Copyright Edouard Boubat
Ce soir, je tutoie tes yeux bleus. Même s’ils sont deux.
J’ai noté cette phrase dans mon carnet, après la fin de notre échange, hier. Je souriais bêtement en dessinant les lettres à la va-vite, un peu fébrile. Peut-être qu’un jour on cherchera à comprendre ce que je voulais dire par là ? ai-je songé. J’ai ri de cette pensée arrogante. Mais je serais curieuse d’entendre les explications liées au sens de cette phrase alors qu’on ne saurait rien de moi et encore moins rien de toi.
Quand ta flamme revient embraser la mienne, mon envie de t’écrire érotique resurgit. Non pas qu’elle soit très éloignée mais je m’y abandonnerais plus facilement. « Où sont tes textes ? » m’as-tu demandé. Dans ma tête et dans mon cœur, mon amour, ne t’ai-je pas répondu. Je raconterais n’importe quoi pour te parler de moi. Pour répondre à ta question : « Comment vas-tu ? » Pour répondre à nos affirmations : tu me manques.
Mes doigts pianotent sur le clavier de mon ordinateur comme s’ils connaissaient par cœur les mots que je vais coucher sur cette e-feuille. Sur mes cuisses, la jeune chatte noire dort d’un œil. Les jumeaux, son frère et sa sœur, sont endormis l’un contre l’autre sur le tapis de la porte-fenêtre, derrière nous. Un vent chaud et hardi souffle dans les bouleaux, provoquant la chute d’une multitude de petits fruits semblables à des lentilles aux ailes de papillon. J’écris au soleil de ma terrasse dans le silence bruissant d’une après-midi d’été. Sais-tu qu’en astrologie celtique, le bouleau est inspiration ?
« Écrivain ! » m’as-tu dit hier encore. Oui, je le suis. Je viens de négocier et d’obtenir l’écriture d’un retournement final pour le deuxième roman que j’ai déjà rendu. Qu’est-ce qu’un chapitre de plus ? Tout, peut-être. Le temps oscille entre l’orage et l’accalmie. Dans le ciel grondent des avions. Les feuilles jaune et rouge du liquidambar poussées par le souffle du vent tombent sur la table ou sur le sol. L’herbe est jonchée d’un tapis doré et vivant qui rend fous les chats. Je me suis remise à boire du café, à fumer quelques cigarette. A revoir mon kiné aussi, pour quelques séances. A certaines heures, je suis tentée de rappeler Jean. J’aurais envie encore de le séduire. Et puis, ce caprice passe. Seul mon désir de toi ne s’efface pas. « Soyons doux. A bientôt. » « Soyons doux, soyons fous. A bientôt. » t’ai-je répondu. Une promesse qui n’est pas un engagement. Ma façon de te dire que tu m’es précieux, que mon silence toujours protégera ta vie. Nous nous reverrons, bientôt. A quoi bon écrire plus ? Sous mes mots coulent la baise haute-gamme, celle qui n’existe qu’entre toi et moi, celle que nous sommes capables de libérer ou de contenir dans un lieu qui n’appartient qu’à nous. Tu déclenches, j’enclenche. Ou l’inverse. Comme si nous pilotions à tour de rôle une Jaguar.
Je ne t’ai pas dit mais j’aime quand tu les évoques. Je suis friande de tout ce qui peut me parler de toi quand tu es loin de moi. Je parle peu des miens mais tu les connais, ils font partie de moi. Tu les as vus dans cette première chambre où régnait la pénombre. Peut-être les ai-je évoqués cette autre fois où tu me demandais de parler et où je t’écoutais te raconter, subjuguée par ton audace, terrassée déjà par ce silence obligé et nécessaire qui s’ensuivrait. Aujourd’hui encore je te revois retenant la porte, hésitant à nous quitter. Assise sur le lit ravagé, je n’osais esquisser aucun geste de peur qu’il te retienne auprès de moi. Tu étais revenu m’embrasser profond, avais rallumé une cigarette, l’avais fumé en parlant les mains agitées. Tu m’avais avoué combien tu brûlais d’envie de rester, d’autres choses que j’ai préférées oublier et tu t’étais échappé en m’envoyant un baiser depuis le pas de la porte, rieur et confiant, les yeux si bleus. A mon tour, j’avais fumé une cigarette, le regard perdu sur ce coin de terrasse, le cœur ailleurs. Le matin commençait tout juste à s’éveiller. Et pendant qu’ensuite tu avais erré à la recherche de ton autre toi dans les rues parisiennes, je m’étais glissée sous une douche brûlante qui me ramenait à ma vie sans et avec toi. Je m’étais endormie, le nez enfoui dans nos parfums abandonnés aux draps et aux oreillers.
Ma plus petite adore se prélasser sur la méridienne de jardin que j’ai créée. Elle y dessine ou elle y lit sous le regard bienveillant des chatons. L’heure du thé approche. L’envie de te humer grandit. Le reste suit. Une histoire de flamme.