hommes peuvent détailler le confort de leur appartement.
Donc Adopteunmec est un site standard déguisé ?
L’originalité de ce site est de fluidifier ce que j’appelle la division sexuelle du travail de séduction. Sur les sites de rencontres, c’est aux hommes d’écrire aux femmes. Celles-ci, surtout jeunes, reçoivent énormément de messages. Adopteunmec permet aux femmes de filtrer les messages, car tout le monde ne peut pas vous écrire. On fluidifie donc l’inégale charge de travail, tout en jouant avec cette idée de « monde à l’envers » alors que le schéma reste très standardisé.
Internet est-il devenu un lieu principal où se forment les couples ?
Aujourd’hui le travail, les études et les soirées restent la source première de rencontre de couples au long terme. Les jeunes ont toujours plus d’opportunités de rencontres dans la « vraie vie », et les couples de jeunes se créent finalement peu sur internet. En réalité la mise en couple sur internet concerne surtout des gens plus âgés ou séparés.
Est-ce que maintenant que des sites plus frivoles ont vu le jour (Gleeden ou AshleyMadison pour les rencontres extraconjugales), les sites « sérieux » sont maintenant plus générateurs de rencontres au long terme ?
Pas vraiment. Même si les gens se présentent sur les sites « sérieux » avec l’intention de faire des rencontres sérieuses, elles deviennent beaucoup plus rapidement sexuelles que dans le monde réel. Quand on rencontre quelqu’un au travail, ou dans une activité extra-professionnelle, on prend le temps, de se renseigner, de voir si la personne est célibataire ou non, de voir si on se plaît… Alors que quand on se rencontre après des échanges sur un site, on sait pourquoi on est là, il y a une connotation sexuelle très forte, donc ça va beaucoup plus vite. La temporalité des relations est similaire à une rencontre dans une boîte ou dans un bar, qui sont des lieux de rencontres chargés sexuellement. Quant aux sites de rencontres extra-conjugales, ils ont un nombre d’utilisatrices très faible, et donc génère un nombre de rencontres beaucoup plus faible que les sites « sérieux ».