Dawn French est écrivain et comédienne de télévision. Elle fait rire les Anglais depuis trente ans. Dear Sylvia, Chère Sylvia, s’est vendu à plus de 10 000 exemplaires la semaine de sa parution.
Extrait
Ed
Il s’assoit. Il lui semble qu’on l’observe alors que, pourtant, l’observateur, c’est lui. Tout le monde s’est éclipsé, en sorte qu’il se retrouve soudain seul avec elle - ce tête-à-tête le stupéfie. Le silence prend un tour étrange : ces lieux sont faits pour que des voix y résonnent. Aucun son ne s’élève ici. Et, pour la première fois depuis bien longtemps, il se sent plus vivant qu’elle. Elle, qui s’arrange toujours pour vous jeter au contraire son énergie vitale à la figure. Elle, ô combien vivante et prenant soin de le clamer haut et fort. Elle. Vivante jusqu’au bout des ongles. Des ongles des doigts. Des doigts bouffis, en l’occurrence. Regardez-moi ça. Quelqu’un, une infirmière peut-être, a tenté de les débarrasser de leur vernis corail, mais le rouge s’est obstiné, laissant voir néanmoins les ongles, vilains et souillés de nicotine. Des doigts rouges et tachés. Des ongles jaunes.
Elle n’aimerait pas qu’il pénètre ainsi dans son intimité, alors il s’efforce de regarder ailleurs… En vain. Ce spectacle peu ordinaire l’hypnotise. Il lui semble encore qu’elle l’observe et, même si cela est faux, et même s’il s’est promis de garder devant elle la tête haute, rien à faire : il détourne les yeux.
Les voici donc à nouveau réunis. Seuls. Seuls dans la même pièce, cela ne leur est pas arrivé depuis… Depuis l’époque où ils étaient encore mariés. Soit environ… Bon sang… Depuis combien de temps ? Cinq ans ? Quelque chose comme ça.
Elle se tient là. Elle respire.
Il se tient là. Il respire.
C’est tout.
Comme dans les derniers temps de leur union, en somme. Deux personnes en train de respirer le même air. Plus rien d’autre à partager. Sinon l’oxygène. Il se rappelle l’époque où mêler leurs deux souffles les enivrait. Couché contre elle, la nuit, il humait son haleine avec bonheur. Le souffle de la vie, le souffle commun de leur vie commune.
La respiration qu’il perçoit aujourd’hui ne ressemble plus à rien de cela.
Il entend la sienne propre. Rapide, hésitante. Elle suit le rythme de son cœur, que l’angoisse fait battre trop vite, perturbé par les terrifiantes pensées qui l’oppressent.
Sa respiration, à elle, est un souffle profond, régulier, qui résonne à travers la pièce, en concurrence avec les ronflements à la fois tonitruants et poussifs de la machine. Cette dernière inspire et expire à sa place, au moyen d’un vilain gros tuyau qu’on lui a enfoncé dans la gorge.
Car Sylvia Shute, malgré l’énergie vitale dont son corps est censé déborder, se trouve plongée dans le coma.
Résumé
En réanimation après avoir chuté d’un balcon, Sylvia reçoit la visite de ses proches. Se succèdent régulièrement à son chevet : Ed son ex-mari, Jo sa sœur aînée, Tia sa femme de ménage, Cat son amante jalouse, Cassie sa fille et Jamie son fils.
A chaque visite, leurs souvenirs surgissent. Mais qui était réellement Sylvia ?
Mon avis
Alternant avec subtilité les scènes pathétiques et les scènes cocasses, Dawn French nous livre des personnages sombres et émouvants. Sylvia est plongée dans un profond coma suite à une chute mais ce sont eux qui vont tomber de haut.
Dear Sylvia est un roman qui combine l’humour noir et l’absurde. On pourrait le résumer par cette question : connaît-on réellement nos proches ? Même si on les côtoie depuis des années.
Ici, chacun visite cette femme qui, après sa chute inexplicable et idiote, ne ressemble plus à celle qu’il connaissait ou plutôt croyait connaître. Qui se trouve sur ce lit d’hôpital, branchée sous respirateur artificiel ? Une épouse au cœur de pierre ? Une petite sœur tyrannique et insensible ? Une mère infecte avec sa fille ou son fils ? Une femme égocentrique et égoïste ? Une maîtresse machiavélique ?
Au fil des pages apparaît une Sylvia bien différente de l’image que tous en avait. Sous les yeux étonnés du lecteur, le puzzle qu’était sa vie reprend forme.
Cette chère Sylvia, un livre que je conseille à toutes celles et ceux qui aiment l’humour noir décapant et émouvant. Merci Dawn French ! Et merci à Danièle Momont pour la traduction.
Cette chère Sylvia…, Dawn French, éditions L’Archipel 450 pages 19,95 €