La mode est un puissant carcan qui enferme hommes et femmes dans des apparences bien distinctes. Certains hommes aiment mettre des jupes (j’en ai déjà interviewé quelques-uns), mais dans l’espace public il reste très très rare de croiser un homme qui laisse apparaître mollet ou cuisseau.
Lors des fortes chaleurs de cet été 2013, des conducteurs de trains suédois avaient revêtu la jupe, pour protester contre l’interdiction qui leur était faite de porter des shorts. Un porte-parole de leur compagnie avait déclaré « si un homme préfère porter un vêtement de femme, par exemple une jupe, c’est OK ».
Affiche du défilé Frisse/Esmod Lyon
En France, la jupe pour homme, c’est moins détendu. Très attachés au concept d’altérité sexuelle, les coincés de l’ourlet voient d’un mauvais oeil que les limites posées à chaque genre puissent devenir poreuses. La jupe doit être réservée aux femmes, ces êtres désirables, alors que les hommes virils ne devraient pas pouvoir être rendus sexys par une jupe qui mettrait leur fessier en valeur. Et c’est bien dommage.
C’est aussi un constat qu’a fait Frisse, une association qui lutte pour une meilleure santé sexuelle, « comprenant la lutte contre les grossesses non désirées, les IST, les dysfonctions sexuelles et la coercition. » En association avec l’école de mode ESMOD Lyon, Frisse organisait ce jeudi un défilé « mâles en jupes contre les discriminations ».
D’où est venue cette collaboration entre féministes et étudiants en mode? Je n’ai pu me rendre sur place, mais Danièle Authier, coordinatrice à Frisse, a répondu à mes questions. « Nous travaillons avec Esmond Lyon depuis 2012. Le travail s’élabore à partir d’ateliers réunissant les élèves autour de santé sexuelle et psychotropes (puisque dans la majorité des lieux de rencontres sexuelles ou amoureuses, on trouve à minima de l’alcool). A l’occasion de ces ateliers, il est proposé de créer un media de transmission d’un message à un public plus large. Ainsi en 2012, nous avons travaillé sur la valorisation du préservatif féminin et les élèves ont défilé devant plus de 300 personnes avec leurs créations customisées avec des présos lors d’un défilé intitulé « les préservatifs font leur show ». »
Photo de la manifestation – Yannis AITADDI
Cette année, ce seront donc les « mâles en jupes », pour faire de la jupe un habit moins sexiste. « Ce défilé « mâles en jupes contre les discriminations » reflète une volonté commune de rappel aux questions du « vivre ensemble avec nos différences » après les débats houleux liés au mariage pour tous. Cela se veut aussi un écho solidaire aux luttes menées en Inde et en Iran pour signifier qu’être en jupe n’est pas quelque chose de dégradant. Par ailleurs, nous rappelons dans l’affiche, que les hommes ont toujours porté des robes et qu’elles sont alors des symboles de pouvoir ou d’autorité (juge, religieux etc…) alors que la longueur des jupes des femmes ne servirait qu’à mesurer leur disponibilité sexuelle. »
Une affiche sulfureuse : la marque de chaussures Louboutin, a fait interdire en Belgique une affiche très similaire à celle du défilé, car elle faisait partie d’une campagne anti-Islam des nationalistes flamands. Aucun amalgame? « L’affiche est celle d’une étudiante en art graphique de Vancouver, qui a été détournée par un parti belge pour envoyer un message islamophobe, nous ne craignons donc pas l’amalgame. Le défilé est un acte militant de revendication contre le sexisme et toutes les formes de discriminations. Quant au côté sexy des hommes en jupes, il n’y à qu’à voir les réactions des femmes dans le métro lorsqu’elles croisent un homme en kilt ! Ca me surprend chaque fois : depuis le classique « slip ou caleçon ? » à « t’as vu ses poils de jambe », en passant par l’attendrissement « mais il doit avoir froid », avec plein de commentaires qui soulignent le côté viril : il assume quoi ! » La jupe, c’est tout sauf banal.